Etude réalisée à l’été 2019 par Charles JANIER, après sa visite sur les lieux-mêmes des ruines de la Redoute de TAFAOUGHALT Il est des lieux ignorés du grand public et qui ont pourtant écrit l’histoire. Tel est le sort de la Redoute de TAFOUGHALT à l’extrême Est du Maroc, que l’on nomme l’Oriental, et où se sont produits au siècle dernier des événements qui sont tombés dans l’oubli. Dans cette région se présente, sur une longueur de 56 km d’Ouest en Est et de 24 km du Nord au Sud, une faible plissure du relief qui longe au Sud le littoral méditerranéen marocain et que l’on appelle les Monts des BENI-SNASSEN dont l’altitude moyenne est de 800 mètres. Le point culminant des Béni-Snassen est de 1.535 mètres, c’est RAS FOUGHAL. Cet ensemble montagneux est limité, au Nord par la Mer Méditerranée, au Sud par l’Oued Isly, à l’Ouest par le fleuve Moulouya, et à l’Est par l’Oued Kiss qui, vingt kilomètres plus à l’Est, longe la frontière entre le Maroc et l’Algérie. Les habitants de ces monts sont en majorité des berbères, les Zénètes qui sont berbérophones et dont, il n’y a encore pas longtemps, le parler, le Snassi, faisait partie de l’ensemble Rifain. Ces populations constituent quatre tribus : d’Ouest en Est, les Aït Ourimech, les Aït Atiq, les Aïts Mankouch et les Aïts Khaled. Du fait de leur situation géographique les Monts des Béni-Snassen revêtent une importance stratégique particulière puisqu’ils longent à l’Est du Maroc la frontière entre ce pays et l’Algérie, frontière qui de tout temps a été et est encore aujourd’hui une zone à haute tension politique.
En 1830 l’armée française a débarqué à ALGER pour mettre fin à la piraterie dont les corsaires de cette région empoisonnaient depuis des siècles la circulation maritime en Mer Méditerranée. Au bout de dix années d’hésitation, en 1840, la France décide d’étendre la conquête de cette nouvelle contrée aussi bien vers l’Est que vers l’Ouest. Les tribus marocaines voient d’un mauvais œil ces étrangers s’installer le long de leur frontière et lancent régulièrement des rezzous contre les installations françaises. Les plus virulentes de ces tribus sont celles des Béni-Snassen. Pour mettre fin à ces exactions l’armée française décide de frapper un grand coup et commande au mois d’octobre 1859 une expédition punitive contre ces agitateurs. Au début de ce mois d’octobre 1859 le point de départ et de ravitaillement de l’expédition est une redoute que les soldats français construisent à l’Est des Béni-Snassen au bord de l’Oued Kiss. Malgré une épidémie meurtrière de choléra qui, quinze jours après, frappe l’armée française, celle-ci parvient à pénétrer dans les Monts des Béni-Snassen jusqu’à l’Ouest où, pour consolider sa position, elle construit une seconde redoute, très exactement au Col d’AÏN TAFOUGHALT (800 m d’altitude).
Le commandement français choisit cet emplacement pour plusieurs raisons : 1- AÏN TAFOUGHALT est un mamelon qui se situe à 800 mètres d’altitude en position dominante au milieu de sept autres sommets disposés à l’extrémité Ouest des Monts des BENI-SNASSEN et qui dominent au Sud la plaine de la Moulouya. 2- Le mamelon d’AÏN TAFOUGHALT se présente sous la forme d’un plateau assez régulier sur lequel on peut facilement construire un camp 3- Comme son nom l’indique, une source coule au pied du mamelon d’AÏN TAFOUGHALT. A partir de cette installation l’artillerie française continuera à réduire les embuscades que les Béni-Snassen cherchaient à tendre sur les collines voisines. C’est à cette artillerie que les soldats français doivent leur succès. Le 31 octobre 1859 El Hadj MIMOUN, chef de la coalition des tribus Béni-Snassen, offre sa soumission au général qui commande les troupes françaises. L’année suivante, en 1860, l’armée française quitte la redoute de TAFOUGHALT pour rejoindre ses cantonnements en Oranie, de l’autre côté de la frontière.
Libres à nouveau de leurs mouvements les tribus des Béni-Snassen reprennent très vite leurs incursions au-delà de la frontière entre le Maroc et l’Algérie pour vite retourner se mettre à l’abri au Maroc. En 1907 le général Hubert LYAUTEY prend le commandement de la Division d’ORAN. En mars 1907, sur ordre du gouvernement français, il occupe OUJDA. Et pour mettre fin aux exactions des Béni-Snassen le long de la frontière avec le Maroc il lance en septembre 1907 une nouvelle opération d’envergure en territoire marocain contre ces tribus fanatisées par le Marabout Si Mokhtar MOUTCHICH. Au bout de trois mois les soldats français réussissent à s’infiltrer dans les monts des Béni-Snassen jusqu’à leur limite Ouest. Ils réoccupent le jour de Noël 1907 la redoute de TAFOUGHALT, abandonnée en 1860. Le 29 décembre 1907, avec 30.000 de ses combattants Béni-Snassen, le Marabout Si Mokhtar MOUTCHICH offre sa soumission au général LYAUTEY. Dès le début de l’année 1908, les soldats français abandonnent pour la seconde fois le plateau de TAFOUGHALT pour retrouver au-delà de la frontière, en Algérie, leurs garnisons respectives.
Au début de l’année 1912 le Sultan du Maroc, Moulay ABD-EL-HAFID, assiégé par plusieurs tribus dans sa capitale de FES, demande l’intervention militaire française. Le 30 mars 1912 est signé le Traité de FES qui instaure le protectorat de la France sur le Maroc en vue d’ « établir au Maroc un régime régulier fondé sur l’ordre intérieur et la sécurité générale qui permettra des réformes et assurera le développement économique du pays. » L’Espagne a toujours eu des ambitions sur le Maroc. Pour satisfaire ces aspirations, un accord est conclu en novembre 1912 entre la France et l’Espagne, qui délimite deux zones d’influence espagnole au Maroc : - au Nord, depuis LARACHE sur la côte atlantique marocaine jusqu’aux Iles Chafarinas sur la côte méditerranéenne marocaine, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Algérie. - au Sud, la région d’IFNI. Avec l’Allemagne, qui manifestait également quelques prétentions sur le Maroc, un accord de troc colonial avait été conclu en novembre 1911 selon lequel l’Allemagne accepte le contrôle français sur le Maroc et reçoit en échange une partie du Congo.
Au début de la première guerre mondiale, dès l’été 1914, le commandement français décide dans un premier temps de mettre à l’abri des combats les territoriaux qu’il a mobilisés dans le cadre des Régiments d’Infanterie Territoriale (R.I.T.). C’est ainsi que la 1ère Compagnie, Compagnie A, du I / 112ème R.I.T. est envoyée au Maroc pour compenser le vide créé par le départ vers le front du Nord de la France des unités de Tirailleurs et de Goumiers Marocains. La Compagnie A / I / 113ème R.I.T. s’installe dans l’ancien Camp de TAFOUGHALT, pour y tenir garnison et consolider la redoute.
La mission principale, dévolue à ces Territoriaux, consiste à bâtir en dur les casernements de la redoute de TAFOUGHALT. Pendant deux années, de 1914 à 1915, la Compagnie A y construit un solide camp fortifié qui s’étale sur une surface de 22.000 m2. Elle laissera pour la postérité sa marque gravée sur la lunette du bâtiment principal de la redoute : « Compagnie A – 1915 ».
Il fallait donner plus de majesté à l’allée centrale d’accès au camp. Pour ce faire les murs qui la bordent à droite et à gauche sont un peu plus travaillés. La jointure entre chaque pierre de taille est saillante. Elle est disposée de manière à respecter au mieux l’alignement des pierres, en hauteur comme en longueur.
A l’entre-deux-guerres la redoute du TAFOUGHALT est tenue par le 3ème BILA (Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique). La Guerre Civile Espagnole de 1936 provoque un renforcement du contrôle de la frontière avec le Maroc Espagnol.
En 1936 le 36ème Goum s’installe à TAFOUGHALT. A la veille du déclenchement de la seconde guerre mondiale, en avril 1939, les putschistes espagnols, commandés par le général Franco, sortent vainqueurs de la Guerre d’Espagne. Et Franco manifeste ostensiblement ses intentions d’intégrer l’Oriental au Maroc espagnol.
Pour faire face à cette menace, au cours de l’été 1939, le poste de TAFOUGHALT est solidement fortifié dans le style, très en vogue à l’époque, de la Ligne Maginot avec plusieurs abris et galeries souterrains, profondément protégés.
Et l’agencement intérieur de la redoute est harmonieusement amélioré.
Le camp de TAFOUGHALT est prolongé dans la partie Ouest du mamelon sur une longueur de 180 mètres supplémentaires, d’Est en Ouest. La longueur totale de la redoute passe de 220 à 400 mètres. L’extension du bastion ne repose plus sur le plateau car celui-ci se prolonge à l’Ouest par deux rochers successifs. Sur le premier rocher est élevé un château d’eau. Le second rocher est aménagé en casemate type Ligne Maginot, avec une galerie de liaison et de cantonnement.
Les cadres des différentes unités qui se succèdent à TAFOUGHALT se détendent dans un Mess à l’occidentale, avec bar, salon, cheminée, cuisine, salle à manger.
Au sud des deux rochers qui dominent à l’Ouest le camp de TAFOUGHALT, sont construits d’élégants logements pour les militaires mariés. Ces bâtisses sont adossées au mur d’enceinte Sud le la redoute. C’est une succession de sept blocs qui abritent chacun deux petits appartements juxtaposés, assimilables à des villas individuelles.
Un dispensaire est construit au Nord-est du plateau avec ses fenêtres caractéristiques de l’architecture maghrébine de l’époque
Outre la fortification de la face Ouest du bastion quatre autres casemates type Ligne Maginot sont construites : - l’une au Nord-est du camp
- deux autres sur la face Est de la redoute
- une dernière au Sud du mur d’enceinte
L’intérieur d’une casemate de TAFOUGHALT réservée au tireur FM couché
Pendant les travaux de fortification de l’année 1939 la redoute de TAFOUGHALT est confiée à la garde du XVème Groupement de Goums, commandé par un capitaine, et qui engerbe les 134ème, 136ème, 234ème et 236ème Goums de Marche. Au début de la seconde guerre mondiale, pour échapper aux contrôles des commissions d’armistice imposées après la défaite française de juin 1940, les Goums Marocains sont camouflés sous les couleurs de Mehallas Chérifiennes. C’est ainsi que le XVème Groupement de Goums est rebaptisé Xème Tabor Chérifien qui comprend les 84ème, 85ème et 86ème Goums Chérifiens. Cinquante tonnes de munitions du dépôt d’OUJDA sont cachées secrètement dans un des souterrains de TAFOUGHALT. En 1943 le Xème Tabor Chérifien est remplacé par le 16ème Goum.
Puis en 1953 le 18ème Goum, de retour d’Indochine, s’installe à TAFOUGHALT où il remplace le 16ème.
Trois ans après le Maroc est indépendant. En mai 1956, l’armée française remet les clefs de la redoute de TAFOUGHALT à la nouvelle armée marocaine.
L’armée française sera restée sur le plateau de TAFOUGHALT, solidement fortifié, pendant 49 années, de 1907 à 1956, au cours desquelles la paix et la prospérité auront régné sur les Béni-Snassen. Il est regrettable que, 15 ans après la consolidation de ce camp en 1939, le commandement français n’ait pas cru bon d’appliquer en Indochine la même technique de construction type Ligne Maginot lorsqu’il a aménagé en 1953 le camp retranché de DIÊN-BIÊN-PHU. A cause de leur estimation erronée des capacités de l’adversaire, à DIÊN-BIÊN-PHU les français ont protégé les casemates de leurs points d’appui avec des rondins d’arbres. Est-il nécessaire de rappeler quels furent les résultats désastreux du système de protection retenu ? Aujourd’hui, dans les années 2010-2020, les murs de la redoute de TAFOUGHALT sont toujours debout mais tous les bâtiments du bastion sont abandonnés et en ruine. Ils sont toutefois gardés par trois soldats des Forces Armées Royales (FAR) Marocaines, commandés par un sergent-chef. L’entrée des galeries type Ligne Maginot est définitivement condamnée par des blocs de pierre pour éviter que des marginaux incontrôlés ne viennent, ni vus ni connus, y commettre des incivilités à la barbe de la communauté. Ceci explique pourquoi nous n’avons pas pu, comme cela nous aurait intéressés, prendre en photo l’intérieur des galeries, ce qui nous aurait expliqué par l’image la façon dont elles ont été conçues. Précisons que dans les années 2000 les Eaux et Forêts Marocaines ont introduit le mouflon dans les Monts des Béni-Snassen. Aujourd’hui, presque vingt ans après, on en dénombre 250 individus appelés « mouflons à manchette » qui vivent en liberté dans ces montagnes. Ils donnent vie à ces lieux, devenus Parc naturel, alors qu’autrefois les Béni-Snassen se trouvaient retirés du monde et étaient voués à l’unique défense. Voir article Sur les Troupes de l Armée d'Afrique du même auteur
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