Article tiré du Site de l INRAP
La mise en oeuvre de la mosaïqueCette mosaïque, presque complète, mesure 35 m2. Au travers de la technique et des matériaux mis en oeuvre, on a pu juger du soin apporté à sa réalisation. Un remblai de nivellement supportait un radier de cailloux (statumen), sur quoi a été coulée une première chape de béton (rudus), puis un mortier de chaux et de débris de terre cuite (nucleus). Le travail de restauration a permis d'observer des traces de taloche utilisée pour étendre ces bétons, et même l'empreinte d'une semelle cloutée. Formant la surface du sol (opus tessellatum), les tesselles, de 3 à 15 mm de côtés en moyenne, étaient fixées grâce à un lait de chaux. Le dessin préparatoire se faisait sur le nucleus encore frais. Ainsi, durant la restauration, on a pu retrouver des traces de cordelettes correspondant au contour du tapis central. Chose rare, des traces de pigments sont également apparues (tracé préparatoire d'un oiseau ?), laissant à penser à l'intervention préalable d'un peintre qui peignait le motif sur la chaux humide.
Les tesselles étaient probablement débitées sur place, à l'aide d'un tranchet, d'une martelline (marteau à tranche acérée) et d'une taillote (petit établi à partie saillante). Les matériaux employés sont des calcaires (blanc, gris, noir, ocres), des pâtes de verres opaques (verts, bleus), des terres cuites (orange), et vraisemblablement des marbres. La pose des tesselles a dû débuter par le contour des cadres et des tresses déterminant la trame. L'exécution de la mosaïque précède la réalisation des peintures murales qui s'appuient dessus. Après un laps de temps indéterminé, certaines figures, endommagées, ont dû être refaites. Assez maladroites, ces réfections manifestent toutefois la volonté de rester fidèle à l'original. Des traces de feu postérieures à ces réfections antiques suggèrent que l'occupation s'est poursuivie encore quelques temps. La maison est cependant abandonnée dans le courant du IIIe siècle de notre ère. La conception du décor et l'iconographieLa bande blanche qui borde la partie décorée est plus large dans le fond de la pièce. De ce côté, un damier noir et blanc correspond sans doute à l'emplacement du lit de repas. Du côté de l'entrée, un rinceau à volutes symétriques se développe du pied d'un cratère.
La tresse qui dessine la trame du panneau central forme une composition de 5 coussins, de 16 ellipses et 4 octogones. Sur les limites, les coussins deviennent des cloches occupés par des masques de théâtre. Ce type de composition se rencontre surtout en Tunisie. Ici, l'orientation des figures rend le panneau visible de tous côtés. Les oiseauxLes ellipses accueillent deux couples de quatre espèces, de sorte que chaque coussin d'angle est flanqué de quatre oiseaux différents.
Aux angles, deux couples de canards colverts. Des perdrix sont disposées sur un axe perpendiculaire à celui de perruches à collier, reconnaissables à leur bec retroussé, au plumage vert à collier rouge-orangé et à la longue queue. Autour de la scène centrale, quatre huppes marchent bec pointé à terre. Les SaisonsPlacé du côté de l'entrée, le Printemps se reconnaît à sa couronne végétale. À l'ouest, l'Été porte une couronne d'épis de blé. Au sud l'Automne. Le haut du visage a été refait dans l'Antiquité avec des tesselles plus grosses, mais on devine une couronne de vigne. À l'est, un personnage encapuchonné et coiffé de roseaux figure l'Hiver.
Les masquesLa bouche en porte-voix et les grandes pupilles noires sont typiques des masques de théâtre. Deux masques figurent la Tragédie. Dans l'axe perpendiculaire se trouvent deux autres personnages du cortège de Dionysos incarnant la Comédie : Pan et Silène.
Les MénadesDans les coussins d'angle se tiennent les Ménades, qui apparaissent ici de façon traditionnelle, couronnées de lierre et vêtues de voiles qui laissent apparente leur nudité. Dansant, elles tiennent le thyrse dionysiaque et jouent du tambourin.
Le châtiment de Penthée et d'AgavéCette interprétation a été initialement proposée par Pascale Linant de Bellefonds (CNRS).
Le personnage terrassé occupe le premier plan de la scène centrale. Le modelé du corps est mis en valeur par des tons chatoyants. Du sang coule entre ses jambes. Le réalisme anatomique est presque parfait, si ce n'est la jambe gauche, désarticulée pour remplir l'espace. L'homme implore le personnage qui, en arrière plan, lui assène un coup de thyrse. Cette scène illustre un épisode de la légende de Dionysos. Désireux d'installer son culte à Thèbes, sa ville natale, le dieu veut aussi punir les soeurs de sa mère, Sémélé, d'avoir nié qu'il est fils de Zeus. Il frappe les Thébaines de délire, qui partent en bacchanale célébrer les mystères du dieu. Penthée qui est le cousin de Dionysos par sa mère Agavé, est également le roi de Thèbes et s'oppose à la propagation de ce culte. Résolu à disperser les Bacchantes, il va épier les rites auxquels elles se livrent. Sa propre mère l'aperçoit mais le prend pour un animal sauvage. Les Bacchantes lui donnent alors la chasse et le tuent. L'iconographie se rapporte pleinement à Dionysos sans qu'il apparaisse. Les masques incarnent la Tragédie et la Comédie que préside le dieu des fêtes théâtrales. L'association des Saisons à Dionysos repose sur une thématique commune de la vie renaissante. Les Ménades sont littéralement « les femmes possédées » du dieu. Enfin, punis de l'avoir méprisé, les personnages de la scène centrale vont, sous son emprise, lui assurer un triomphe en se brisant l'un par l'autre.
La référence à cet épisode dionysiaque reste assez rare. L'originalité et la qualité esthétique de ce pavement ont justifié qu'il soit rapidement restauré afin d'être présenté au public. Texte de B. Houix, Inrap |
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