Les derniers rois numides ( Tiré de ce site)
En perdant sa guerre contre Rome en 105 av. J.-C., Jugurtha peut-être rendu responsable de la fonte territoriale qu’a connu la Numidie au profit de Bocchus le Vieux. Ce dernier, en effet, pour avoir finalement rejoint Rome en trahissant Jugurtha, a reçu (sûrement) la partie Ouest de la Numidie (ex-Masaesylie), voire (mais c’est moins sûr) le centre de l’Algérie actuelle, avec pour limite orientale le fleuve Soummam ou encore, à la limite, l’Ampsaga.
Gauda, roi numide dont on ne sait presque rien si ce n’est qu’il est le fils de Mastanabal, eut pour petit fils Juba (fils de Hiempsal) qui régna, sous le patronyme de Juba Ier, seulement quatre années. Pour Mahfoud Kaddache, Juba Ier a résisté aux pressions romaines et voulu profiter de la guerre civile qui opposait Pompéiens et Césariens pour sauvegarder son indépendance. César en viendra difficilement à bout, les Berbères sont de vaillants guerriers.
Sous l’Imperium d’Octave (-27 à +14), le fils de Juba I, le futur Juba II de Maurétanie, sera éduqué et élevé à Rome de laquelle il recevra une culture gréco-latine. Cette éducation, délivrée par la soeur d’Octave, le préparera à une vassalité relative au début, sous un statut assez particulier et plutôt favorable : peu de pays incorporés peu à peu à l’Empire bénéficieront, comme la Maurétanie, du statut de Royaume protégé, allié et ami du Peuple Romain. Mais M. Kaddache voit en Juba II le type même du roi vassal. Enfin, Ptolémée, associé au royaume par son père Juba II, ce dès ses 25 ans, sera le dernier roi numide de la Maurétanie. Il mourra sans aucun doute en Europe, assassiné par les hommes de main de Caligula, et son royaume sera finalement annexé par l’Empire en 40 av. J.-C. En 42, toute la géographie en est changée.
C’est le dernier roi de Numidie (ce qu’il en reste) à proprement parler. Il sera victime de l’aventure césarienne tourmentée d’Afrique, au point de se donner la mort, comme Caton à Utique. Dès le début de son règne, Juba mit tout en œuvre pour devenir un roi puissant et déterminé. Il possédait une armée forte et combative, ainsi qu’une garde rapprochée, constituée entre autre de cavaliers ibères et gaulois qu’il pouvait grassement payer étant donnée la richesse dont il disposait encore de ses prédécesseurs. Il lui a bien sûr fallu d’abord soumettre de nombreuses tribus plus ou moins récalcitrantes, impressionner militairement le roi voisin, Bocchus le Maure, celui qui usurpait ses terres depuis la mort de Jugurtha, et prendre enfin parti pour Pompée dans sa lutte contre César. S’il avait, par orgueil, raison de faire ce choix, ce dernier s’avéra plutôt très négatif pour la suite de l’histoire numide ; on verra la raison plus tard. Allié au général romain pompéien Varus, Juba se porta au secours de ce dernier quand Curion, envoyé par César, débarqua au cap Bon en -49 pour assiéger Utique. Juba portait une haine terrible contre cet agent de César qui, au Sénat de Rome, avait osé proposer l’annexion pure et simple de la Numidie. On comprend mieux l’engagement pris plus par aversion envers César, à cause de Curion, que par affinité pour Pompée. L’orgueil avait déjà perdu Jugurtha, il en sera de même avec Juba Ier. Aider Varus à Utique relevait donc de la bête vengeance. La prise de la ville par Curion n’aura pas lieu, celui-ci étant contraint au combat par Juba. Ce fut certainement une victoire savoureuse pour le roi numide auquel on apporta la tête de Curion, mort au combat avec tous ses soldats qui ne purent s’enfuir. Après Utique, l’armée de Juba reconquit pas à pas la plupart de ses états. Le Sénat, acquis à Pompée en -49, lui décerna alors le titre honorifique de roi et allié du Peuple romain, ce qui ne l’empêcha pas de conserver un ton hautain envers les Romains, qu’ils fussent Pompéiens ou Césariens. Scipion, envoyé par Pompée en Afrique, dut même s’abaisser à changer de tunique devant Juba -ils portaient à ce moment-là tous deux le vêtement de pourpre. De plus, Juba refusa de soutenir le Pompéien qui, pourtant, lui proposait en échange la restitution de la Province d’Africa vetus en cas d’accord militaire. Rien n’y fit… C’est en -47 que César, venu de Sicile et accompagné d’une dizaine de petites légions, débarqua lui-même en Afrique pour tenter de réduire la résistance pompéienne -le Sénat lui est acquis à ce moment. En fin stratège, il s’aménagea une période de paix avec Bogud -roi de ce qui deviendra plus tard la Tingitane romaine (Tanger)- et s’allia à Bocchus le Jeune -roi de la nouvelle Maurétanie (ex-Numidie masaesyle)- qui fit immédiatement diversion à l’avantage de César. Comme je l’ai écrit dans l’article Luttes de pouvoir romaines et fin de la Numidie indépendante, César, quasiment sauvé par Bocchus et son allié Sittius, un condottiere italien plus ou moins établi en Maurétanie, fut le grand gagnant de cette guerre civile romaine. Ainsi que Jugurtha fit perdre une bonne partie de son aire territoriale à la Numidie (devenue maure), le choix que porta Juba I en faveur de Pompée contre César dès le début des hostilités se jouant sur le sol africain entraîna la fin de l’indépendance numide de l’Est algérien. Après la célèbre bataille de Thapsus, la région cirtéenne fut offerte à Sittius qui n’en profita pas longtemps puisqu’il finit assassiné par Arabion (fils de Massinissa II) ; le reste de la Massylie devint rapidement une singulière vassale de Rome. Juba Ier, qui fait aujourd’hui la fierté des Algériens après Jugurtha, erra de ville en ville ; ayant menacé leurs habitants du pire des sorts en cas de défaite, aucune ne lui ouvrit ses portes ; il préféra mourir de la lame de son allié et compagnon romain Petreius, lors d’un ultime combat d’apparat. Bocchus se rapprocha davantage de Rome qui avançait un pied de plus en territoire berbère. A sa mort (-35), c’est Octave qui gouvernera la Numidie moribonde laissée sans héritiers, en un inter-règne qui s’étendra jusqu’à 25 av. J.-C.. De nombreuses colonies romaines verront le jour et, pendant que le jeune Juba poursuit son éducation gréco-latine à Rome, cette dernière prépare déjà le futur royaume à lui confier.
Contrairement à son père qui ne régna que pendant quatre années bien tourmentées, le jeune Juba II dominera la scène africaine durant presque 5O ans, de 25 avant notre ère à 23 après la naissance du Christ. Dès l’âge de 4 ans et consécutivement à la défaite de son père à Thapsus, il fut recueilli à Rome -ou enlevé en captif, c’est selon- par Jules César. A partir de 44 (mort de César aux Ides de mars), c’est à la cour d’Octave qu’il reçut l’instruction digne d’un futur roi -client de Rome, cela va de soi, César y pensait fort, Octave-Auguste s’en servira. La sœur du futur empereur romain prit donc en charge l’enfant qui portait, selon la tradition romaine, le prénom et le nom de son protecteur, le fameux dictateur : Caïus Iulius. Couronné par l’empereur Auguste lui-même, il devint Rex Juba, roi de toute la Maurétanie. Apparemment, Bogud et Bocchus sont morts sans laisser d’héritiers -en tout cas aucun texte n’en parle-, si bien que le droit international, à l’avantage des Romains, avait fait legs de l’Afrique du Nord à Rome, sans que celle-ci n’ait pour autant décidé l’annexion totale. Du coup, les actuels Maroc et Algérie -cette dernière étant amputée de sa partie la plus orientale- ne forment plus qu’un seul territoire allant de l’atlantique au fleuve constantinois Ampsaga, auquel il faut ajouter les zones gétules qui lui sont raccordées, plus au Sud. La région cirtéenne (les actuelles Constantine, Skikda, Collo et Mila) conservera longtemps encore son statut sittien (de Sittius) très particulier (jusqu’à la fin de l’Antiquité), pendant que Rome s’attribuera toutefois une marge terrestre supplémentaire ; ainsi, après l’Africa vetus, cet accroissement donna l’Africa nova, devenue indispensable à la géante Rome, car bonne productrice de blé. Marié à Séléné-Cléopâtre, il n’eut qu’un seul fils, Ptolémée. Remarquons au passage que ce dernier descendait indirectement d’une dynastie de pharaons, par la grand-mère maternelle Cléopâtre VII, et de la gens Antonia (de Anton, fils d’Héraclès ou Hercule) par le grand-père maternel, Marc-Antoine. Et ce n’est pas le seul exemple où l’élite des nations de l’époque possédait des généalogies anastomosées entre-elles ; c’est le cas pour la Maurétanie dont le dernier roi était lié par le sang aux dynastes de Thrace, du Pont et du Bosphore, de l’Arménie mineure et à Caligula avec lequel il partageait de nombreux cousins. Bien que vassalisé -il aidait tant et plus le suzerain par des actions militaires de maintien de l’ordre-, Juba n’abandonna pas l’histoire passée de son pays auquel il rappelait qu’il était le fils d’un résistant, Juba Ier, et surtout le descendant du grand Massinissa. Pourtant, contrairement à ce dernier, Juba II n’était ni rempli de vaillance, ni bouillant, ni barbu, comme l’écrit Gilbert Meynier, plutôt doux et charmant dans sa jeunesse, érudit et esthète grâce à son excellente éducation. D’après Pline l’Ancien, c’est bien davantage pour ses doctes travaux que pour son règne qu’il restera célèbre. Juba II ne disposait de son pays que pour le pacifier militairement, à la demande impérieuse de Rome. Quand il arriva au pouvoir, colonies et/ou légions romaines étaient installées de partout : le long de la côte méditerranéenne et à l’intérieur des terres, en des places stratégiques localisées parallèlement à la bordure littorale. L’art helléniste foisonnait presque déjà, les grandes villes commençaient à peine à resplendir par l’ornement statuaire… il ne restait, à Juba, plus que la culture pour compenser une vie moins glorieuse que celles de ses prédécesseurs et, surtout, pour refonder (mot de Strabon) Yol/Cesarea (Cherchell), sa capitale (il ne reste de cette parure monumentale qu’un bout du théâtre et quelques magnifiques statues). Nul ne sait si Juba II parlait le berbère ; il connaissait par contre le grec, le punique et le latin. C’était un écrivain à ses heures, philologue et historien assez talentueux, bien qu’il ne reste rien de ses œuvres, si ce n’est quelques citations trouvées chez les auteurs grecs et latins. Curieux de tout, il finança des expéditions scientifiques aux îles Canaries (îles Fortunées) et vers les sources du Nil ; son grand rêve : faire l’inventaire des choses de ce monde (chorographie) et en donner une représentation géographique plus juste (participation indirecte à l’établissement de la carte d’Agrippa ?). Selon M. Kaddache, sous le règne de Juba II, l’agriculture se développa aussi bien que le commerce maritime tourné vers l’Europe méridionale. Le blé, le vin et l’huile d’olive étaient échangés contre des objets manufacturés (poteries italiennes et gauloises, amulettes ibères en plomb…). Il est possible que Juba II ait été inhumé, avec sa femme Cléopâtre-Séléné, dans le mausolée royal maurétanien (à ne pas confondre avec le Medracen, vieux de plus de deux siècles) bâti au Ier siècle avant notre ère et nommé à tort tombeau de la chrétienne (al qubûr al rûmiyya). Il s’agit d’une bazina de 64 m de diamètre, surélevée d’un tambour flanqué de colonnes à chapiteaux. La partie supérieure est conique (culminant à 59 m de hauteur) et était surmontée d’un groupe sculpté aujourd’hui disparu. Influences égyptiennes, puniques et hellénistiques se côtoient harmonieusement malgré des styles fort différents. Rien, pour le moment, n’empêche d’attribuer ce monument funéraire à d’autres souverains berbères, ce en remontant jusqu’à Bocchus Ier.
Il n’a hérité de son père ni la science, ni la culture ou l’amour de l’art. Ce fut un roi passable, fainéant et jouisseur. En fait, il correspondra bien avec l’ambiance délétère qui régnera dans cette irrémédiable fin d’époque. En 37, Caligula, cousin de Ptolémée par Marc-Antoine, succède à Tibère. On pense qu’il est pour beaucoup dans la disparition subite de Ptolémée, un jour de 40, après qu’il l’eut mandé à Rome puis fait venir à Lugdunum (Lyon). Certains historiens pensent, malgré l’absence de textes fiables, que Caligula fit assassiner son cousin et, de fait puisque c’était le droit (romain) international de l’époque, hérita de la Maurétanie. L’empereur sera lui-même assassiné l’année suivante et c’est Claude le Lyonnais qui le remplacera. Ce dernier morcellera, en 42, toute l’Afrique du Nord : Maurétanie tingitane à l’est du fleuve Mouloucha (le Maroc actuel) ; Maurétanie césaréenne de la Mouloucha à l’Ampsaga (l’oued el Kebir qui traverse Constantine) ; Africa romana à l’Est, c’est à dire la sittienne, la Numidie, restreinte à son orient après les erreurs stratégiques et tactiques commises par Jugurtha puis Juba I, la Tunisie d’aujourd’hui, à quelques kilomètres carrés près, et la bordure méditerranéenne libyenne.
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