Après la signature, le 18 octobre 1797, du traité de Campo-Formio qui marque la fin de la première coalition, le Directoire décide de tourner ses efforts vers la seule nation qui n'a pas déposé les armes : "il se rassemblera, sans délai, sur les côtes de l'Océan, une armée qui prendra le nom d'armée d'Angleterre". Comme ses effectifs sont principalement tirés de l'armée d'Italie, le commandement en est confié à Bonaparte.
Le 23 février 1798, après une tournée bâclée entre Boulogne et Ostende, le vainqueur de la campagne d'Italie fait un rapport alarmant : "notre marine est aujourd'hui aussi peu avancée qu'à l'époque où l'on a créé l'armée d'Angleterre, c'est-à-dire il y a quatre mois. Il n'y a à Brest que dix vaisseaux en armement, qui sont sans équipages et encore bien loin de pouvoir tenir la mer." Ce rapport, très orienté et très discutable, ne laisse aucune ouverture : "Opérer une descente en Angleterre sans être maître de la mer est l'opération la plus hardie et la plus difficile qui ait été faite".
En réalité, Bonaparte prépare déjà l'Egypte. Dans ses Mémoires, Marmont cite ces propos tenus au retour de son inspection : "Les préparatifs indispensables pour réussir sont au-dessus de nos forces, il faut en revenir à nos projets sur l'Orient, c'est là qu'il y a de grands résultats à obtenir". L'idée n'est pas neuve et, surtout, elle est également portée par Talleyrand qui, alors que Bonaparte est encore dans l'Ouest, présente au Directoire un rapport qui tombe à pic dans lequel il évoque justement l'intérêt d'une intervention en l'Egypte : "Cet événement amènerait dans le commerce de l'Europe une révolution qui frapperait principalement sur l'Angleterre". Le projet est adopté le 5 mars et aussitôt confié au vainqueur de la campagne d'Italie.
Si la marine française est jugée inapte à organiser une descente en Angleterre, on peut se demander comment elle pourrait supporter l'effort exigé par le transport d'une armée vers la lointaine Egypte ? C'est la partie la plus surprenante de la campagne d'Egypte. Le 19 mai 1798, au terme de préparatifs menés avec d'autant plus d'efficacité que les moyens manquaient terriblement, la flotte appareille. Miraculeusement, la tempête de la veille a éloigné l'escadre anglaise de l'amiral Nelson qui a subi d'importantes avaries. Le 11 juin, Bonaparte est devant l'île de Malte dont les Français s'emparent et dont ils pillent les richesses pour compléter le financement de leur expédition.
Enfin, le 1er juillet, la flotte française arrive devant Alexandrie dont elle s'empare sans grande difficulté. Mais, pendant que se poursuivent les opérations sur terre, les bâtiments français constituent une proie évidente pour l'escadre anglaise qui, les 1er et 2 août, remporte une victoire décisive : à la fin de l'été 1798, la France n'a plus de flotte de guerre en Méditerranée.
C'est l'histoire navale de cette fascinante campagne que présente ce dossier de Gloire & Empire. Moins connue mais moins glorieuse que les brillants succès obtenus sur terre par Bonaparte dès les premières semaines, cette histoire méritait d'être racontée