« À dix jours de voyage d'Augila, il y a également une colline de sel et une source, les palmiers y poussent abondamment comme ils le font près des autres collines de sel. Cette région est habitée par un peuple appelé Garamantes, un peuple très puissant, qui recouvre le sel avec de la boue pour y semer ensuite ses cultures. C'est de là que la route est la plus courte vers le pays des Lotophages, un voyage de trente jours. Dans le pays des Garamantes, on trouve des taureaux qui, lorsqu'ils paissent, marchent à reculons. Ils agissent ainsi parce que leurs cornes s'avancent tant vers l'avant de leur tête que, s'ils avançaient en paissant, leurs cornes se planteraient dans le sol. Ce n'est qu'en cela qu'ils diffèrent des autres taureaux, ainsi que par l'épaisseur et la dureté de leur cuir. Les Garamantes ont des chariots attelés à quatre chevaux, sur lesquels ils pourchassent les Éthiopiens Troglodytes qui, de tous les peuples dont l'écho ait pu parvenir à vos oreilles, est celui dont les pieds sont, de loin, les plus rapides. Les Troglodytes se nourrissent de serpents, de lézards et d'autres reptiles du même genre. Leur langage, contrairement à celui des autres peuples, ressemble à des couinements de chauve souris… » Ce chapitre d'Hérodote (IV.183) est la seule mention qu'il fit du peuple des Garamantes, mais celui-ci a cependant une existence historique parfaitement attestée. Gabriel Camps fait ici le point sur les sources littéraires mais surtout sur les fouilles archéologiques qui nous permettent aujourd'hui de mieux connaître ce peuple du Fezzan antique. Un peuple et une civilisation du désert Des différents peuples du Sahara antique, celui des Garamantes fut certainement le plus important, le plus puissant et aussi le plus évolué. Le cœur de cette civilisation se trouvait dans le sud de l'actuelle Libye, en bordure du massif du Fezzan. Il n'est pas exagéré de dire qu'il exista une culture garamantique nourrie d'un commerce transsaharien qui assurait les relations entre les pays du nord, imprégnés des civilisations méditerranéennes et ceux du sud où la savane abrite les cultures africaines. Cette double influence explique la diversité des propositions sur les origines des Garamantes. Les sources antiques Hérodote cite les Garamantes parmi les peuples habitant l'intérieur de la Libye et situe leur pays à trente jours de la Méditerranée. Or, fait remarquable, ce fut là exactement le temps que, sous le règne de Domitien, le Romain Septimius Flaccus mit pour atteindre Garama à partir de Leptis Magna. Par la suite, un itinéraire plus direct permit de réduire les délais de route à une vingtaine de jours. Hérodote nous informe encore que les Garamantes poursuivaient les Éthiopiens sur des chars à quatre chevaux. Cinq siècles plus tard, Martin de Tyr rappelle les campagnes du roi des Garamantes chez les Éthiopiens pour affirmer son autorité. Tite-Live et Strabon placent vaguement les Garamantes à proximité des Emporia de la Petite Syrte. Ils les situent entre les Gétules au nord et les Éthiopiens au sud. La domination romaine Au début de notre ère, l'Empire romain était en pleine expansion et les riches colonies d'Afrique – c'est-à-dire d'Afrique du Nord – devaient être pacifiées et protégées. En 20 avant J.C., le proconsul d'Afrique L. Cornelius Balbus partit à la conquête du pays des Garamantes et s'empara de sa capitale Garama, aujourd'hui Gera. Mais la domination romaine était précaire et quelques années plus tard, les Garamantes aidèrent ouvertement l'ancien mercenaire numide Tacfarinas qui menait un grand mouvement de révolte contre Rome. La paix s'instaura pour quelques décennies, mais à la mort de l'empereur Vespasien, en 70 de notre ère, ils s'immiscèrent dans la vie politique de l'empire en répondant à l'appel des habitants d'Oea, l'actuelle Tripoli, qu'ils aidèrent à assiéger et piller l'opulente Leptis Magna. Il fallut attendre l'avènement de Septime Sévère (193-211) pour que la Pax romana s'étende sur la région. Les routes, devenues plus sûres, permirent un nouveau développement du commerce et le pays des Garamantes connut alors son apogée. Nous pouvons avoir une bonne idée de ce qu'était vie quotidienne de la garnison d'un poste romain du Sahara libyen pacifié grâce aux ostraca, ces tessons de poterie trouvés à Bu Njem. Villes et nécropoles Suivant une hypothèse généralement reçue, les Garamantes devraient leur nom à l'importance des ruines d'habitats, des tombes et constructions diverses qui occupent l'oued El-Agial, au cœur du pays garamante. L'archéologie du Fezzan a connu deux temps ; ce fut d'abord la mission italienne des années 1930-1935 de Caputo, Pace et l'anthropologue italien Sergi. L'Academia dei Lincei assura la publication de ces travaux (« Scavi sahariani », Rome, 1951). Une décennie plus tard, le service archéologique libyen entreprit des fouilles à Germa, considérée depuis longtemps comme l'antique capitale des Garamantes. Mohamed Ayoub publia dès 1962 des rapports préliminaires sur ses recherches dans la ville de Germa et son voisinage, en particulier le cimetière royal. Parallèlement, Charles Daniels entreprenait des recherches sur deux sites voisins de Germa, à Zinchecra et Saniat Gebril.Germa, reconnue depuis longtemps comme occupant le site de l'antique Garama, capitale des Garamantes, avait été mentionnée par Pline l'Ancien à propos de l'expédition de Cornelius Balbus en 20 avant J.-C. Ptolémée la qualifiait de « métropolis ». Les fouilles effectuées à Germa même et dans les sites voisins de Zinchecra et Saniat Gebril ont révélé le rôle de commandement qu'exerça Garama depuis les temps pré-romains jusqu'à la conquête arabe de 642. Le mausolée romain de Germa Le célèbre mausolée de Germa date de l'époque flavienne et plus particulièrement du règne de Domitien. La présence de vases en terre sigillée issus de l'officine de Rasinius Pisanus, qui fut très active sous Domitien, confirme ces données. C'est encore du Ier siècle de notre ère que datent les tombes à incinération de rite romain jouxtant le mausolée et contenant des amphores importées.La « tombe sanctuaire » située au sud du mausolée date de la même époque. Cet ensemble est constitué de deux enclos, dont le premier semble avoir servi de lieu de repos. Le seuil qui assure le passage vers l'enclos sépulcral est occupé par une auge rectangulaire flanquée de quatre mortiers de pierre. Dans l'enclos funéraire furent trouvées de nombreuses amphores de type grec portant, pour la plupart, des inscriptions en caractères libyques. De nombreux ossements de bœufs et de moutons, en grande partie brûlés, attestent l'existence d'un culte funéraire et la pratique de l'incubation qu'Hérodote signalait déjà chez les Nasamons. Le premier enclos servait de lieu de repos où le fidèle attendait dans son sommeil le songe prémonitoire ou prophétique. Le Sahara septentrional possède de nombreuses tombes présentant des aménagements destinés à l'incubation. Celle de Germa est la plus méridionale. La nécropole de l'oued El-Agial La vallée de l'oued El-Agial est d'une extraordinaire richesse en sépultures de types divers. Les archéologues italiens ont décompté, nécropole par nécropole, 59 680 sépultures. On y rencontre divers types de tombes caractéristiques des régions sahariennes. Les types de tombe les plus fréquents sont : l'adebni, sorte de tumulus de pierre surbaissé prolongé ici par deux traînées de pierres ou antennes ; le chouchet, monument de forme cylindrique ; la bazina, construction dont le mur extérieur, généralement vertical ou avec un léger fruit, est fait d'un empilement régulier de pierres, sur plusieurs assises circulaires à gradins ; la pyramide en argile crue ou revêtue de pierres. Zinchecra D'autres fouilles récentes ont porté sur Germa mais ce n'est pas là que se trouve le site d'habitat le plus ancien. Celui-ci est à Zinchecra, éperon qui domine la vallée de l'oued El-Agial. Ce relief fut le siège d'une longue occupation : trois cents habitations au moins furent repérées, accrochées aux versants abrupts. Ces maisons avaient une couverture en palmes aussi bien que les enclos pour le bétail. La dernière période qui va jusqu'à la fin du Ier siècle de notre ère possède des constructions plus élaborées disposant de cloisons en briques crues. Une enceinte sommaire limitait la ville en contrebas de l'agglomération.Le site de Ganiat Gebril a révélé une abondante céramique du Ier au IIIe siècle. Ce village semble avoir eu une certaine vocation industrielle, de nombreux ateliers de forgerons, de vanniers et de tisserands se mêlent aux habitations de plan sommaire. Perspectives Les recherches se poursuivent activement et ouvrent de nouveaux champs de connaissance sur les Garamantes. Marikje van der Veen, de l'université de Leicester, grâce à des analyses de vestiges botaniques, a apporté de nouvelles données sur l'agriculture et le mode de vie des hommes qui occupèrent cette région depuis le Néolithique. De nouveaux programmes de recherche menés par le Département des Antiquités de Tripoli et la British Academy nous laissent espérer que bientôt les Garamantes perdront un peu de leur mystère.Dans l'Antiquité, le pays des Garamantes était célèbre pour ses gemmes, ses escarboucles et autres amazonites, mais les « émeraudes des Garamantes », chères à Théodore Monod, restent du domaine de la légende.
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