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Occupation des territoires civilisation de Fontbouisse |
Auteur : Jean Gasco
L’impact de l’activité humaine sur le territoire des garrigues n’a été réellement sensible qu’à partir de la seconde moitié du IV e millénaire avant notre ère. Il résulte pourtant d’un long processus engagé il y a environ 8 000 ans avec le Néolithique. Les hommes devenus producteurs de leur alimentation cultivèrent alors la terre. Ils créèrent des champs en clairières et parcoururent les landes et la forêt avec leurs petits troupeaux mixtes d’animaux domestiques. Les occupations humaines semblent, durant cette longue période, opportunistes : sont utilisés les cavités karstiques les plus favorables (vallée du Gardon) ainsi que les rares sites bénéficiant de sols légers pouvant être travaillés par les outils à lames de silex, ou encore les abords de quelques rivières et sources assurant l’abreuvoir des bêtes. Jusqu’alors ces terres qui ne sont pas inconnues et que l’on traverse pour atteindre la région des Grands Causses, paraissent pourtant exclues des fortes implantations en fermes et villages néolithiques situées dans la plaine littorale.
Au cours d’une partie du IV e millénaire et au III , la fréquentation de cet espace est pourtant progressivement ponctuée par la construction de tombeaux collectifs, les dolmens, signes d’une forte appropriation d’un territoire généralement proche des habitats, qui restent méconnus. Paradoxalement, les garrigues paraissent alors essentiellement dévolues au monde des morts, à la chasse et à la pâture itinérante de quelques troupeaux. Cela tient à un déficit de découvertes, les petites unités de maisons de bois et de terre pouvant être installées dans des zones basses et enfouies sous de fortes sédimentations qui ne permettent pas de les localiser.
Vers 2800 ans avant notre ère, cet espace où alternent puechs, petits causses et bassins sédimentaires semble changer nettement de statut. La zone géographique des garrigues, aux sols plus épais et plus meubles qu’actuellement porte alors une forêt de Chênes blancs, d’Ormes, de Tilleuls et d’Érables. L’agriculture et l’élevage en modifient profondément l’évolution. Ces activités favorisent l’extension des Buis et des Chênes verts. Le milieu se dégrade et l’homme privilégie involontairement un environnement végétal qui préfigure la garrigue actuelle.
Entre 2800 et 2400 avant notre ère de petits groupes se fixent durablement et implantent de nombreux lieux de vie pour surveiller les biens qu’ils produisent au cours de l’année. Depuis quelques siècles, des pionniers les ont sans doute précédés et ce pourraient bien être les mineurs du silex, près de Salinelles (Gard) et Saint-Martin-de-Londres, ou les premiers chercheurs de minerai de cuivre autour de Cabrières (Hérault). Ces derniers construiront d’ailleurs pour abriter leurs ateliers de traitement métallurgique les premiers modèles de maisons à absides * à mur de pierres qui vont devenir le marqueur original du paysage (“Capitelle” du Broum près de Cabrières).
L'unité culturelle du Néolithique moyen (appelée le Chasséen) se fractionne par la suite entre différents groupes plus disséminés. Une nouvelle culture se développe au Néolithique final (Chalcolithique – Âge du Cuivre) : le groupe de Fontbouisse, du nom du site éponyme près de Villevielle (Gard). Ces hommes vont construire parmi les premières maisons de pierres sèches d’Europe occidentale et établiront durant près de six siècles plus de deux cents villages ou hameaux, agglomérations regroupant chacune une à deux dizaines de constructions et témoignant d’une réelle sédentarité. Identifié dans les années 1950, ce groupe original a été qualifié dans un premier temps de “pasteurs des plateaux”, alors qu'il s’agit en fait d’un peuple de paysans néolithiques. De nombreux outils, dont des faucilles en plaquettes de silex, des meules et broyons en sont de solides indices. Les vestiges carbonisés permettent d'attester la culture des céréales (Froment, Sarrazin, Blé tendre-hérisson, Orge vêtue) et des légumineuses (Pois chiches, Fèves à petites graines, Ers-lentille). Le peuple de Fontbouisse récolte aussi des fruits sauvages et particulièrement les glands doux, certains sites paraissant spécialisés dans cet approvisionnement. L’élevage constitue une composante essentielle du mode de vie des petites communautés : moutons et chèvres sont alors les plus nombreux avec les bœufs ; les porcs sont moins présents. La chasse, avec cerfs et sangliers, demeure une activité d’appoint.
Le village de la culture de Fontbouisse forme une unité territoriale de production. Dominant un finage * (limite d'un territoire villageois) défini, il contrôle une juxtaposition de terroirs regroupant espace cultivé, espace pastoral et espace forestier. Cette unité sociale clairement matérialisée exprime une intégration au milieu. Les emplacements des villages sont alors choisis non pas en fonction d’un accès à l’eau, jamais éloignée (sources, cours d’eau, lavognes, grottes citernes, vases de collecte), mais selon la proximité des meilleures terres. Les villages de versant dominent un bassin fermé ou de simples alvéoles s'articulant les unes aux autres. D’autres contrôlent de grandes surfaces planes et ouvertes, glacis de piémont, bassins intérieurs, couloir alluvial, plateaux ou petites dépressions. Quelques sites sont perchés, en bordure de plateau ou sur des collines dominant une vallée ou un bassin. Les sites de plaines et de bas-fond sont en apparence moins nombreux, souvent signalés après leur récente destruction agricole, par exemple en Vaunage à Nages ou Congénies.
Près de 10 % des villages Fontbuxiens sont entourés par des enceintes de pierre. Ce ne sont pas des places fortes mais des établissements agricoles protégés par des murs reliant des pièces rondes couvertes en encorbellement de pierre. Ces petites structures sont des greniers comparables à ceux que l’on trouve aussi isolés près des villages et que l’on réutilisera comme tombes individuelles jusqu’à l’Âge du Bronze, par exemple les tombes ovales de Cazarils à Viols-le-Fort. Ces fermes à cour fermée trouvent leur équivalent dans la plaine où les enceintes à fossés perpétuent les grands habitats du Néolithique moyen, où les silos abandonnés deviennent parfois des lieux d’inhumation.
La densité de l'habitat du groupe Fontbouisse atteint dans l’Hérault 20 à 25 villages pour environ 100 km 2 de territoire.
On ne connaît pas la durée d'occupation de ces sites (une, deux générations ?) ni leur rythme (ponctuelle ou durable, saisonnière ou annuelle, cyclique ?) et l’on s’explique également très mal les causes de leur disparition vers 2200-2000 avant notre ère. La métallurgie du cuivre et le jeu grandissant des inégalités sociales finirent-ils par démanteler le cadre social traditionnel ? Doit-on aussi envisager l’épuisement d’un système agricole rigide, une pandémie ravageant les populations (hypothèse que les nombreux dolmens paraissent accréditer), l'arrivée de populations nouvelles septentrionales, comme on le prétendait il y a quelques années ? C’est à cette période que des vestiges de petites installations de groupes dits "campaniformes" à cause de leurs gobelets en forme de cloche, apparaissent sur de nombreux sites fontbuxiens. Sans être rejetés mais cohabitant rarement, ces groupes d'origine européenne paraissent fréquenter les ruines incendiées de plusieurs sites.
Ces réoccupations de villages abandonnés, ainsi que les réutilisations de dolmens ou de greniers pour des sépultures, durèrent parfois pendant une grande partie de l’Âge du Bronze. Les garrigues paraissent alors très peu peuplées et retournent à un usage plus traditionnel, discontinu et opportuniste. Tandis que les cavités et leurs abords propices à l’habitat sont largement utilisés, les vallons et les plaines paraissent occupés localement par de petits établissements. L’espace des garrigues perd alors de sa spécificité, probablement parce que s’accentuent aridité estivale et pauvreté des sols. Au cours des siècles qui suivent, cet espace de forêt se referme et ne semble plus marqué par l’empreinte humaine.
Les archéologues considèrent que les derniers siècles de l'Âge du Bronze final (XIII-IX e siècle), du fait des traits matériels qui les caractérisent, appartiennent à cette phase transitoire qui n'est plus tout à fait de la Préhistoire grâce aux acquis techniques, métallurgie, poterie et élevage, mais qui n'est pas encore de l'Histoire puisque les habitants de la région n'ont laissé aucun écrit et que leurs contacts avec les cultures voisines paraissent restreints.
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