Marine Impériale 1860 Equipage de Ligne Salon









Marine Impériale 1860  Equipage de Ligne Salon
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La France a une vocation maritime déterminée par :
– son ouverture sur quatre mers (Nord, Manche, Atlantique et Méditerranée) ;
– l'étendue d'un littoral de 3 200 km (plus important que sa frontière terrestre) ;
– l'aptitude d'offrir de bons ports facilement accessibles et bien protégés, soit au fond de rades sûres (Brest, Toulon), soit sur des estuaires profonds (Lorient. Rochefort).
Cette vocation n'a été que très partiellement comprise par les dirigeants, bien qu'elle conditionne l'expansion commerciale et l'entreprise coloniale. Peu d'hommes d'État se sont intéressés à la mer : François 1er, Richelieu, un peu Louis XIV… mais Napoléon III s'y est intéressé.
Il n'est pas facile de suivre le cheminement de la pensée napoléonienne, on retiendra seulement les éléments suivants :
– incontestablement les séjours et la connaissance de la Grande-Bretagne, à l'époque où celle-ci était par excellence la puissance de la mer (la moitié de la flotte mondiale), pays à l'avant-garde des applications de la vapeur (on retrouve la même influence dans le domaine des chemins de fer) et du progrès mécanique avaient ouvert les yeux du futur empereur, toujours attentif à ce qui se passait de l'autre côté de la Manche et soucieux de ne pas laisser la France en retard et en état d'infériorité ;
– mais aussi l'intérêt porté aux États-Unis et à l'évolution de la marine dans ce pays, héritier des inventions de Fulton, disposé à accepter des solutions d'avant-garde surtout pendant la guerre de Sécession, d'où reviendra après 1861 la conception du garde-côtes cuirassé de l'ingénieur Ericsson et le mécanisme des canons se chargeant par la culasse de Carteman ;
– d'autre part, Louis-Napoléon participe en France à un remarquable courant d'idées émanant autant d'une équipe d'officiers de marine (comme les amiraux Hamelin qui sera ministre de 1855 à 1860, de La Roncière, Jauréguiberry ou les commandants Jaurès, Gougeard, Du Temple) que de politiques éclairés, convertis à la nécessité d'une action vigoureuse dans le domaine maritime (comme le Bordelais Théodore Ducos, ministre de la Marine de 1851 à sa mort en 1855, le baron de Mackau, fils d'amiral ou le marquis de Chasseloup-Laubat, appelé au ministère de la Marine de 1860 à 1867 après avoir été ministre des Colonies de 1858 à 1860). Encore fallait-il avoir le mérite de reconnaître et d'apprécier de tels conseillers, de soutenir avec persévérance leurs initiatives – quatre ministres seulement en 18 ans – et de s'assurer le concours de techniciens novateurs, donc discutés, pour assurer le succès des nouvelles conceptions : un ingénieur hors pair comme Dupuy de Lome devra à Napoléon III d'être appelé et maintenu à la tête des constructions navales.
I – L’adoption d’une politique de mouvement
Le Prince Louis-Napoléon était naturellement ouvert aux transformations consécutives à l'évolution des sciences et des techniques. Il est donc disposé, dès son arrivée au pouvoir, à écouter les précurseurs, à prendre le risque d'expériences, à accepter les nouveautés. Ajoutons que son âge lui permet, plus qu'à ses prédécesseurs, d'envisager des réalisations de longue haleine.
Cette disposition d'esprit est capitale à une époque où la révolution industrielle du xixe siècle étend ses effets à la marine, dont elle change radicalement les conceptions. Car c'est une véritable métamorphose que subit le matériel naval : la propulsion à vapeur d'abord, l'adoption de l'hélice (après l'essai de la roue à aubes), enfin la construction des coques en fer, remplaçant le bois.
La marine de guerre ajoutera deux autres innovations capitales : le cuirassement par plaques de blindage métallique et l'emploi d'une artillerie rayée se chargeant par la culasse.
Cette énumération ne donne qu'une faible idée des bouleversements que dut subir dans tous les domaines la marine de guerre, mais il suffit de comparer les silhouettes, ô combien différentes, des anciens vaisseaux de bois à voiles de la « vieille marine » aux coques en fer des vapeurs de la « nouvelle marine », pour mesurer les changements survenus. Comme toute révolution celle-ci rencontrera des résistances : on contestera la supériorité technique, on tirera argument d'expériences malheureuses ou mal conduites, on avancera même des arguments esthétiques ou poétiques – la nostalgie des longs voyages à la voile – ou même moraux – la brutalité d'une canonnade à distance !
C'est ici que le rôle du pouvoir peut être capital. Pour passer outre à ces résistances, il faut souvent l'autorité de décision des gouvernants : à cet égard, de 1848 à 1870, la France connaîtra une politique maritime très ferme, écartant les vaines discussions et s'engageant hardiment dans les voies nouvelles. Le Prince-Président, puis Empereur, apportera personnellement à chacun ses aspects de l'évolution navale une attention persévérante : c'est à lui que l'on devra la poursuite autoritaire d'une rénovation totale de la flotte de guerre française, liée à une politique d'expansion maritime, commerciale et maritime sur toutes les mers du globe.
La Monarchie de Juillet avait paresseusement suivi l'évolution de la technique navale : « cette première moitié du xixe siècle est donc une période de véritable piétinement, pendant laquelle on vit sur le passé, sans qu'aucune transformation d'ordre technique vienne modifier les conditions de l'équilibre naval » (Tramond et Reussner). Ainsi, en 1842, le vaisseau amiral de l'escadre de Méditerranée, alors baptisé « L'Océan », n'était autre que le trois-ponts « Les États de Bourgogne » construit en 1782 par Sané, soixante ans plus tôt !
Tout au plus avait-on réalisé le vaisseau mixte, fidèle à la conception du bateau à voiles en bois seulement doté d'une machine à vapeur de faible puissance, uniquement « pour triompher des calmes et des courants ou accélérer les chasses et les retraites ». Les premiers essais de machine à vapeur dans la marine avaient d'ailleurs été décevants, surtout au temps des roues à aubes (en 1830, à la prise d'Alger, sur les sept vapeurs de la flotte, trois sont parvenus à destination et un seul fut effectivement opérationnel, « le Sphinx »). Ce n'est qu'en 1842 que l'adoption de l'hélice sur la frégate « La Pomone » marquera une étape décisive.
En janvier 1848 – donc un mois avant la chute du régime – le projet d'un grand vaisseau à vapeur est tout de même approuvé sous le dernier ministère Guizot à la suite des interventions d'hommes clairvoyants, comme Thiers et Lamartine. Mais en fait, rien n'était encore accompli dans le domaine de la révolution navale, dont le commandant Montgery avait pourtant prédit dès 1842 « que les conséquences en seront aussi considérables que les changements opérés au xve siècle par la boussole, la poudre à canon, l'imprimerie et la découverte du Nouveau Monde ».
Louis-Napoléon, lui, la comprend, cette révolution. Dès son élection à la présidence, la construction du vaisseau, alors baptisé « 24 Février », est entamée à Toulon sous la direction de Dupuy de Lome et sera achevée, sous le nom de « Napoléon », dès l'été 1850. Ce sera le premier navire à vapeur à hélice de fort tonnage de la flotte française (5.120 tonnes).
La supériorité de la propulsion à vapeur va être vite démontrée : alors que l'ancienne flotte à voiles restait tributaire des vents et de l'état de la mer, l'adoption de la machine à vapeur assurait désormais aux navires une indépendance relative. On n'allait pas tarder à le voir lorsque le 15 octobre 1854 le « Napoléon » allait seul remonter les Dardanelles, remorquant même le vaisseau-amiral « Ville de Paris », alors que tout le reste de l'escadre française et anglaise restait immobilisé par des vents contraires.
Il fut alors décidé par le gouvernement de rénover la flotte sur des bases radicales : la loi des finances stipula « qu'à partir du 1er janvier 1857 tout navire non pourvu de machine cesserait d'être considéré comme navire de guerre ». On commença d'abord par transformer les anciens voiliers en bois en les coupant en deux par le milieu pour leur adjoindre au centre, en les allongeant de 8 à 10 mètres, une machine à vapeur de la puissance de celle du « Napoléon ». Mais cette solution apparemment économique, demi-mesure, ne donna pas les résultats escomptés et la faiblesse des vieilles coques en bois ne répondant plus aux progrès de l'artillerie, il fallait aller plus loin en rompant avec le passé.
De même, une autre expérience marque, à la fois la hardiesse des innovations et le rôle prépondérant du souverain : celle des batteries flottantes cuirassées de la guerre de Crimée en 1854.
La première idée du cuirassement des navires n'est pas celle d'un marin, mais plutôt celle d'un artilleur et d'un ingénieur en fortifications : il s'agissait d'abriter les canons destinés à appuyer un débarquement. Les batteries flottantes de 1854 n'ont pas de qualités nautiques : elles se traînent à la vitesse de quatre noeuds et doivent être remorquées ; elles ne tiennent pas la mer et sont inutilisables par gros temps ; enfin, elles sont inhabitables. Le modèle, perfectionné par la suite sous la forme de garde-côtes cuirassés excitera toujours l'ironie des marins qui les baptiseront « bateaux-lavoirs » ou « fers à repasser ».
Mais elles sont mues à la vapeur, ont une machine à hélice et portent 18 canons rayés. Surtout elles sont revêtues de plaques de fer de 12 cm d'épaisseur. Elles s'opposent donc à toutes les traditions de l'ancienne marine et il avait fallu, pour rompre cette tradition, toute l'autorité du souverain.
Les succès remportés durant le siège de Sébastopol par les batteries cuirassées traduisirent l'importance de l'innovation, en dépit de ses imperfections : c'était un pas en avant dans la construction navale et en historien de la marine, Henri Le Masson, n'hésitera pas à écrire : « Ces batteries flottantes qui ont fait époque dans l'histoire du matériel naval, sont à l'origine du cuirassé qui a régné sur les mers jusqu'à l'avènement du sous-marin, puis du porte-avion ».
II – Le programme de 1857
Deux événements politiques allaient confirmer Napoléon III dans son attachement à la rénovation de la marine :
– la guerre de Crimée en 1854, qui avait remis en évidence la maîtrise en Méditerranée et la nécessité d'un matériel naval apte à y naviguer (naufrage de la « Semillante » en 1855, intervention au Liban en 1860, intérêts français en Égypte) ;
– la vigoureuse reprise d'une politique coloniale active en Afrique, en Asie, en Océanie et en Amérique, que l'on ne pouvait poursuivre que par mer.
En conséquence l'Empereur fit établir dès 1857 un programme naval qui frappe à la fois par son ampleur et l'intelligence très moderne de sa conception. La Commission chargée de l'établir proposa en effet en octobre 1857 les réalisations suivantes, bien équilibrées en moyens et missions, réparties en cinq points :
– une flotte de combat comprenant elle-même « des bâtiments rapides de la plus grande puissance que l'art put exécuter » (on en prévoyait 40), des bâtiments légers (frégates, corvettes et avisos au nombre de 90), plus 20 stationnaires pour les régions lointaines ;
– une flotte de transport comprenant toute la flotte de transition composée de vaisseaux mixtes, qui n'étaient pour la plupart que des anciens bâtiments à voiles transformés en navires à vapeur avant l'adoption du type rapide et dont la machine de puissance trop médiocre n'avait qu'un rôle d'auxiliaire et se distançait donc du corps de bataille ;
– des bâtiments spéciaux pour la défense des côtes et des ports (30 batteries flottantes et garde-côtes) ;
– pour les transports économiques, en temps de paix, des bâtiments à voiles ;
– enfin, 95 bâtiments-écoles divers.
La composition et l'articulation de cette flotte ont permis de la comparer à la structure de la flotte actuelle des Etats-Unis !
Rédiger un programme est une chose, l'exécuter en est une autre. Or, ce programme – sanctionné par l'Empereur le 23 novembre 1857 – fut immédiatement mis à exécution. L'innovation essentielle était celle du « bâtiment rapide de la plus grande puissance » et c'est l'ingénieur Dupuy de Lome qui fut chargé de concevoir le prototype.
Le projet présenté était une véritable révolution qui consacrait à la fois les innovations de la propulsion, du cuirassement et de l'armement. Bâtiment à vapeur – la voilure réduite de moitié n'est plus qu'auxiliaire – mû par une machine de 900 chevaux lui permettant une vitesse de 13 noeuds 5, la frégate « Gloire » portait une cuirasse latérale de 12 cm d'épaisseur et était armée de 34 canons de 30 rayés en batterie et de 2 pièces en chasse et en retraite.
Le projet de Dupuy de Lome souleva une tempête de critiques. Certains s'en prirent à l'efficacité du cuirassement : s'appuyant sur les conclusions hâtives des expériences mal dirigées faites à Metz en 1835 conduisant la commission présidée par le général Morin « à condamner sans rémission le principe du blindage métallique », ils contestaient l'efficacité du cuirassement. L'Empereur fit faire à Vincennes des expériences suivies, auxquelles il participa lui-même et que poursuivit un de ses aides de camp, le général Fave, pour apprécier la qualité des différentes plaques de fer. L'épreuve fut absolument concluante.
D'autres critiques mirent en cause la stabilité même du nouveau navire cuirassé. La mise en chantier de la « Gloire » fut, pour la plupart des marins, un objet d'étonnement et d'inquiétude. On avait encore devant les yeux toutes les difficultés que l'on avait éprouvées pour faire naviguer dans la Baltique les batteries flottantes cuirassées et beaucoup de marins doutaient du succès de l'entreprise. Des critiques en règle parurent dans les journaux anglais contre la nouvelle construction navale tentée en France et elles partirent même du sein du Parlement britannique : « Eh quoi, disait-on, charger ainsi de fer les parties hautes de la coque d'un navire ! Mais l'instabilité sera le moindre des défauts d'une pareille construction ! Jamais un navire à vapeur ne pourra supporter, sans s'altérer dans ses formes et ses qualités nautiques, un si grand excès de poids ».
Toutes ces critiques n'ébranlèrent pas la clairvoyance de l'Empereur. Les plans furent approuvés par le ministre le 20 mars 1858, la mise sur cale à Toulon fut ordonnée par l'Empereur et, sur ses ordres, on hâta l'achèvement de la nouvelle frégate en moins de deux ans, puisque le lancement eut lieu le 24 novembre 1859, à une date où, ni l'Angleterre, ni les États-Unis n'avaient encore rien entrepris dans le même domaine. Aucune marine du monde, à cette date, ne possédait un bâtiment rapide aussi puissant ; les Anglais eux-mêmes, surpris, n'entreprirent leur premier vaisseau cuirassé, le « Warrior », qu'en 1860, un an après le lancement de la « Gloire ».
La « Gloire » ne devait pas tarder à affirmer sa supériorité : dès le mois de septembre 1860, au cours du voyage de l'Empereur et de l'Impératrice en Algérie, le yacht impérial « L'Aigle » comptait la « Gloire » dans son escorte. Un coup de vent violent vint à s'élever subitement et l'escorte fut dispersée : la « Gloire » demeura seule et continua de naviguer de conserve avec « L'Aigle ». Voici le récit de l'incident : « La flottille impériale eût beaucoup à souffrir dans la traversée ; elle fut dispersée par suite d'une tempête. La « Gloire » seule put suivre « L'Aigle ». Leurs Majestés débarquèrent à Port-Vendres pour éviter la traversée du golfe de Lion, malgré la grosse mer et le violent coup de vent essuyé par « L'Aigle », la traversée se fit sans aucun accident ».
La suite des essais devait confirmer ces qualités, comme en témoignent les rapports de l'époque : « Par mes dépêches successives, j'ai rendu compte à Votre Excellence, en lui transmettant les rapports du commandant Ohier, des cinq voyages d'expérience qu'a effectué la « Gloire » suivant le programme tracé par Votre Excellence. Cette frégate vient ainsi de parcourir pendant ces essais 1.100 lieues marines. Ce qui ressort le plus évidemment de ces expériences à la mer, c'est que d'abord la « Gloire » est un bâtiment de mer comme un autre, supérieur même à bien d'autres sous plus d'un rapport, ce qui fait tomber l'échafaudage de suppositions timorées qui s'était élevé contre ce nouveau spécimen, aussi hardi que pratique, de notre future flotte de combat ». (Rapport de l'amiral comte Bouet-Willaumez, préfet maritime à Toulon, au ministre de la Marine en date du 27 août 1861.)
Aussi fut-il tout de suite décidé que le modèle de Dupuy de Lome, avec de légères modifications, serait reproduit rapidement dans une série de frégates cuirassées, dont certaines comme « L'Héroïne » à coque en fer, qui constituèrent dès l'automne 1863 une première escadre cuirassée.
Mais en même temps on s'affairait à perfectionner ce premier type en l'agrandissant – 7.172 tonnes au lieu de 5.620 – en lui donnant plus de vitesse – plus de 14 noeuds – et surtout un armement plus puissant. Dès 1859, toujours sur les plans de Dupuy de Lome, la marine mettait en chantier les vaisseaux cuirassés à éperon « Magenta » à Brest, et « Solférino » à Lorient. L'Empereur suivit lui-même l'élaboration de ces nouveaux bâtiments : le 1er décembre 1864, à Compiègne, il revêtait de sa signature l'avant-projet du « Marengo », amélioration des précédents, qui devait constituer avec « L'Océan » et le « Friedland » notre premier ensemble de cuirassés de 1er rang.
En même temps encore, pour les opérations lointaines, les corvettes cuirassées de 3.400 tonnes et 450 chevaux, du type « Belliqueuse » et « Alma », dérivées de la « Gloire », étaient mises en chantier à partir de 1863. On retrouve ici encore la main de l'Empereur, par exemple dans une lettre du 1er novembre 1860 fixant les caractéristiques de construction de la frégate « Flandre ».
Enfin la protection du littoral était confiée à des garde-côtes cuirassés du type « Taureau » de 3.450 tonnes également, toujours dus à Dupuy de Lome et mis sur cale à partir de 1866.
Ainsi, en moins de dix ans, le programme de 1857 était réalisé dans sa diversité. La France conservait son rang de seconde puissance maritime mondiale – après l'Angleterre – mais certains pouvaient même prétendre qu'elle pouvait rivaliser qualitativement par le modernisme du matériel, la valeur des états-majors et de la formation militaire avec notre redoutable voisine.
C'est qu'en effet l'Empire poursuivait parallèlement l'aménagement des bases navales et des arsenaux, l'instruction des personnels, l'entraînement des équipages : cette oeuvre mérite une étude particulière qui ne saurait trouver place dans cet exposé sommaire. Contentons-nous d'indiquer que les visites répétées de Napoléon III, du Prince Napoléon et même du Prince Impérial à Cherbourg (1858), à Brest (1852, 1858, 1868), à Toulon (1860) attestent la volonté active des gouvernants, qui assurent l'entreprise de travaux considérables.
III – Le nouvel armement
Le vaisseau cuirassé le Marengo, construit en 1865.
 
Les Anglais ne croyaient pas à l'efficacité du cuirassement. Inquiets cependant et jaloux après la constitution de la flotte cuirassée française, ils avaient réagi selon une vieille tradition britannique en augmentant la puissance de feu de leur artillerie.
Pour augmenter la force de pénétration des projectiles, ils accrurent sensiblement le calibre des canons jusqu'à des calibres supérieurs à 30 centimètres (accroissement plus facile pour les navires que pour l'artillerie de campagne mobile), en même temps qu'ils améliorent la précision par l'usage de canons rayés. Enfin, ils se préoccupent d'obtenir une plus grande rapidité de tir en adoptant le chargement par la culasse. Le résultat final sera le canon Armstrong de 340 m/m lançant un projectile de 270 kg…
Les Français ne se laissèrent pas intimider par ces innovations et, relevant le défi, ils firent d'abord observer que le poids d'une telle artillerie – le canon Armstrong pesait 7 tonnes ! – limitait le nombre des pièces et posait de singuliers problèmes de stabilité aux navires, de maniabilité (donc de vitesse de tir), que d'autre part la résistance des blindages était étroitement liée à l'angle sous lequel se faisait l'impact et qu'enfin la fabrication de telles pièces d'acier exigeait une métallurgie très complexe.
Cependant – et c'est là une marque d'intelligente compréhension – la France refusa de rejeter d'un bloc les innovations anglaises. Elle accepta un grossissement des calibres et limitera sa gamme aux canons de 16 cm, 19 cm, 24 cm et 27 cm, sans dépasser toutefois cette dimension pour des raisons pratiques.
La précision du canon rayé fut reconnue. Là aussi, l'évolution avait été amorcée dès la Monarchie de Juillet, mais elle n'avait été que très mollement suivie par les pouvoirs publics. Dès 1842, on s'était ingénié, par différents systèmes, d'accroître la puissance de pénétration des projectiles mais les commissions militaires avaient toujours rejeté les innovations. En 1847, le capitaine français Tomisier proposa un modèle de canon rayé, perfectionné par le chef d'escadron Treuille de Beaulieu. Mais avant 1850 aucun essai sérieux n'avait été entrepris, tandis que de longues et patientes expériences poursuivies notamment entre 1856 et 1859 devaient aboutir à l'adoption par l'armée d'un canon de campagne rayé qui fît sa première apparition sur les champs de bataille lors de la Campagne d'Italie. La marine s'équipa rapidement de nouveaux canons rayés, dès 1859 pour les pièces de 16, mais ces pièces se chargeaient toujours par la bouche.
En fait les deux problèmes étaient liés, le canon rayé et surtout l'obus à fusée se prêtant mal au chargement par la bouche. Mais le chargement arrière par culasse mobile soulevait d'autres difficultés : le système de fermeture à coin proposé par Krupp dès 1863, correct pour les pièces légères, s'adoptait moins bien aux pièces lourdes et les Anglais eux-mêmes éprouvaient des difficultés.
La bonne solution de la culasse à vis fut reprise aux Américains, avec le système Carteman, légèrement modifié d'ailleurs. Il s'agit d'un cylindre muni d'un pas de vis fileté que l'on introduit dans la culasse et que l'on bloque par une rotation de 1/6 de tour qui amène le corps du cylindre à obstruer le tube du canon.
La marine française adopta ce système dans ses armements postérieurs à 1868 (alors que l'armée de terre hésitait encore parce que son artillerie était de bronze, donc incapable de résister aux pressions), bien que la métallurgie n'ait pas encore donné des qualités de fer tout à fait satisfaisantes et que le verrouillage de sûreté ait exigé des mises au point difficiles. Rappelons que ce sont des pièces de ce type, à longue portée, débarquées des navires, qui participèrent à la défense de Paris lors du siège de 1870-1871.
Conclusion
L'Empire avait doté la France d'une marine de guerre moderne et forte, lui permettant d'assurer les missions demandées pour la sécurité de son littoral, la défense de ses lignes de communications, ses entreprises coloniales et sa présence à travers le monde.
Si, dans le conflit franco-allemand de 1870, la marine n'allait pas jouer de rôle décisif, c'est seulement que le temps lui a manqué : en cinq semaines le sort de la guerre se jouait sur terre. La marine avait affronté avec succès dans de rares rencontres les bâtiments ennemis, elle croisait en mer du Nord (division de l'amiral Faurichon) et la simple menace d'un débarquement sur les côtes de l'Allemagne du Nord – prévu de concert avec une intervention danoise – y retenait 100.000 hommes de troupes.
Le rôle à terre des détachements de marine et de son artillerie pendant la phase de Défense Nationale de l'hiver 1870-1871 est glorieux, tandis que la flotte assure la pleine liberté des communications sur mer au gouvernement et assure son ravitaillement.
Enfin l'Empire lègue à la République un excellent matériel qu'elle utilisera jusque vers 1890, économisant ses ressources nécessaires dans d'autres domaines, tout en lui permettant de continuer à jouer son rôle de deuxième puissance maritime mondiale. Un tel héritage mériterait un peu plus de reconnaissance.
   


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