France Les Canons à Balles ou l'Arme Mystérieuse de Badinguet (1864-1871)

Article écrit par : Loïc Charpentier

Mis en ligne le 30/09/2018 à 08:09:51



Les Canons à Balles ou l'Arme Mystérieuse de Badinguet (1864-1871)
Loïc Charpentier

Encyclo-BD des Armes – Jacques Devos – Editions Dupuy – 1985

 

 



Avant-propos


Cet extrait, bourré de poncifs, d’un amusant album de BD résume assez bien les approximations véhiculées depuis près de 140 ans sur une arme non pas inconnue mais largement méconnue, le canon à balles français. Bien des journalistes de l’époque et d’écrivains se targuant de connaissances militaires ont écrit des niaiseries à son sujet. Les relations britanniques et américaines, par ignorance de son emploi exact et souvent entachées d’un parti-pris pas toujours désintéressé, sont également à prendre avec des pincettes.
En réalité, avant l’entame de la Guerre Franco-prussienne, alors que les concepteurs du Mitrailleur de Montigny, d’origine belge, et de la Mitrailleuse Gatling américaine font le forcing pour fourguer leurs inventions aux états-majors européens, à grands coups de publicités tapageuses, le canon à balles français, lui, est classé secret-défense. Résultat, les articles écrits sur le canon à balles de Reffye, en 1869 et même après 1870, se fondent le plus souvent sur les comptes-rendus d’essais du mitrailleur Montigny et les tactiques prévisionnelles d’emploi belges et américaines, informations largement diffusées à l’époque.
Les armes collectives à salve ou à répétition.
Dès l’apparition des armes à feu sur le champ de bataille, toutes les armées rêvent de posséder le lanceur de salves le plus meurtrier possible. Il y a juste quelques petits problèmes techniques, comme le chargement par la gueule, l’amorçage par platine à silex, sans oublier la portée efficace limitée des mousquets, qui ne dépassait guère les 150/200 m - tandis que celle des pièces d’artillerie les plus puissantes, se situait aux environs 1500 mètres, dans des conditions de précision très relatives.
Sur ce dernier point, l’échange célèbre « Vous, Messieurs les Français, à tirer ! », «Messieurs les Anglais, tirez les premiers !», relaté par les documents officiels, entre lord Hay, commandant du 1rst Foot Guards, et le Comte d’Anteroches, lieutenant de grenadiers aux Gardes françaises, à la bataille de Fontenoy (11 mai 1745), n’avait rien d’un geste de politesse surannée mais tenait compte du temps de rechargement de l’adversaire et de la distance parcourue par sa propre troupe durant ce laps de temps. Cela n’empêchera pas les Gardes Françaises, trop nerveux, de tirer les premiers dans le désordre, de se faire fusiller à trente pas (un peu moins de 20 m) par les salves de l’infanterie anglaise, plus disciplinée, et de se débander, en laissant sur le terrain, une centaine de morts et plus de 300 blessés (13% de l’effectif). Néanmoins, Fontenoy est une victoire française…Ouf !

 

Mitrailleuses anciennes




A l’entame des années 1860, les progrès techniques réalisés sur le chargement par la culasse, la généralisation des âmes rayées et des projectiles ogivo-cylindriques, vont décupler l’imagination des inventeurs de tout poil, des plus farfelus aux plus sérieux. Dans les états-majors se dessine le besoin d’une arme capable de tirer le maximum de projectiles de « petit calibre » dans un minimum de temps, sans vraiment en appréhender l’emploi de manière précise et avec la hantise habituelle de tout état-major et service d’intendance confrontée à une consommation excessive de munitions. Petite curiosité, on trouve, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, une justification de démarche humanitaire dans le développement des premières mitrailleuses. Ainsi, en France, la très réglementaire Instruction sur l’emploi du canon à balles précise « Le canon à balles fera peut-être, vu son emploi, plus de prisonniers que de victimes, et, malgré son apparence destructive, aura pour résultat de terminer la guerre avec moins d’effusion de sang. ». De son côté, Gatling poussera le bouchon encore plus loin en affirmant que son invention limitera les risques d’épidémie en raccourcissant la durée des conflits. De là à réclamer le remboursement par l’Assurance Maladie de la thérapie à base de mitrailleuses, il n’y a qu’un pas !
Les mitrailleuses de la Guerre de Sécession. (1861-1865)
Depuis 1850, la rayure des armes à feu se généralise et le boulet plein cède la place à l’obus ogivo-cylindrique creux, mis au point par le français Henri-Joseph Paixhans, dans les années 1820-1825, pour le compte de la Marine. Cela n’empêche pas Nordistes et Sudistes de déployer, durant la Guerre de Sécession, un grand nombre de pièces à âme lisse, dont le 12 livres (117,3 mm) Modèle 1857, baptisées Napoléon, en hommage à son concepteur – en 1853 - le Prince Louis Napoléon Bonaparte. Curieusement, en 1863, le parc d’artillerie des belligérants est constitué pour moitié de pièces rayées mais la proportion s’inverse et à la fin du conflit, début 1866, les pièces à âmes lisses en représentent les deux-tiers. La nature du terrain des Etats de la côte Est, contrées boisées et semi-cultivées, n’offrant pas, semble-t-il, une supériorité tangible aux canons rayés sur les pièces à âme lisse. Mais cela ne nous regarde pas !

En revanche, du côté des armes personnelles, fusils, carabines, armes de poing, les rayures sont devenues chose courante dans toutes les armées occidentales et le dossier du chargement par la culasse, étrenné dès 1841, avec le fusil Dreyse de l’armée prussienne, est sur le dessus de la pile dans tous les états-majors. Ce type d’arme permet à la troupe de recharger rapidement et ce, même en position couchée sans nécessité de contorsions acrobatiques. Ni la douille métallique, ni la percussion centrale ne sont vraiment au point et l’étanchéité de la culasse est loin d’être parfaite. Les poudres propulsives restent encore à perfectionner et l’épaisse fumée générée par la poudre noire continuera à troubler la vue des combattants pour encore quelques décennies.

Comme tout conflit, la Guerre Civile américaine va exacerber les génies inventifs. D’autant qu’aux Etats-Unis, à la différence d’une nation comme la France, la plupart des inventions à usage militaire sont issues du domaine privé et souvent produites « à compte d’auteur », avant d’être soumises aux services de l’Armée – plus de 80 brevets pour diverses mitrailleuses seront déposés, aux Etats-Unis, entre 1862 et 1883 ! On voit donc des petites séries de « battery » et « machine-gun », d’origine très diverses, mises en œuvre par les Nordistes et Sudistes. Si, au grand désespoir de ces inventeurs, nullement désintéressés par le profit, le contexte d’une guerre civile ne permet pas de vendre en direct aux deux partis en guerre car il convient de choisir son camp, le dépôt de brevet permet, lui, de contourner ce genre de difficulté.

Mitrailleuse Ager ou Agar

Surnommée Coffee Mil - moulin à café – pour son système d’approvisionnement par entonnoir et sa manivelle, cette invention est curieusement brevetée en Grande-Bretagne, en 1861, alors que son inventeur, Wilson Ager, est un pur Yankee. Ci-après un extrait d’une publication, « Le Livre pour Tous », N° 67 - « Les Mitrailleuses & les Pièces de Campagne » - Editions L. Boulanger – 1880. Il n’est pas certain que l’auteur est bien étudié le modèle …

Extrait de Les Mitrailleuses & les Pièces de Campagne



L’approvisionnement s’effectue à partir d’étuis en métal contenant la balle, la charge de poudre ou une cartouche en papier imprégné réunissant les deux. Les étuis, munis à une extrémité, d’une capsule d’amorçage, servent également de chambre de mise à feu pour le départ du coup, une fois alignés en face du canon par la rotation de la manivelle qui commandait également l’éjection des tubes tirés. Sa cadence de tir estimée est de l’ordre de 120 coups/minute dans des conditions idéales. La durée des séquences de tir est limitée par l’échauffement du canon unique, en dépit d’un astucieux circuit d’air dans et autour du canon, alimenté par une turbine entrainée par la manivelle de tir. Seuls, quelques exemplaires seront acquis et cantonnés dans des activités comme la protection des ponts avec sa contemporaine la Battery Requa.

Mitrailleuse Ager – calibre 0.58 (14,7 mm)



Mitrailleuse Brame

Le seul intérêt de cette arme, qui n’a pas dépassé le stade du projet, est son barillet et le bouclier qui protège les servants.

 

Mitrailleuse Brame – calibre non précisé.



Mitrailleuse Ripley

En 1861, Ezra Ripley dépose un brevet pour une mitrailleuse de son invention. Si l’arme ne dépassera jamais le stade du dessin, sa conception inspirera, sans nul doute, un certain Richard Gatling. C’est le premier projet qui propose un système de canons tournants autour d’un axe.

Mitrailleuse Ripley – croquis extrait du dépôt de brevet US de 1861.



Billinghurst Requa Battery

Cette arme, conçue en 1861, rappelle les vieux ribaudequins de la Renaissance et appartient à de la catégorie des Orgues, arme à tubes multiples disposés à l’horizontal. Ses 25 tubes sont amorcés simultanément, à l’aide d’une ligne de poudre commune. Les documents d’époque indiquent une cadence de tir de 175 coups (7 salves) par minute, ce qui parait plutôt optimiste. Elle sera utilisée, en quantité limitée, dans des dispositifs de défense.

Billinghurst-Requa Battery – cal. 0,50 Model 1862



Canon-revolver Moyal

Il existe même une représentation de l’engin. C’est, manifestement, une arme de siège. Elle est à commande électrique et se compose d’un canon unique, de fort calibre, alimenté par un barillet et équipé d’un écouvillonnage automatique des chambres !

 


Canon-revolver Moyal – calibre non précisé.


Mitrailleuse Claxton

Constituée de deux canons, en configuration opérationnelle, elle était installée sur un affût à roues et muni d’un bouclier, à l’instar de l’Ager ou de la Brame. Les munitions étant introduites une par une dans chaque culasse par un servant, la cadence de tir, estimée à 80 coups/m, dépend directement de sa rapidité au rechargement. Apparemment, elle n’a pas laissé un souvenir inoubliable à ses contemporains.

 

Mitrailleuse Claxton - calibre 0.68


Il existe, semble-t-il, une version ultérieure de la Claxton, très similaire à la Gatling, qui sera déployée dans les années 1870.

Volley Gun Vandenberg

Imaginée par un général américain, cette arme sera construite, en Grande-Bretagne. En l’absence de toute commande, Vandenberg, en désespoir de cause, offre 3 exemplaires à l’Armée de l’Union, en 1864….qui seront refusés après essais, par l’Army Ordnance ! L’écouvillonnage soigneux, par un seul servant, des 85 canons et de la culasse, exige pas moins de 9 heures !

Volley Gun Vandenberg – modèle à 85 canons – calibre 0.50



Mitrailleuses Gatling

Richard Gatling, dépose son premier brevet, en 1862. De l’avis même de spécialistes américains, il se serait inspiré du système Ager, pour les étuis de munitions et du projet Ripley pour le concept de fonctionnement de son invention. Si le brevet officiel est daté de novembre 1862, Gatling effectue déjà, au cours de l’été précédent, quelques démonstrations publiques de son arme, devant un parterre de notables, de journalistes et d’officiers. La cadence de tir est donnée pour 150 à 200 coups/m. Le Gouverneur de l’Indiana, qui a assisté à la présentation, se fend même d’une lettre enflammée, à l’attention du Sous-secrétaire à la Guerre, pour louer les performances de l’arme. Dans sa version 1862, la Gatling comporte un bloc-barillet de chargement distinct du bloc à 6 canons.


 

Mitrailleuse Gatling - Croquis extrait du brevet US N°36836 du 4 novembre 1862. Calibre 0.58.


Richard Gatling investit 6000 $ auprès de la Miles H. Greenwood & Co à Cincinnati, pour la fabrication de 6 exemplaires. Les armes sont achevées en juin 1863. Gatling règle, rubis sur l’ongle, le solde de sa facture mais, dans la nuit du payement, l’Eagle Iron Works Factory part en fumée avec les six mitrailleuses, les plans et les brevets ! Fin du modèle 1862.
Ce n’est pas ce genre d’accident « ménager » qui va freiner l’ardeur inventive de Gatling. D’autant que la Mac Whinny Rindge & Co se propose pour lui construire 12 exemplaires. La fabrication est rondement menée et Gatling en profite pour revoir la conception de ses munitions. L’étui en métal est toujours conservé pour le chargement mais le projectile, lui-même, est dorénavant muni d’une douille (à percussion annulaire) en cuivre. Cette modification accélère le rechargement des étuis. L’arme ainsi modifiée est désignée Gatling Model 1862 Type II.
Les lenteurs de l’administration militaire étant universelles, c’est ce moment que choisit le brigadier-général James W. Ripley, Chief of Ordnance – chargé des fournitures d’armes -, pour faire parvenir à Gatling, une fin de non-recevoir pour son Modèle 1862 ! Il faut savoir que le général Ripley est totalement allergique aux inventeurs et à leurs solutions-miracles. En plus, l’armée américaine a conservé un souvenir douloureux de la carabine à barillet Colt, un superbe flop technique, et Ripley se méfie, par dessus tout, de toute arme qui pourrait tourner autour d’un axe. Certains de ses contemporains le taxeront de vieille ganache rétrograde mais, c’est un fait, sous sa direction (1861-1863), les dossiers d’invention et les courriers de recommandation y afférant finissent en classement vertical dans la corbeille à papiers. Accessoirement, Richard Gatling est soupçonné – vraisemblablement à tort – de connivences sudistes, ce qui lui ferme quasiment les portes de l’état-major de l’Union.
Fort heureusement, Ripley ayant fait valoir ses droits à la retraite en 1863, ses successeurs sont plus ouverts aux armes « modernes ». En attendant, la Gatling Modèle 1862 Type II a la chance de taper dans l’œil du Général Benjamin F. Butler – à la fois homme politique et militaire, Butler fait partie des personnages les plus contestés de l’histoire des Etats-Unis, il sera surnommé « The Beast » (la Bête) par les Sudistes. En plus, lors de son gouvernement, en 1862, de la Nouvelle-Orléans, capturée par les Nordistes, il colle Charles Heidsieck, grand producteur français de vins de champagne devant l’Eternel, dans un cul-de-basse-fosse malodorant. Conclusion, ce Butler est un parfait butor ! Pour Richard Gatling, par contre, c’est une chance inespérée car il cède à Butler ses 12 mitrailleuses, plus 12 000 cartouches, contre la jolie somme de 12 000 $. Butler en déploie quelques exemplaires au siège de Petersburg, en 1864.
Début 1864, le Gouvernement américain de l’Union proclame l’embargo sur toutes les armes d’origine américaine et les cessions éventuelles de brevets à des puissances étrangères.
A l’automne 1864, Richard Gatling, ayant constaté des dysfonctionnements sur son arme, souhaite y apporter des modifications et en profite pour mettre fin à sa collaboration avec la Mac Whinny Rindge & Co. La fabrication est alors confiée aux soins de la Cooper Fire Arms Manufacturing Co., installée à Frankford, réputée pour la qualité de ses fabrications. Les problèmes d’étanchéité entre le canon et la chambre à munitions, séparées sur les modèles 1862, sont dorénavant résolus par l’utilisation d’une pièce unique canon-chambre à chargement par la culasse. Les mécanismes de chargement et d’extraction des douilles percutées sont également modifiés. Dès le mois de janvier 1865, une Gatling Modèle 1865 avant la lettre (production fin 64), est testée par Army Ordnance Department. Après un mois d’essais, l’arme est jugée satisfaisante. Le deuxième brevet Gatling est enregistré officiellement le 09 mai 1865
mais la Guerre de Sécession est terminée depuis le 9 avril 1865 !

 


Mitrailleuse Gatling - Croquis extrait du brevet US N°47631 du 9 mai 1865. Calibre 0.58.



Début février 1865, le général Dyer, promu Chief of Ordnance exprime, suite aux recommandations de la commission d’essais, son intérêt pour l’arme mais impose un calibre plus important, 25,4 mm (1 inch), pour la protection de ponts ou dans le cadre de combats de rue (?). Dans cette éventualité, il est disposé à assurer la fabrication du prototype par l’arsenal de Philadelphie. Gatling saute sur l’opportunité, d’autant que le contrat à la clef lui confiera la supervision rémunérée de la fabrication. En dix-huit mois, la Gatling (calibre 1in.) est mise au point, testée et acceptée officiellement, le 24 août 1866, par les services de l’US Army. Gatling décroche enfin un marché de 100 mitrailleuses, dont 50 au calibre de 1.inch et le reste au calibre initial de 0,58.
Le problème pour Richard Gatling est qu’après le conflit le plus meurtrier de leur histoire - c'est encore le cas de nos jours -, les Etats-Unis regorgent de matériels militaires et, hormis ce marché de 100 pièces, l’avenir commercial de son invention y parait sérieusement compromis. Il va donc se tourner, pour la seconde fois – j’ai gardé la première pour la bonne bouche ! – vers le marché international….Mais cela est une autre histoire.
L’emploi de mitrailleuses durant la Guerre Civile américaine ne fut que très ponctuel et le fait d’initiatives isolées d’officiers supérieurs au portefeuille bien garni ou aux relations généreuses. Néanmoins, si tous les états-majors américains et occidentaux sont, à peu près, tous d’accord pour reconnaître que la mitrailleuse, dans son acceptation générale, pourrait être une arme efficace, une question reste pendante – pour encore une bonne quarantaine d’année ! - … comment doit-on l’utiliser ?
Gatling et le marché européen
Richard J. Gatling est l’archétype du businessman américain. Alors que l’encre de son brevet de 1862 est encore humide et que ses 6 premières mitrailleuses ont fondu dans l’incendie de l’usine, il s’empresse déjà de proposer son invention aux nations européennes. C’est un marché de choix car il ne se passe guère plus de cinq ans sans qu’un conflit ne se déclenche sur le Vieux Continent ou dans les colonies (1853-1856 : Guerre de Crimée – 1857 : Révolte des Cipayes en Inde - 1859 : Campagne d’Italie – En 1863, la seconde Guerre des Duchés, entre le Danemark, l’Autriche et la Prusse est en train de couver).
Le 29 octobre 1863, Gatling se fend d’un courrier, louant les qualités inégalables de son arme, à l’état-major impérial français. L’ensemble de la littérature américaine, qui se pompe aimablement et sans scrupule, évoque comme destinataire français, un certain « Major R. Maldon ». On peut, sans conteste, parler de maldonne, car, un, des officiers avec le grade de commandant, malgré tout le respect que nous leur devons, çà ne va pas pêter bien haut dans la hiérarchie militaire française, adjoint à un chef de service, au mieux…deux, apparemment, il n’existe pas de R. Maldon, à l’époque, dans les étages du Ministère de La Guerre, à Paris. Par contre, le Ministre Secrétaire d’Etat à la Guerre, en poste à cette époque, n’est autre que le maréchal comte Randon, ce qui parait beaucoup plus logique, surtout si on espère une réponse ! Gatling en obtient d’ailleurs une très rapidement – tout est relatif pour l’époque, délai d’acheminement maritime, lenteur proverbiale des administrations militaires, circulation hiérarchique ascendante et descendante dudit courrier et de sa réponse, etc. -, qui lui précise le vif intérêt du Ministère pour son invention. S’en suit des échanges de courriers, Gatling, de son côté, transmet copie de son brevet, plans de l’arme, références laudatrices et le ministère français réclame calibres des munitions, précisions sur les conditions de mise en œuvre, rapports d’essais officiels, pour finir par émettre le souhait d’acquérir un exemplaire de sa mitrailleuse pour la tester en grandeur réelle. Là, on est, approximativement, tout début 1864 or, à cette date, Gatling n’a pas la queue d’une arme, hormis son unique prototype. Cà ne l’empêche pas de tacler sèchement notre Ministère de la Guerre en lui annonçant qu’en dessous d’une commande minimale de 100 pièces, il peut toujours aller se brosser. Comme, au même moment, le gouvernement de l’Union met sous embargo la production américaine de matériel militaire, l’affaire en reste là. Une fois le conflit terminé, Gatling, dorénavant associé à la Colt’s Patent Fire Arms Co, reprend sa serviette de représentant de commerce pour promouvoir son arme à travers le monde et, entre autres, décroche, en 1871, un juteux contrat de fabrication pour 400 mitrailleuses destinées à la Russie. C’est une Gatling modèle 1865 adaptée à l’emploi des munitions russes et qui utilise le nouvel étui métallique à percussion centrale, breveté par Gatling en 1868 (US Patent N° 78953 du 16 juin 1868). Selon l’habitude alors en vigueur au Kremlin, chaque arme reçoit le marquage du superviseur de la fabrication, le colonel Gorloff, créant souvent une confusion sur l’identité exacte de son concepteur.

Mitrailleur belge Christophe & Montigny

Autant le dire tout de suite, c’est la bouteille à encre pour trouver une chronologie correcte pour cette arme. Il y a, apparemment, deux périodes distinctes. La première où un capitaine de l’Artillerie Royale belge, Toussaint-Henry-Joseph Fafchamps conçoit une arme de tir par volées ou salves. Cà se situerait vers 1851 et l’arme, alimentée par des cartouches en papier, aurait été constituée de 50 canons et munie de deux leviers ou manivelles lui assurant deux cadences de tir différentes. Ce serait avant tout une arme statique de forteresse. Seconde époque, Fafchamps aurait offert les plans de son invention à un certain Joseph Montigny, armurier de son état, installé dans les environs de Charleroi (Fontaine-L’Evêque). Associé à Louis Christophe, un autre armurier belge, Montigny la perfectionne dans le courant des années 1860. Il existe deux brevets de cette invention, l’un déposé en Grande-Bretagne, british Patent 3553/1867, l’autre en Belgique, référencé Brevet N° 22 199 du 12 septembre 1867. A cette date, comme nous le verrons, le canon à balles français est déjà mis au point depuis plus d’un an et sa fabrication en série largement entamée. Le modèle connu du Mitrailleur Montigny – l’origine du terme « Mitrailleur » ou « Mitrailleuse » est lié à cette invention, c’est un fait à peu près acquis ! – est muni de 37 canons, regroupés selon un hexagone (4-5-6-7-6-5-4 canons par rang, à partir du haut de la gueule) et coulés dans une enveloppe en bronze qui lui donne l’aspect général d’un canon. L’arrière de la pièce est évidé pour y loger une culasse mobile, équipés de 37 percuteurs à aiguille, et un bloc de chargement extractible, percés de 37 chambres pour munition. La manœuvre de la culasse et le déclenchement du tir s’effectuent via deux leviers (l’un dans l’axe arrière de la culasse, l’autre en bas à droite de ladite culasse). L’ensemble est monté sur un affût en bois de type artillerie comme la plupart des armes contemporaines de ce type.

Mitrailleur Montigny







Une certitude, le mitrailleur ou la mitrailleuse Montigny et le canon à balles de Reffye ont en commun l’esthétique générale et le concept de fonctionnement par volée. Il est aussi incontestable que la période de gestation et de mise au point de ses deux projets est pratiquement la même. La principale différence réside dans le tapage médiatique dont a bénéficié la mitrailleuse Montigny, pour des raisons évidentes de recherche de marchés militaires, et, à l’inverse, dans la chape de plomb qui a entouré la mise au point et la fabrication, classées « secret-défense » au plus haut niveau, du canon à balles de Reffye. Au point que dès les années 1868 et jusqu’à nos jours, tout cela se mélange aimablement, tant dans la littérature spécialisée que sur nos modernes liens ouebiens. Cà donne à peu près çà…Ouvrez le ban ! « La France a acheté le brevet Montigny, Napoléon III l’a refilé à un certain commandant de Reffye, qui s’est chargé de superviser la fabrication ! » …Fermez le ban !

Je ne résiste pas au plaisir de vous offrir un extrait d’un ouvrage américain, en trois volumes sur les mitrailleuses, The Machine Guns – Lt.-Col. Georges M. Shinn USMC – 1951, établi pour le Bureau of Ordnance de l’US Navy. Le bouquin est sérieux par ailleurs mais, là, il atteint des sommets de méconnaissance crasse !

 

 

Plus tard, Montigny construisit un certain nombre d’armes de ce type (Mitrailleuse) pour la défense des fortifications belges. En 1867, il persuada l’Empereur des Français, Napoléon III, de recommander le canon inventé par Fafchamps – portant dorénavant le nom de Montigny - aux autorités militaires. Napoléon III fut si impressionné par l’arme qu’il ordonna sa fabrication en grand secret par le commandant de Reffye à l’arsenal de Meudon. Montigny était assisté par Louis Christophe, un autre ingénieur armurier belge, qui ajouta quelques éléments exclusifs.

 

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A noter qu’il circule également des informations quant à la participation active dudit Louis Christophe, citoyen belge, de surcroit, durant la phase de mise au point et de fabrication du canon à balles français. Comme vous allez le constater, ce n’est pas vraiment le genre de l’Arsenal de Meudon, à cette époque.
 

Mitrailleur Montigny – Musée du Grand Curtius de Liège


Le Mitrailleur Montigny, de même que d’autres productions, telle que la Gatling modèle 1865, est présenté à l’Exposition Universelle de Paris – la seconde manifestation du genre – qui se déroule entre avril et novembre 1867.

Canon Krupp - Exposition Universelle – 1867

 

 



Il sera testé par l’armée autrichienne, en 1868, et par l’armée britannique, à la fin de la décennie 1860. En août 1870, le Journal of the Royal United Service Institution publie un article assez complet sur les différents modèles de mitrailleuses existant à l’époque, sauf que, faute d’information, le canon à balles de Reffye y est rapidement survolé et que l’auteur se contente de supputations fort approximatives. A l’inverse, le mitrailleur Montigny y est décrit avec moult détails et force louanges mais une fois que l’auteur, le major G.V. Fosbery, a été identifié comme membre de la commission d’essais chargé de son évaluation, alors qu’elle est en concurrence avec la Gatling modèle 1865, son discours doit être pris avec des pincettes. Le mitrailleur Montigny testé a été entièrement modifié pour satisfaire au cahier des charges britannique. Son calibre est de 0,534 inch, ses canons sont rayés selon le système Metford et, contrairement à la Gatling, l’arme fonctionne admirablement (sic) avec la cartouche Boxer. Ce qui n’empêchera pas l’armée britannique de retenir, en définitif, la mitrailleuse Gatling pour son propre usage !

 

Mitrailleur Montigny monté sur un affût de 9 livres (Journal of the Royal United Service Institution – 1870)

Gestation du canon à balles français

Avec l’adoption des fusils à canons rayés, encore chargés par la bouche pour quelques années, l’infanterie dispose dorénavant d’une portée tir accrue mais cette innovation pose un nouveau problème, la portée du tir à mitraille par l’artillerie sur les concentrations de troupes, qui précédemment prolongeait de quelques centaines de mètres les feux de l’infanterie, n’est plus adaptée avec les pièces à âme lisse. Apparait le shrapnel, un projectile bourré de mitraille et muni d’une fusée provoquant l’éclatement en temps voulu (enfin…en principe !), tiré, dorénavant, par un canon à âme rayé. L’armée française adopte à grands frais, en 1858, les canons rayés – à chargement par la gueule – et les fusées tempées. Dès 1859, lors de la Campagne d’Italie, l’armée française inaugure son nouveau matériel face aux Autrichiens. Si le nouveau canon apporte des progrès dans la portée et la précision – encore que le 4 livres manque totalement de précision à courte portée ! (Rapport du général Le Bœuf, 1 décembre 1859) – il ne résout pas les problèmes du tir à mitraille éloigné et du tir fusant. Pire, le tir à mitraille est encore moins performant et accélère l’usure de l’âme. Les fusées tempées, quant à elles, ont des résultats trop aléatoires. Leurs évents fixes ne permettent que des éclatements à distance déterminée et ne sont pas compatibles avec des portées intermédiaires -En 1869, l’artillerie française persistera dans son choix, en adoptant une fusée tempée en bois à dix évents qui ne résoudra toujours pas le problème. Les premiers combats de 1870 mettront rapidement en évidence ses imperfections et ce n’est que dans la seconde partie du conflit, qu’apparaissent les premières fusées percutantes, nettement plus fiables et qui équipent déjà, depuis plusieurs années, l’artillerie allemande-. Le canon restait donc impuissant à prolonger les rafales de l’infanterie aux portées moyennes consécutives à celle du fusil et, aux grandes distances qu’atteignaient les obus, ce n’était pas des effets du même genre que l’on pouvait en attendre. Il va donc falloir trouver une solution technique.
A l’époque, le but recherché par les états-majors pour l’emploi des mitrailleuses n’est pas des plus clairs. Aux Etats-Unis, c’est l’aspect mécanique qui prime, sa rapidité de tir doit compenser une éventuelle infériorité numérique et sa précision aux aléas du tir à bras francs de l’infanterie. D’autres nations y voient un accroissement considérable de la puissance de feu de l’infanterie. La plupart sont d’accord, sous un angle balistique, pour y voir un perfectionnement du tir à mitraille – d’où sa désignation de mitrailleur ou mitrailleuse ; aux Etats-Unis, à l’époque, il est question de battery, le terme de machine-gun lui est postérieur). En France, l’approche est différente, « le but de la mitrailleuse ne doit pas être de rivaliser avec le feu de l’infanterie. Le canon à balles doit ne commencer à tirer avec efficacité qu’aux distances où le fusil ne porte plus. Il doit, pour les grandes distances de 1000 à 2500 mètres, suppléer à l’insuffisance du tir à mitraille du canon » (Commandant de Reffye – Septembre 1867 – Arch. Art. 4b24)

 

Maréchal Edmond Le Bœuf (1809-1888) – photo Disrédi (Paris)



Comme nous l’avons vu, plus haut, la technique est partagée entre deux solutions distinctes, l’arme à salves successives et celle tirant des projectiles l’un après l’autre à grande vitesse et (en théorie) sans interruption, dont la Gatling en est le parfait exemple. L’armée française va opter pour la première solution. A priori, çà peut paraître bizarre mais il y a un certains nombres d’éléments à prendre en compte. A l’époque de ce brain storming, il faut savoir que tous les modèles existants, Gatling incluse, sont installés sur des affûts d’artillerie traditionnels et ne disposent d’aucun réglage en azimut (plan horizontal). Pour changer de zone de tir, il faut manœuvrer l’ensemble de l’affût, ce qui nécessite l’interruption du tir et la reprise des réglages. La conclusion est assez simple, à une époque où l’infanterie monte à l’attaque en ligne, une arme tirant balle après balle, même à cadence élevée, environ une balle tous les ¾ de seconde, ne créé qu’un unique sillon létal où les balles se succèdent et la troupe, de part et d’autre, peut rapidement s’en écarter – c’est encore plus évident avec une troupe montée. Même en envisageant un dispositif de réglage en azimut, l’important nuage de fumée, dégagé par les poudres de l’époque, nuira à la précision des réglages et abaissera drastiquement la cadence aux alentours de 15 à 20 coups/min. A l’inverse, une arme tirant par volée couvre une zone beaucoup plus grande – 300 m² à 1000 m avec le futur canon de Meudon et, sous réserve de prévoir un dispositif de réglage en azimut, il est possible de changer le point de visée entre deux rechargements, sans ralentir la cadence, le nuage de fumée ayant le temps de se dissiper partiellement. Tous ces éléments seront soigneusement vérifiés lors d’essais comparatifs (auxquels participe une Gatling, vraisemblablement acquise lors de l’Exposition Universelle) effectués à Satory, en 1867. « Une colonne de cavalerie, lancée au trot, aurait le temps d’échapper à la trajectoire du canon américain avant que celui-ci ait tiré vingt balles, tandis qu’un seul coup tiré par la canon de Meudon peut culbuter toute la tête de la colonne » (note de Reffye au général Le Bœuf, novembre 1867 – Arch. Art.)

Le canon de Meudon

En 1860, sur recommandation du général Morin, Directeur des Arts & Métiers, le capitaine Jean-Baptiste Verchère de Reffye se voit confier la direction des travaux à l’Arsenal de Meudon, que Napoléon III vient de transformer en laboratoire. Dés la Révolution, les deux châteaux et le parc attenant ont constitué un centre militaire de recherches, où, à l’abri des murs, sont mis au point et fabriqués de nouveaux types d’obus et d’armes – en l’an III, une mitrailleuse avant la lettre, la machine pyrobalistique à canons multiples du Citoyen Grobert, projet mort-né, y a été étudiée –. Les premières compagnies d’aérostiers militaires y ont été constituées avant que les montgolfières militaires ne soient abandonnées en 1799.

 

Le Château de Meudon, photographié en 1871, après les combats du Siège de Paris.


Reffye, ancien élève de l’École Polytechnique, s’était fait remarqué, lors de son affectation à l’Arsenal de Tulles, par la mise au point d’une machine pour fabriquer des canons de fusils. A son grand étonnement, les premières tâches qu’il se voie confier à Meudon, consistent à superviser, à Rome, les moulages des bas-reliefs de la Colonne Trajan, les travaux de fouille sur le site d’Alésia et la reconstitution, en grandeur réelle, d’une trirème antique, dessinée par Prosper Mérimée ! Heureusement, les activités de l’arsenal portent également sur des armes plus modernes.
 

JB Verchère de Reffye (1821-1880)



Le 22 août 1862, Reffye est désigné, en sus de sa fonction à Meudon, comme officier d’ordonnance de Napoléon III. L’Empereur se pince, à juste titre, d’être un spécialiste de l’artillerie. En 1830, le prince Louis-Napoléon, alors que la famille impériale était en exil, avait adopté la nationalité suisse et suivi, comme sous-lieutenant, les cours de l’Ecole d’Artillerie de Thoune (Thun, en allemand). Tout au long de son existence, il fera preuve d’un vif intérêt pour tout ce qui se rapporte à l’artillerie en rédigeant plusieurs ouvrages spécialisés et en mettant également la main à la pâte car le canon-obusier français de 1853 est de son invention. On lui attribue parfois la paternité du canon à balles mais des témoignages dignes de foi indiquent que, dès les années 1855/1856, Reffye, alors qu’il est adjoint à l’arsenal de Tulle, consacre ses heures de loisirs à bricoler sur un assemblage en cylindre de canons de fusils.
 

Napoléon III (1808-1873)


Début 1864, alors que les tractations, pour acquérir une Gatling modèle 1862 type II, viennent de capoter, Reffye informe l’Empereur de la mise au point de son projet. Une commission, constituée du général Le Bœuf, aide-de-camp du souverain et Président du Comité de l’Artillerie, du général Guiod, membre dudit Comité et du colonel Favé, tous polytechniciens et artilleurs de formation, examine le projet et rend ses conclusions de faisabilité le 7 mai 1864. Quinze jours plus tard, le général Le Bœuf présente une ébauche du programme de fabrication et du budget prévisionnel. Les tubes… seront étirés dans un atelier civil situé à Paris, puis expédiés à Meudon, où ils seront alésés, réunis, brasés et garnis. Les culasses et contre-culasses seront fabriquées à Meudon. Les affûts seront construits…dans des ateliers civils à Paris, puis dirigés sur Meudon…Les coffres à munitions seront compartimentés par les soins du Dépôt Central. Les cartouches seront confectionnées au Mont-Valérien.
Les canons montés sur affûts seront éprouvés à Meudon, puis dirigés sur les forts voisins pour y être engerbés dans des magasins dont les clefs seront confiées au capitaine de Reffye. (Général Le Bœuf – note du 24 mai 1864 – (Arch. Art. 4h10b)
Une seconde commission technique est mise en place pour finaliser la mise au point du canon à balles. Elle est constituée du colonel Favé, déjà cité, de Reffye et du capitaine Schultz – sauf que ce dernier, après des essais désastreux sur des perfectionnements qu’il propose et qui provoquent un accident de tir, blessant le général Le Bœuf, sera écarté au profit du capitaine Pothier.
La mise au point va prendre deux ans. Les difficultés techniques sont multiples, nombre de canons, méthode d’assemblage, épaisseur et écartement des tubes, dispersion des balles et, surtout, invention d’une cartouche et de sa mise à feu. Sur le modèle 1864, prototype issu du projet de Reffye, le nombre de canons se limite à 21 tubes et la mise à feu, réalisée via une étoupille, se transmet d’une cartouche à l’autre avec un certain retard à l’aide d’un dispositif particulier. De surcroit, il faut aussi concevoir un système de chargement simultané de toutes les cartouches dans la culasse, sous peine de devoir affecter une douzaine de servants par pièce ! En septembre 1865, le Ministre de la Guerre, le Maréchal Randon, donne le feu vert pour la réalisation d’une pièce d’essais complète (canon, affût, avant-train et caisson). En juillet 1866, l’arme est définitivement adoptée, sa fabrication en grande série ordonnée et les moyens techniques de l’arsenal de Meudon requis exclusivement pour cette tâche.

Le canon à balles modèle 1866

Il ne faut pas croire que tout se déroule sous les meilleurs auspices. Si, financièrement, Napoléon III sort, tous les mois, 2 000 francs-or de sa cassette personnelle, pour subvenir aux besoins de l’Arsenal de Meudon, çà se complique, dès 1864, quand il s’agit de réaliser l’outillage spécialisé et attaquer la fabrication des matériels d’essais. Dans un premier temps, en mars 1865, on arrive à subventionner l’avancement des travaux en rattachant l’Arsenal au Dépôt Central de l’Artillerie, dont sa direction est partie prenante dans le projet. Mais la mise au point et la fabrication du canon à balles sont classées « secret défense » et il n’est pas question d’aller quémander des subsides par la voie officielle, d’autant que, quelques temps plus tard, l’opposition orléano-républicaine obtient la majorité à l’Assemblée et va, dorénavant, passer le plus clair de son temps à mettre des bâtons dans les roues de tout projet à vocation militaire. La défaite de l’armée autrichienne, à Sadowa, en juillet 1866, confirme la puissance militaire de la Prusse et inquiète l’Etat-major français, qui pressent un inévitable affrontement dans un futur proche. Napoléon III réunit, à Saint-Cloud, tous les décisionnaires, Ministre, Directeur, Président de Comité, etc. Le budget canon à balles est totalement irrégulier et la première Commission des Finances venue, mettant son nez dedans, pourrait bien expédier aux fins fonds de la Lozère, pour le reste de leur carrière, les généraux les plus réputés de l’Empire pour détournements de fonds ! Même le Maréchal Randon, Ministre de la Guerre, ronchonne en petit comité… « Meudon ! C’est un boulet financier que je traine depuis sept ans !... Ils nous feraient croire que, pour maintenir notre gloire militaire, il nous faut des engins nouveaux ou des armées innombrables dignes de Xerxès ! » (Courriers internes du Ministère, du 21 et 26 septembre 1866)
Nota : Xerxès, souverain perse qui leva une armée monumentale, estimée à 300 000 hommes (Hérodote parle de 1 700 000 !), pour châtier la Grèce, lors de la deuxième guerre médique, ce qui ne l’empêcha pas, au final, de se prendre une pilée magistrale !
A partir de 1867, le budget nécessaire est affecté au dépôt Central de l’Artillerie et Le Bœuf invite Reffye « à pousser sa fabrication sans tenir compte des dépenses » (Courrier confidentiel du 5 avril 1867).

Budget alloué entre 1864 et 1868 :

1864 & 1865 : 2000 francs mensuel (Cassette Impériale)
1866 : 429 629 francs (24 canons à balles fabriqués)
1867 : 2 467 435 francs (100 pièces en commande)
1868 : 968 364 francs (commande portée à un total de 200 pièces, le 17 12 1867)
1969 : 566 204 francs
Total : 4 631 252 francs pour la fabrication de 190 canons à balles et 5 000 000 de cartouches, achevée au 1er janvier 1869.

Coût de revient unitaire du canon à balles (estimatif réalisé par Reffye) : 4850 francs
Canon avec vis de serrage, support, mécanismes de mouvements latéraux et verticaux, hausse & gravure : 3000 francs
4 culasses à 150 Fr. la pièce : 600 francs
Système de percussion : 700 francs
Déchargeoir: 400 francs
Outillage divers : 150 francs

Nota : Le bronze, fourni par les arsenaux, n’entre pas dans le calcul du coût de revient et l’utilisation de l’affût réglementaire de la pièce de 4 livres, même après les modifications apportées, permet de réaliser des économies importantes.
Le prix de la cartouche s’élève à 0,257 F, les 25 cartouches à 6,425 F et le prix de la boite à 1,25 F, soit 7,675 Fr. le coup de mitrailleuse (volée de 25 cartouches).

Descriptif technique

Pour un profane, rien ne distingue, à première vue, l’aspect du canon à balles d’une pièce d’artillerie de l’époque. Un examen plus approfondi révèle pourtant une imposante manivelle à l’arrière du canon et une autre, plus petite, sur son flanc droit. Le tube est disposé sur un pivot vertical La culasse comporte des pièces de forme étrange et si le curieux s’intéresse à la gueule de la pièce, il y découvre un carré percé de 25 ouvertures.
La version définitive est constituée d’un ensemble de 25 tubes en acier de 95 cm de long, façonnés en barreaux de 25 mm de côtés, percés au calibre de 13 mm et rayés intérieurement de droite à gauche (10 rayures). Coulés par l’usine Martin à Rive-de-Gier et Sireuil, les canons sont forés à Saint-Etienne. Les hausses sont produites à Bourges.
L’assemblage en carré des 25 canons est réalisé à Meudon, sur une table en fonte rectiligne, avec quatre plaques de fer forgé. L’ensemble avec la cage de culasse arrière est brasé puis noyé, en fonderie, dans son enveloppe en bronze.

 

Vue de la chambre de culasse et des 25 canons d'un canon à balles

Dans la cage de culasse, viennent s’insérer la culasse mobile et le système de percussion. La culasse mobile est un bloc d’acier percé de 25 trous, en regard de chaque tube et sert de logement aux cartouches. Le système de percussion comporte 25 aiguilles, actionnées par autant de ressorts à boudin et une plaque de déclenchement. Les aiguilles sont montées sur un porte-aiguille et remplaçables, en cas de casse ou d’usure. La plaque de déclenchement est, elle-même, pourvues de 25 découpes. Placée devant la culasse, la plaque retient les aiguilles et comprime les ressorts. La rotation de la poignée de tir, à la droite de la culasse, amène les découpes en face des aiguilles qui sont chassées vers l’avant. Les découpes de la plaque de déclenchement sont en deux parties, une rainure horizontale du diamètre de l’aiguille qui lui permet de s’engager et une section de la largeur du porte-aiguille, qui libère l’ensemble aiguille/porte-aiguille et assure la percussion de la cartouche. Le mouvement est conçu de manière à ce que le départ des 25 coups soit successif et que deux canons voisins ne puissent pas tirer consécutivement, pour éviter le recul et l’action des gaz de chaque cartouche sur la balle voisine. Le bruit produit est un crépitement plus ou moins rapide, selon la vitesse de rotation de la manivelle.
 

Canon à balles – Plan de détails


Les canons à balles sont construits dans le plus grand secret. Dans les notes et courriers échangés, il n’est question que « des expériences dont Votre Excellence connait le but spécial » ou du « canon d’espèce particulière dont Sa Majesté a ordonné la fabrication ». Le personnel de l’Arsenal et leurs familles sont logés à demeure, dans l’enceinte circonscrite aux deux châteaux et au parc, ceinturée de fossés profonds et gardée jour et nuit par l’armée. Tout étranger ou inconnu qui se promène aux environs de l’atelier est systématiquement interpellé et contrôlé. La police à installé à Meudon une équipe d’agents de sureté. L’acheminement des canons au polygone de tir de Satory s’effectue, sous escorte, par le bois, sans traverser Versailles, et la pièce couverte.
En 1866, 24 canons à balle sortent de fabrication. En 1867, la quantité prévue et réalisée est de 100 pièces. Le 17 décembre 1867, la quantité totale est portée à 200 exemplaires. Courant 1868, la production est arrêtée après la sortie de la 190ème mitrailleuse. En mars 1867, Reffye propose de ne stocker au fort du Mont-Valérien, que la quantité nécessaire aux régiments d’artillerie stationnés sur Paris et environs, et d‘expédier les autres dans les forts et places de province à proximité des régiments destinataires. Mais sa suggestion n’est pas prise en compte et, en octobre 1867, une décision ministérielle ordonne la construction de hangars au Mont-Valérien et Montrouge pour emmagasiner les armes. Tous les canons à balles y seront transférés entre le 23 décembre 1868 et le 3 janvier 1870. 48 sont installés sur leurs roues (8 batteries), le reste est engerbé. Le parc des 24 batteries est regroupé au Mont-Valérien. Les pièces sont numérotées de 1 à 190 et sont gravées aux noms de généraux et maréchaux, à l’exception des 25 canons fournis à la Marine, en février 1869, avec 1000 coups par pièce, également stockés au Mont-Valérien – ces 25 mitrailleuses seront rétrocédées à l’Artillerie, à la déclaration de guerre.

 

Canon à balles Général Hanicque – Cour des Invalides (Paris)




Une fois la fabrication achevée, Les ateliers de Meudon continuent à effectuer un certain nombre de travaux en rapport avec ce matériel et procède, notamment, à des séries d’essais comparatifs avec des mitrailleuses Claxton, Gatling et Montigny.
Fonctionnement & Réglages
La mise en œuvre du canon à balles est simple. La culasse mobile garnie de cartouches est insérée dans la chambre de culasse, entre le canon et le système de percussion. A l’aide de la manivelle arrière qui entraine une puissante vis de serrage, l’ensemble système de percussion-culasse mobile est poussé vers l’avant. Les quatre ergots, disposés aux axes médians de la culasse mobile, s’engagent dans les orifices correspondants, percés sur la face arrière du canon et assurent l’alignement des cartouches avec les 25 tubes. Une fois, la culasse mobile serrée au canon, les ressorts sont bandés et la pièce est armée. Le coup parti, il suffit de desserrer la vis de serrage et de remplacer la culasse mobile par une autre chargée à l’avance. Chaque pièce est dotée de 4 culasses mobiles.

 

Canon à balles (croquis - vue du dessus)



Le canon à balles est muni deux hausses :
Une hausse médiane sur le haut de la cage de culasse, couplée à un guidon sur le bourrelet de renfort de gueule, graduée de 500 à 1200 m.
Une hausse latérale, couplée également avec un guidon sur le flanc droit et graduée de 1200 à 3000 m.
Les cartouches sont au calibre de 13 mm. La douille est en carton mais son culot à percussion centrale est en cuivre.

 

Cartouche à balle unique de 13 mm




Reffye est passé par là et le dispositif d’amorçage est de sa conception. Le culot est muni d’un porte amorce qui contient une petite pièce centrale, l’enclumette, séparée de l’amorce Canouil – phosphore rouge entre deux fines feuilles de papier- semblable à celles des pistolets-jouets à bande d’amorces que les plus vieux d’entre nous ont connus– par une mince rondelle en caoutchouc. L’aiguille du percuteur chasse l’enclumette, qui force la rondelle et vient frapper l’amorce. La charge propulsive est constituée de 5 rondelles en poudre comprimée – ce procédé avait vu le jour aux Etats-Unis, durant la Guerre de Sécession et a été repris, en France, par la Poudrerie du Bouchet, installée dans l’actuel département de l’Essonne. La balle en plomb mesure 3 calibres (33 mm) et pèse 50 grammes. Comme on le verra, plus loin, des cartouches à balles multiples seront également produites, de même que des cartouches d’exercice.
La vitesse initiale donnée aux projectiles est de 750 m/s et la portée maximale efficace de l’arme est fixée à 3000 m. Le canon à balles pèse 350 kg, son affût, 371 kg et le poids total de l’ensemble, avec son avant-train, est de 1485 kg. L’attelage est constitué de 4 chevaux et le service de la pièce assuré par 6 servants.

La conduite de tir

Reffye va être confronté à deux problèmes contradictoires, d’une part, obtenir une grande justesse et un groupement régulier de la volée, d’autre part, donner aux balles une dispersion suffisante pour battre un front suffisamment étendu. Dans la batterie américaine Requa, les canons sont mobiles dans le sens horizontal et un levier permet de les faire diverger et d’obtenir un éventail de 121 yards (110,6 m) à 1000 yards (914 m). Ce mouvement est impossible avec des canons liés ensemble. Prévoir une disposition divergente des tubes, n’assure la dispersion souhaitée qu’à distance fixe. Au contraire, à grande distance, la dispersion s’effectue naturellement. La solution retenue par Reffye est de donner aux canons un parallélisme rigoureux, pour obtenir un groupement aussi serré que possible et de faire coïncider la salve – qui n’est pas simultanée mais successive via la rotation de la manivelle de tir – avec un mouvement latéral qui permet de promener sur la cible une gerbe concentrée.

 

Canon à balles (gueule et affût) – Cour des Invalides (Paris)


Le réglage de chaque canon à balles exige une procédure minutieuse. Un premier tir est effectué dans un panneau positionné 1000 m, pour définir le groupement général. Le centre du groupement est mesuré et, si nécessaire, le guidon est limé pour centrer la ligne de mire. Dans une deuxième étape, le tir est effectué par chaque tube, un par un. Ceux, dont le résultat offre un groupement dont le centre s’écarte de plus de 20 cm du centre du groupement général, sont systématiquement rectifiés en « limant ou en remandrinant la bouche sur une certaine étendue, jusqu’à ce que le coup ait été ramené sur le centre ». La précision du canon à balles est exceptionnelle, la dispersion « naturelle » de la gerbe est de 4,50 m à 600 m, 7,50 m à 1000 m, 10,50 m à 1400 m et 15 m à 2000 m. Pour les distances inférieures à 1000 m, il s’avère nécessaire d’augmenter la dispersion.

Deux solutions techniques vont être retenues. La première consiste à faire effectuer, au canon à balles, un mouvement latéral, durant le tir du coup (25 cartouches). Pour ce faire, le canon est monté sur un pivot vertical et une manivelle, positionnée en bas à gauche de l’arme, permet de le déplacer vers la gauche ou la droite, selon le sens de manœuvre. Un servant est chargé d’effectuer, durant le tir du coup, un tour de manivelle dans chaque sens, afin d’assurer un double balayage. Un tour de volant augmente la dispersion du coup de 1,428 m par 100 m de portée. La difficulté réside dans la parfaite synchronisation entre les deux servants, l’un, qui manœuvre la manivelle de tir et l’autre, celle de la divergence latérale du canon, surtout dans des conditions de combat et avec des équipes peu expérimentées, même si la plupart des rapports, établis lors de la guerre franco-prussienne, affirmeront la simplicité de mise en œuvre du canon à balles. Pour éviter de compliquer la tâche des servants en établissant des abaques d’amplitude du mouvement latéral en fonction de la distance, l’usage consistera à n’appliquer qu’un tour complet de manivelle dans chaque sens lors du tir du coup.

 

Tableau établi selon les éléments de l’Instruction sur le Service du Canon à Balles, page 4 & 5.


La cartouche à balle unique, faute d’une dispersion importante, a des résultats médiocres à courte distance, pour des portées inférieures à 800 m. La seconde solution va porter sur les munitions avec la mise au point, début 1870, d’une cartouche à balles multiples, en coupant simplement la balle unique de 33 mm en trois morceaux, réunis par une enveloppe en toile fine.
 


Cartouche à balles multiples de 13 mm


Avec ce type de cartouches, la salve passe de 25 à 75 projectiles. Les résultats obtenus sont si satisfaisants que cette nouvelle cartouche est adoptée à la satisfaction générale des initiés, car il ne faut pas perdre de vue que le canon à balles reste un secret d’Etat. La dotation en munitions d’une batterie réglementaire de 6 canons à balles, est de 72 boites vertes (munitions à balles unique) et 9 boites rouges (munitions à balles multiples) par coffre, sachant que chaque pièce dispose d’un coffre par avant-train et de trois par caisson, soit un total de 24 coffres, ou 1728 coups (de 25 balles uniques, chacun) et 216 coups (de 75 balles multiples). Ramenés au nombre de projectiles, ces quantités donnent 59 400 balles par batterie, de quoi à faire de longs sillons sanglants dans la troupe adverse !
 

Canon à balles – déchargeoir (écorché)



Le rechargement est un élément important. Quand Reffye avait proposé son projet, il aurait fallu affecter plus d’une demi-douzaine de servants par pièce uniquement pour regarnir les culasses mobiles ! Chaque canon à balles est doté de 4 culasses mobiles à 25 logements. Il n’est pas question, sur le terrain, de charger les cartouches une par une dans les culasses, il convient donc de trouver une méthode pour leur rechargement rapide. La solution va venir de deux artifices techniques. Le premier est le déchargeoir, fixé à demeure sur le pied d’affût. C’est un appareil constitués de 25 tiges – de longueur inégale pour diviser l’effort – et d’un levier. Le servant coiffe le déchargeoir avec la culasse mobile et, à l’aide du levier, éjecte les douilles percutées. De son côté, le couvercle du déchargeoir, une fois retiré et positionné à droite de la pièce (Aaaah, le règlement !), sert de table de rechargement. En cartoucherie, les munitions ont été conditionnées par 25 dans des boites en cartons à alvéoles, avec un couvercle coulissant. Il suffit de renverser soigneusement la boite sur la culasse mobile, de tirer le couvercle et les cartouches tombent dans leurs logements. Simple et efficace. Pour les distinguer, les boites de cartouches à balles uniques sont peintes en vert, et celles à balles multiples, en rouge.
 

Boite en carton à alvéoles (contenance 25 cartouches)

Pour le réglage en portée, le manuel d’Instruction préconise la méthode du tir progressif, mis au point, à Satory, sur des cibles fixes. Elle consiste à battre par des salves successives le secteur où se trouve l’objectif. Le pointage initial est réalisé à une distance inférieure à celle estimée pour l’objectif et, après chaque coup, un ¼ de tour est imprimé au volant de hausse pour augmenter la portée. Une table de conversion indique les portées entre 1000 et 2700 mètres par ¼ de tour du volant effectué. A courte distance, un quart de tour correspond à 100 m de portée supplémentaire et la planchette de la hausse médiane offre un réglage fin par graduation de 50 m.
 

Canon à balles - chambre de culasse, manivelle de serrage et d’armement, volants de manœuvre (dispersion latérale et hausse).


Cette méthode a le défaut de consommer des munitions mais, comme le précise le manuel, a l’avantage d’être plus rapide que le calcul de la distance exacte à l’aide d’instruments de précision. L’un des problèmes que vont rencontrer les canons à balles est justement l’estimation précise de la distance du but. Il n’existe pas encore de balles traçantes dans l’arsenal européen, même si, durant la Guerre de Sécession, des projectiles de ce type ont été essayés. Avec les munitions explosives, dont dispose dorénavant l’artillerie, la visualisation de l’impact ou de ses effets est facilement identifiable et mesurable. Au-delà de 1000 mètres, l’observation des résultats d’une salve de canon à balles est beaucoup moins évidente. Ce constat va déboucher sur des consignes particulières d’emploi, notamment l’usage du feu de salves de l’ensemble des pièces d’une batterie de canons à balles. A grande distance, les résultats d’une pièce unique sont insignifiants, c’est donc par batteries entières qu’on devra toujours employer le canons à balles, de manière à produire des résultats immédiats et décisifs et à créer l’impossibilité de manœuvrer sous leurs feux (sic).

Le mystère des cartes d’état-major

Concernant l’information topographique du terrain où se dérouleront les combats des mois d’août et septembre 1870, une petite anecdote mérite d’être citée. Alors que le conflit se poursuit, à l’automne 1870, un concert de protestations va s’élever dans la presse et au sein de la famille des nombreux experts de salon…Comment se fait-il que la plupart de nos officiers soient partis en guerre sans carte d’état-major ?...Pire, pourquoi leur a-t-on distribué des cartes du territoire et des place-fortes allemandes et non celles de nos chères provinces de l’Est ?
Incompétence ! Foutoir ! Etat-major impérial présomptueux et bouffi d’orgueil !
Certes, dès le 21 juillet 1870, le général de Failly, commandant en chef du 5ème Corps, en cours de constitution à Bitche, se fend d’un courrier récriminatoire à l’intention du Ministre de la Guerre… Je demande qu’on envoie…aux généraux des cartes comprenant seulement le théâtre immédiat de la guerre ; des cartes en très grand nombre, formant des ballots énormes ont été adressés pour le 5ème Corps. Mais ces cartes, au lieu d’être celles de la frontière, des pays au-delà et des provinces de France (Alsace et Lorraine) sont pour la plupart des cartes de pays lointains, jusqu’à la Pologne et l’Autriche. Elles ne peuvent donc être d’aucune utilité. Il est nécessaire qu’on reçoive des cartes comprenant le théâtre de la guerre et que chaque officier de toute arme en soit muni.
La réalité est légèrement différente et le général Jarras, nommé, à partir de 1867, Directeur du Dépôt de la Guerre, qui supervise également le service cartographique des armées, donne un éclairage nouveau au problème des cartes. A la déclaration de guerre, des cartes d’Allemagne, de qualité assez moyenne, seront effectivement adressées à tous les états-majors mais, pour ce qui concerne les cartes du territoire français, les officiers et officiers généraux percevant des indemnités de campagne et des frais de bureau, sont sensés acheter, à leurs frais, des cartes géographiques du commerce. Connaissant le côté pointilleux de l’administration militaire, ces dispositions devaient figurer noir sur blanc sur les circulaires d’information. Cela dit, bon nombre d’officiers se conformeront aux prescriptions mais leurs précieuses cartes sont souvent rangées dans leurs cantines, reléguées dans des files de chariots à l’arrière des divisions ou des corps, que la confusion des premiers revers va vite disperser sur les routes de l’Est. Les plus prévoyants qui les auront soigneusement rangées dans les fontes de leur selle, passeront pour des sauveurs aux yeux de leurs malheureux collègues démunis. Ainsi s’exprime le commandant Vidal, aux environs du 26 août, alors qu’il dispose de sa cantine, pour la dernière fois… Je voulais aussi prendre ma carte de France ou tout au moins la partie que nous parcourions ; son volume et le scrupule d’une telle lacération m’empêchèrent de prendre l’un ou l’autre parti ; je le regrettais bien ensuite ! (Campagne de Sedan, commandant P. Vidal, 91e d’Infanterie, 4e Régiment de marche). Ce qui ne l’avait pas empêché, quelques jours auparavant, de se promener dans le centre-ville de Reims, d’admirer la cathédrale mais de totalement omettre d’acheter, chez un libraire local, une carte de la région aux dimensions mieux adaptées à son rôle en campagne.

Doctrine d’emploi du canon à balles

Il faut bien prendre en compte la période d’élaboration de la mise en œuvre opérationnelle de l’arme, qui se situe entre 1864 et 1869. Les premiers exemplaires du Manuel d’Instruction à l’usage des officiers d’artillerie ne seront sous presse qu’au début de 1870. L’arme est nouvelle aussi bien pour son emploi futur que dans sa conception, car c’est la première du genre à être produite en grande série – la Gatling de 1 inch, commandée par l’US Army en juin 1866, en est encore au stade de la production et la douille métallique, beaucoup plus efficace, du même Gatling ne sera brevetée qu’en juin 1868. Bref, tout reste à définir.
Dans un premier temps se pose la question sur son affectation. Infanterie ou Artillerie ? Certes ce sont des artilleurs, l’Empereur, Le Bœuf, Favé, Reffye et autres, qui ont pris en main la destinée du futur canon à balles mais, à l’époque, l’Artillerie est également chargée du développement des armes à feu portatives et de la gestion de ses stocks. Les premiers essais ou déploiement opérationnels d’armes similaires se sont principalement limités au territoire américain et dans un usage comme arme statique d’infanterie pour la protection d’ouvrages (ponts, fortifications), pour la Battery Requa, ou à l’occasion de siège, pour les Gatling modèle 1862 Type II achetées par Butler. En 1864, l’avis général penche pour confier le canon à balles à l’infanterie, quitte à réduire son calibre pour alléger son poids et celui de ses munitions. Mais on y renonce rapidement car la diminution du calibre risque de diminuer fortement sa précision et sa portée. De plus, les positions qu’occuperaient les canons à balles différeraient de celles de l’infanterie, compliquant plus que nécessaire la tâche de leur chef commun. Enfin, argument curieux, son attribution à l’infanterie nécessiterait de révéler son existence et risquerait de compromettre le secret militaire qui entoure le canon à balles.
De toute façon, l’expérience malheureuse du canon de bataillon avait révélé que les distances traditionnelles de manœuvres et d’évolution de la ligne étaient beaucoup trop proches de l’adversaire pour un bon usage d’une pièce d’artillerie dédiée, à fortiori pour le canon à balles encore plus performant. Il sera d’ailleurs prescrit aux unités d’infanterie de ne pas gêner le tir de celui-ci, sachant qu’aucun de ses cadres n’en a même jamais entraperçu ne serait-ce que la silhouette ! Preuve en sont les propos du commandant Vidal, déjà cité plus haut, lorsque fin août 1870, il croise avec ses hommes, une batterie de canons à balles. Ce fut alors pour la première fois qu’il me fut donné de voir des mitrailleuses dont une batterie était sur notre route. La vue de ces mystérieuses pièces à la forme étrange, construites et essayées avec tant de secret, ne laissaient pas de nous inspirer une certaine confiance…
En France, l’infanterie va se voir doter du nouveau fusil modèle 1866, le Chassepot – dont la production coïncide avec celle du canon à balles – sur lequel on fonde de grands espoirs. Commandé à 400 000 exemplaires, il offre une portée de tir efficace, de l’ordre de 800 m et sa hausse est graduée jusqu’à 1200 m. Le fusil Dreyse à chargement par la culasse et à aiguille qui équipe l’armée prussienne, lui rend au moins la moitié de sa portée. De surcroit, le chargement par la culasse permet dorénavant le rechargement durant le tir couché, particulièrement utile pour les unités de chasseurs et de tirailleurs, sensés harcelés l’adversaire en avant et sur les flancs de la ligne. A la différence de la longue tradition en usage dans l’armée britannique, l’armée française n’a jamais vraiment encouragé, pour son infanterie, le tir de précision mais plutôt privilégié le tir de salves par un grand nombre de tireurs. En plus, les exercices de tir consomment inutilement de chères et précieuses munitions ; les quantités allouées annuellement pour l’instruction du tir sont de 66 cartouches, tirés en 11 séances pour un fantassin expérimenté et de 60, en 8 séances, pour une jeune recrue. L’infanterie de ligne est destinée, avant tout, à manœuvrer dans l’optique d’un affrontement final à la baïonnette car la réputation de bravoure du fantassin français, la célèbre furia francese, est telle qu’elle est quasiment instituée en dogme par l’Etat-major.
En 1864, la décision est prise, le canon à balles sera en dotation dans l’artillerie. Le canon est efficace contre les obstacles mais peu meurtrier contre les formations minces, la mitrailleuse a les propriétés inverses. Leur emploi conjoint parait une évidence. Au départ, on envisage une dotation d’une section de 2 mitrailleuses par batterie de 6 canons mais les premiers essais révèlent que le réglage des canons à balles ne peut se faire que par observation des résultats obtenus, ce qui ne s’avère pas possible avec des pièces isolées. D’où la décision de les déployer par batterie complète.

Constitution d’une batterie de canons à balles - Batterie de combat et réserve.

Batterie de combat : 1 capitaine-commandant, 3 lieutenants ou sous-lieutenants, 79 hommes, 67 chevaux (dont 19 de selles), 6 pièces, 6 caissons répartis en 3 sections.
Réserve : 1 capitaine en second, 69 hommes, 43 chevaux, 2 caissons, 1 affût de rechange, 2 chariots de batterie.
La dotation en munition est de 418 coups par pièce, 324, à la batterie de combat et 94 à la réserve.

Service du canon à balles (6 servants par pièce)

A la pièce,

1er servant à droite, chargé de la manœuvre de la vis de serrage, de placer les culasses chargées dans la cage, d’armer et de mettre le feu.
1er servant de gauche, aide le précédent à manœuvrer la vis de serrage, retire la culasse tirée de la cage, pointe la pièce et actionne le volant de mouvement latéral.
2ème servant de droite, charge les culasses sur la caisse-couvercle du déchargeoir.
2ème servant de gauche, vide les culasses sur le déchargeoir.

A l’avant-train,

3ème servant de droite et 3ème servant de gauche, alternent pour approvisionner la pièce

En attendant la distribution du nouveau fusil à chargement par culasse, pour remédier à l’infériorité du fusil alors en dotation, on décide, en 1867, de porter l’effectif de l’artillerie divisionnaire de 2 à 3 batteries. Les deux batteries initiales sont équipées, chacune, de 6 pièces de 4 livres rayées, adoptées en 1859, la troisième sera dotée de canons à balles, une fois qu’on disposera de la quantité suffisante. Jusque là, les mitrailleuses, au fur et à mesure de leur production, seront constituées en batteries de réserve. Le nombre de batteries est d’abord fixé à 18, puis, fin 1867, le nombre de divisions d’active passe à 21 et le nombre de batteries de mitrailleuses est porté à 24 (dépêche ministérielle du 17 décembre 1867).

L’instruction pour le service du canon à balles de 1870 est divisée en 3 chapitres. Le premier, Résultats d’expériences, regroupe les tables de tirs et leurs commentaires, des renseignements sur l’influence météorologique, la méthode du tir progressif, l’emploi du mouvement latéral, des exemples de tir et de résultats de polygone. Le deuxième chapitre traite de l’Exécution des feux, le dernier, du Service en campagne.

Distances et limites d’emploi

Malgré son aptitude à combattre l’infanterie, le canon à balles doit être maintenu hors de portée du fusil. Il est sensé porter la balle à des distances que n’atteignent ni la balle du fusil d’infanterie ni le tir à mitraille de l’artillerie. L’engager sous le feu de l’infanterie serait le détourner de son but, l’employer dans de mauvaises conditions et l’exposer à une destruction certaine.

Unités de tirailleurs en ordre dispersé, distance minimale 1000 m.
Unités nombreuses et déployées, distance comprise entre 1400 m et 1800 m (2000 m, au maximum).
Les unités en colonne ou à cheval peuvent être engagées jusqu’à 2400 m et les batteries d’artillerie, 2500 m.

Par comparaison, à la même époque, le document distribué aux officiers d’artillerie, Observations sur le service de l’artillerie de campagne, précise qu’il faut s’abstenir de tirer avec l’obus ordinaire à plus de 2000 m et l’obus à balles, au-delà de 1300 m Ce qui confirme bien que le canon à balles est, dans l’esprit de ses concepteurs, la solution pour compenser les insuffisances du tir fusant de l’artillerie. Techniquement, en 1869, l’obus ordinaire est muni d’une fusée tempée à deux évents, prévus pour les distances fixes de 1400 et 2750 m et l’obus à balles d’une fusée similaire mais à 4 évents, réglés pour 500, 800, 1000 et 1200 m. Dès le début du conflit, l’artillerie française constatera la faiblesse de son choix de la fusée tempée, au comportement des plus aléatoires, face à la fusée percutante adoptée par les armées allemandes.

La portée maximale d’emploi des mitrailleuses est fixée à 3000 m, même si à cette distance la munition du canon à balles est capable de traverser 9 cm d’épaisseur de bois de sapin. La dispersion, l’influence du vent et l’augmentation de l’angle de chute qui réduit la profondeur de la gerbe entraine une consommation exagérée de munitions pour des résultats difficilement identifiables.

Pour revenir sur le comparatif entre les systèmes d’arme similaires existant avant la guerre franco-prussienne, hormis l’armée française, toutes les autres armées, US Army incluse, se contentent de juger des effets de la mitrailleuse à moins de 1000 mètres de portée. Le 28 septembre 1867, l’armée autrichienne teste la Gatling et le mitrailleur Montigny entre 300 pas (225 m) et 800 pas (600 m). Distance d’emploi justifiée par la moindre portée efficace des armes testées. Quasiment à la même époque, le 24 février 1868, les distances d’emploi du canon à balles sont fixées à 1400, 1800 et 2400 m !

En mars 1868, une série d’essais est menée, avec les résultats suivants :

Tir de 10 coups (250 balles) sur 13 panneaux représentant de l’infanterie en colonne, espacés de 8,64 m à 6,70 m.

A 2000 m : 178 balles mises.
A 2200 m : 141 balles
A 2400 m : 103 balles (15 panneaux)
A 2600 m : 37 balles
A 3000 m : 39 balles

Des essais comparatifs avec une Gatling sont également effectués sur un bataillon à 6 pelotons ployés en colonne double à distance de peloton, et sur un bataillon déployé présentant un front de 210 m.

 

 





Canon à balles - Dessin à la plume extrait de Mitrailleuses et Pièces de Campagne, représentant l’environnement des Ateliers de Meudon.

L’artillerie divisionnaire est constituée de 2 batteries de 6 canons de 4 livres, chacune, et d’une batterie de 6 mitrailleuses. Les canons sont destinés à écraser les obstacles derrière lesquels se retranche l’ennemi, tandis que les mitrailleuses sont employées contre des troupes découvertes. Pour le combat, elles seront disposées en avant des lignes d’infanterie, sur des positions d’où l’on découvre le mieux le pays. Elles doivent protéger la marche de l’infanterie, en fouillant les plis du terrain, accablant les réserves, dispersant les groupes de cavaliers et maintenant l’artillerie ennemi à distance. L’instruction considère que les batteries de mitrailleuses pourront se maintenir dans des positions avantageuses pendant que l’infanterie les dépasse de 700 à 1000 mètres, en tirant, au-dessus des fantassins, sur un ennemi situé à 2000 m. Il est prévisible que les batteries de mitrailleuses soient prises à parti par l’artillerie adverse mais les rédacteurs estiment que le réglage par le tir progressif de la mitrailleuse est plus rapide que pour le tir d’obus. Si les projectiles adverses deviennent trop menaçants, la batterie de mitrailleuse changera de position à vive allure par une marche oblique, obligeant les canons ennemis à reprendre leurs réglages et lui infligeant de nouvelles pertes durant cette période.
Ces prescriptions vont dévoyer l’emploi des mitrailleuses. Initialement, les Observations rédigées antérieurement à l’Instruction, précisaient que l’objet principal de l’artillerie dans une bataille est de diriger son feu sur les troupes ennemies et non sur leur artillerie, à moins que les troupes ennemies soient à couvert et que les nôtres ne souffrent trop de leurs canons. Dorénavant, à quelques mois du prochain conflit, le rôle des mitrailleuses est totalement inversé. Les performances du nouveau fusil en sont la cause. L’infanterie française, grâce à la supériorité de son arme, est désormais considérée hors d’atteinte des autres infanteries mais reste toujours sous la menace de l’artillerie qu’elle ne peut atteindre. Il est donc utile de la débarrasser d’abord de ce danger en attirant sur le canon à balles les obus ennemis. L’artillerie prussienne va pleinement se conformer à cette tâche et, dans ces duels d’artillerie, les mitrailleuses françaises supplantées en portée seront perdantes. Aux cours des combats, les chefs de batterie de mitrailleuses, déçus des résultats, chercheront à les utiliser différemment mais, en dépit de résultats plus que tangibles, le respect de l’Instruction reste la règle et certains se feront réprimander pour mauvais usage du matériel ! Même Reffye, le 14 octobre 1870, persiste et signe en écrivant…On se sert des batteries (de mitrailleuses) de façon idiote. Elles ne sont bonnes qu’à grande distance et agissant par masse et on les fait combattre de près comme des fusils. Elles doivent tirer sur l’artillerie à 2000 mètres. Une note ministérielle (Ministère de la Guerre, 4ème Direction (Artillerie), 2ème Bureau) rappelle le « bon usage » de la mitrailleuse, dont la bonne portée est entre 1200 et 2000 mètres. Contre l’artillerie, la cavalerie et les masses profondes, on peut l’employer jusqu’à 2400 mètres. Si le feu d’une batterie à balles est bien conduit, elle doit, à la distance de 2000 mètres détruire, en moins d’un quart d’heure, les servants et les chevaux d’une batterie ennemie…le tir n’a d’efficacité qu’aux grandes distances.
C’est là que diverge, dès l’avant-guerre, l’emploi des mitrailleuses selon les états-majors. Britanniques et Américains considèrent qu’un duel entre artillerie et mitrailleuse ne peut être qu’exception car cette dernière, au-delà de 1400 m, sera inévitablement battue du fait de la portée supérieure du canon de campagne. C’est aussi peu rationnel que d’envisager une charge de cavalerie sur des carrés d’infanterie armés de fusils à magasin ou se chargeant par la culasse. (Major Fosbery, Armée britannique – Revue Militaire Française, mai 1870). C’est aussi l’opinion du public français, qui estime, en l’absence d’information précise, la portée utile d’une telle arme limitée à 1500 m, mais l’état-major, à partir des résultats de tirs au polygone, a établi des portées d’emploi nettement supérieures et conçu un usage tout différent. La justesse de vue de l’un ou l’autre parti, sa faillite ou son succès, ne se vérifiera malheureusement que sur le terrain.

Instruction des cadres

L’Etat-major avait considéré que l’attribution des canons à balles à l’Artillerie offrait un avantage supplémentaire pour maintenir le secret autour de l’arme. La compétence technique des artilleurs permettra de limiter la formation ad hoc au strict minimum. Un stage d’initiation de 2 jours, organisé à l’intention des cadres, est considéré comme amplement suffisant, pour le reste, la lecture de l’Instruction, qu’il est prévu de publier, doit y pallier. Les armes nouvelles ne seront distribuées en unités qu’au tout dernier moment. On avait déjà fonctionné de la sorte pour le nouveau canon-obusier, lors de la Campagne de Crimée, et pour la pièce de 4 livres rayées, qui n’avait été confiée aux batteries qu’une fois rendues en Italie, en 1859 -à cette époque, le général Le Bœuf était d’ailleurs commandant en chef de l’artillerie de l’Armée des Alpes-. Cà avait bien râlé un petit peu dans les rangs des officiers subalternes qui avaient essuyé les plâtres mais, globalement, en haut-lieu, on s’était montré satisfait du stratagème. On procédera donc de la même manière pour les mitrailleuses.
A l’époque, le service d’une arme par la troupe et les sous-officiers passe, avant toute chose, par l’instruction de son commandement. Disons-le tout net, il ne règne pas une grande opinion dans le corps des officiers, sur la compétence de ses subordonnés. Les sous-officiers sont considérés comme des coureurs de solde à l’ancienneté et la troupe, à base d’appelés, dépourvus de fortune pour se payer un remplaçant, comme une bande d’incompétents illettrés, tout juste bonne à effectuer des mouvements répétitifs, inculqués sous une forme basique – l’apprentissage de la marche au pas cadencé, sur l’ordre de « Paille ! Foin ! », pour distinguer la gauche de la droite, n’est pas qu’une aimable légende-. Pourtant, l’emploi efficace d’une arme implique d’instruire l’ensemble de son personnel, pour éviter, dans l’émotion des combats, nombre de d’enrayages et d’accidents de tir. De même, l’encadrement doit s’accoutumer à l’exploitation des résultats, interpréter les effets et rectifier rapidement les réglages. On va pourtant s’asseoir aimablement sur ces sages préceptes.

A partir du mois d’avril 1868, quatre séries de stages, d’environ une semaine de durée, sont constitués pour des capitaines-commandant de batterie. Pour bénéficier de ce stage, les officiers désignés doivent, au préalable, signer un engagement particulier.

 

 

 

Au total, 24 capitaines, un colonel et un général, directeur de l’artillerie de la marine participeront à ces stages de formation, entre avril et mai 1868. Mais, lors de l’entrée en campagne, à l’exception de trois d’entre eux, les officiers instruits ne seront pas affectés à des batteries de canons à balles !
A la déclaration de guerre, on va être obligé d’effectuer à la hâte, les désignations des commandants de batterie de mitrailleuses, d’expédier les cadres à Meudon, de mettre sur roues les voitures engerbées - car tout est soigneusement stocké, de la pièce de 12 livres à la ceinture de flanelle – puis de les diriger avec leur précieux chargement sur les garnisons et les points de concentrations, alors que les gares du chemin de fer sont débordées par les envois de vivres et de matériels, les unités d’actives sont souvent débarquées au petit bonheur-la chance et le réserviste, demeurant à Langres ou à Nancy, expédié sur son dépôt d’affectation à Bordeaux ou en Algérie avant d’être redirigé sur Bitche ou Strasbourg pour rejoindre son unité !
Le commandant Reffye et le capitaine Pothier, remplaçant de l’infortuné Schulz, vont assurer, dans l’urgence, la formation des cadres, officiers et sous-officiers, de 28 batteries, convoqués entre le 9 juillet et le 15 juillet 1870. A partir du 11 juillet, les convocations aux stages inclus un brigadier, 5 servants et 2 ouvriers en fer. Il était temps ! Dans l’incertitude des affectations, les convocations vont porter jusqu’à 3 batteries par régiment mais, en réalité, seules, 15 batteries, sur un total de 24, bénéficieront du stage. Le 2 août, alors que, pour la première fois, les mitrailleuses de la 9e batterie du 5e régiment d’artillerie (2ème division, 2ème Corps) ouvrent le feu à Sarrebrück, de nouveaux stages d’initiation au canon à balles sont encore organisés à Vincennes, Besançon et Bourges ! Mais, alors que le Ministre, par circulaire, insiste sur l’importance de ces stages pour former des noyaux d’instruction au sein de leurs batteries, cela n’empêchera pas le personnel « spécialisés » de se retrouver affecté à des batteries de 4, de 12, où à l’état-major divisionnaire tandis que les mitrailleuses sont confiée aux mains inexpertes de servants ignorants, commandés par des officiers qui n’ont que des notions plus que sommaires sur leur emploi. Les voies de l’administration militaires sont souvent impénétrables ! Entre le 15 juillet et le 9 septembre 1870, 29 batteries (174 mitrailleuses) sont assemblées et distribuées. A chaque envoi d’une batterie complète, sont joints 4 tableaux de composition de batterie et 4 Instructions sur le service du canon à balles. C’est déjà insuffisant pour une batterie de 6 pièces mais il s’avère, en plus, qu’on a oublié de mettre les états-majors dans la liste des destinataires !
Tout en menant de front, l’assemblage des mitrailleuses – dès le 12 juillet 1870, 18 batteries sont mises sur roues et l’inventaire de l’état des munitions stockées assure un approvisionnement pour 30 batteries à 800 coups par pièce - et les stages du personnel, Reffye et son équipe se dépensent sans compter. Ils vont, de leur propre chef, livrer plusieurs batteries aux unités sur le terrain, effectuer les ultimes réglages, improviser des cours d’initiation, organiser des tirs d’exercice. Mais la tâche est démesurée et bien souvent, les batteries sont réceptionnées dans l’inconnu le plus complet. Les documents joints ont beau prescrire, dès la réception du matériel, de procéder à un exercice et, si possible, d’exécuter un tir, pour la plupart des batteries, la première école à feu aura pour objectif les batteries allemandes redoutablement entrainées et qui ont pour consigne de les faire taire dans les plus brefs délais.

L’artillerie des belligérants en 1870

Depuis 1867, l’Artillerie est constituée de 16 régiments montés - regroupant 126 batteries montées et 28 à cheval – de 5 régiments à cheval ayant ensemble 38 batteries et 1 régiment de pontonniers. Les batteries à cheval et montées attèlent elles-mêmes leurs pièces, leurs caissons, leurs voitures, tandis que les batteries à pied et les parcs d’artillerie sont attelés par une troupe spéciale, le Train d’Artillerie réparti en 26 compagnies (2 régiments et un escadron de la Garde). En théorie, l’armée française aligne donc 164 batteries pouvant servir 984 bouches à feu mais, en 1870, 10 batteries restant stationnées en Algérie, le total des pièces s’élève à 924 dont 12 de montagne totalement inutiles. L’armée du Rhin, au 1er aout 1870, dispose de 108 batteries de 4 (648 pièces), 22 de 12 (132 pièces), soit 780 canons et 24 batteries de mitrailleuses (144 pièces) – En face, l’armée allemande déploie, 1170 pièces de première ligne (Feldartillerie), réparties en 13 Regimenter, qui disposent également de 234 pièces supplémentaires en deuxième ligne, et 22 Festungsartillerie-Abteilungen (artillerie de forteresse). Numériquement, l’artillerie française aligne un tiers de pièces de moins que son adversaire.

 

Canon de 4 livres rayés, modèle 1859



Question performances, c’est encore pire. Alors que les armées allemandes disposent de pièces en acier à chargement par la culasse, l’artillerie française est entièrement équipée de pièces en bronze à chargement par la bouche. La production du canon à balles achevée, dès 1868, Reffye a entrepris la mise au point d’une pièce de 7 livres à chargement par la culasse, mais à la déclaration de guerre, il n’en existe que 4 exemplaires. La différence de chargement, bien qu’influant sur la vitesse de rechargement et la reprise des réglages, n’est pas un énorme handicap en soi. Par contre, le cumul des points faibles en est un. Les batteries françaises sont dotées de pièces de 4 livres, de 12 livres et de canons à balles. Le 4 livres rayé (86,5 mm), unique calibre endivisionné (2 batteries de 6 pièces), est très maniable mais son obus de faible poids manque de précision et son affût est fragile.
 

Canon de 12 livres - photographie prise durant la Commune en 1871


La pièce de 12 (121,3 mm) est plus robuste et plus performante mais n’est distribuée que dans les batteries de réserve, à hauteur de 12 pièces par corps d’armée, le reste étant affecté à la Réserve Générale de l’Artillerie, qui, début août 1870, sera regroupée à Nancy, à plus de 120 km des premiers combats. La portée théorique pour ces deux pièces est de l’ordre de 2800 m pour la pièce de 4 et un peu plus de 3000 m, pour le 12 livres, mais l’emploi de fusées fusantes (minuterie), provoque l’explosion des obus à la distance maximale de 2800 m, alors que les batteries allemandes endivisionnées de 4 (leichte Feldkanone,7,85 cm) et de 6 (schwere Feldkanone, 9,15 cm), utilisant des fusées percutantes, vont, dans la mesure du possible, se mettre hors de portée en engageant le tir à 3000 /3500 m ! L’obus français éclate en 21 éclats, l’obus allemand en 42. De surcroit, l’artillerie allemande manœuvrera en masse tandis que les batteries françaises opèreront en ordre dispersé. On constate, au passage, que la portée maximale des canons à balles, 3000 m, est supérieure à celles de l’obus ordinaire français, 2600 m, handicapé par l’usage de sa fusée tempée, ce qui peut expliquer, en sus de la tactique d’emploi définie, les duels à longue portée entre l’artillerie allemande et les mitrailleuses françaises.

 

Pas cinq minutes que j’ai commencé et la guerre est déjà finie.
Faut croire que j’aurai tourné la manivelle trop vite !




 

   


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