La production en série du A4 commença dans une nouvelle usine, installée au sud de Peenemünde, dès le début de 1943. En août de la même année, un raid effectué par le Bomber Command de la RAF endommagea ce centre, la charge de fabriquer mille fusées par mois étant confié à la gigantesque usine de Nordhausen, installée dans des mines, où près de trente mille déportés allaient trouver la mort en dix-neuf mois. L’arme nouvelle fut ainsi disponible en quantité dès novembre 1943. Les instructeurs attachés à la première unité opérationnelle (836 Artillerie Ableitung) avaient alors leur stage de formation achevé Peenemünde. A leur tour, ils constituèrent un centre d’instruction à Köslin, en Poméranie, non loin de la base expérimentale. En janvier 1944, les premières unités opérationnelles étaient sur pied de guerre, avec leurs fusées, sur un ancien terrain de l’armée polonaise, près de Blizna. C’est là que près de six cents A4 allaient être tirés jusqu’en février 1945, dans le cadre du programme d’entraînement des troupes. Une des premières fusées tomba, sans exploser, dans une forêt polonaise où elle fut découverte par des résistants qui en signalèrent la présence à Londres. Trente-six heures plus tard, un Douglas Dakota de la RAF se posait de nuit, à, proximité , avec une équipe chargée de prélever des éléments de l’engin. L’avion effectua trois voyages , ramenant toutes les pièces transportables.
Le transport du matériel
Alors que les tirs expérimentaux avaient été réalisés à partir de bâtis construits sur des plate-formes en béton , à, proximité immédiate d’importantes installations fixes, l’armée dut transférer en campagne la totalité des équipements nécessaires. Le plus souvent ,le transport sur de longues distances des fusées et d’une partie du matériel se faisait par rail, sur des wagons plats ou dans des fourgons. En décembre 1994, des tirs furent effectués à partir de plate-formes sur rail. Au début, toutefois, les militaires transportaient des ensembles de lancement circulaires en acier soudé, haut d’un peu plus de 2 met larges de 3. Ces dispositifs étaient suffisamment robustes pour porter, même par vent fort, le missile entièrement chargé. Un déflecteur conique, en acier, centré sur l’axe de tir, rejetait les flammes à très haute température sur les côtés. En dépit des efforts aux quels elles étaient soumises lors des lancement, ces plates-formes étaient réutilisables. Certaines servant même une douzaine de fois.
Dans sa première forme, le système d’arme A4 comprenait de vingt-huit à trente véhicules, qui circulaient de nuit, empruntant des autoroutes avant de traverser des champs plats et carrossables pour rejoindre les sites de lancement choisis à l’avance. Dès l’origine, les responsables admirent que la fusée était de trop grande taille pour qu’on pût espérer la cacher, ou même de la camoufler efficacement. Presque rien ne fut tenter en vue de la dissimuler aux avions de reconnaissance alliés.Les premiers A4 étaient peint en vert foncé, mais en août 1994 apparut une livrée vert pâle et gris. Les fusées étaient transportées sur un Meillerwagen, long chariot d’acier équipé de roues à pneus et tiré par un gros tracteur. Fixées rigidement, elles reposaient sur des coussins souples. Au mois d’octobre 1944, une unité de tir déplaçait, généralement , de nuit,,jusqu’à cinq fusées, mise en oeuvre grâce aux mêmes dispositifs, mais nécessitant le convoyage de cinq fois la masse d’alcool indispensable à chacune et l’oxygène liquide hautement volatil. Il va sans dire que le personnel était astreint à la discipline la plus rigoureuse. Toutes les opérations devaient se dérouler dans le respect absolu des instructions.
Les véhicules du convoi se répartissaient en deux catégories, selon que leur présence était indispensable ou non à proximité de l’engin lors de son lancement. Les premiers étaient tous blindés, certains, tels que le poste roulant de tir, étaient des variantes blindés SdKfz 231ou 238, équipés de six à huit roues, ou encore de chenille. Il fallait de gros tracteurs pour déplacer à travers champs les fusées sur leur Meillerwagen, les fourgons blindés transportant les charges explosives, les stations de guidage, les ateliers de neuf types différents et surtout les réservoirs de comburant. Les troupes chargées des essais opérationnels emportaient m^me avec elles leur propre unité de production d’oxygène liquide. Une grue était nécessaire à,la mise en place de la fusée, composée pour 93% de sa masse d’explosifs.Il ne s’agissait que d’amatol 60/40, au pour tir destructeur assez limité. En effet, l’emploi d’explosif plus puissant, tels que le trialène, entraînait systématiquement l’explosion prématurée de la fusée lors de sa rentrée dans les couches moyennes de l’atmosphère, ou les parois étaient portées au rouge par la friction des molécules d’air. Malgré le bouclier thermique en laine de verre, qui enveloppait également les réservoirs d’alcool et d'oxygène liquide, de nombreuses fusées explosèrent avant d’atteindre leur objectif, sans que les équipes de lancement en sachent rien.
Le lanceur mobile comportait un vérin hydraulique géant, mis en pression par une source d’énergie externe, qui permettait de dresse, lentement , le missile et son bâti sur la plate-forme. Une fois celle-ci mise en place à l’endroit choisi, les servants lui ôtaient ses roues et en ajustaient l’horizontalité à l’aide de niveaux à bulles. Dès que tout le poids de la fusée reposait sur la plate-forme, il fallait vérifier que celle-ci restait immobile au moment où l’on défaisait les attaches du Meillerwagen. En suite, ce dernier quittait le site de lancement, et l’on n’avait plus accès à la fusée que par une échelle de 14m de haut. Le A4 étant dressé sur la plate-forme, on procédait au remplissage du réservoir de 4 175 kg d’alcool éthylique. Juchés au sommet de l’échelle, des hommes vérifiaient le bon fonctionnement des gyroscopes et des accéléromètres installés dans le compartiment de guidage, puis remplissaient les réservoirs d’azote liquide.A ce stade, il fallait faire tourner le tableau supérieur de la plate-forme afin d’orienter la fusée vers sa cible. Il n’était, en effet, pas possible de corriger le tir après le lancement, le système de guidage n’ayant pour fonction que de contrôler l’engin au sommet de sa trajectoire et de couper le moteur au moment où il atteignait une certaine vitesse. Ce système était, dans son principe, comparable aux actuelles centrales de navigation par inertie, et reposait sur le mesurage de l’accélération du missile et de son chronométrage.
L’équipe de mise en oeuvre disposait de deux gros manuels de procédure, et l’ensemble de l’opération demandait au moins six heures. A eux seuls, les équipements électriques nécessitaient plus de cent quatre vingts vérifications; il fallait s’assurer de la parfaite propreté des tuyauteries d’eau oxygénée et du bon fonctionnement des quatre déflecteurs de jet comme des quatre gouvernails. Au cours des deux dernières heures, on chargeait les 5 535 kg d’oxygène liquide à très basse températures. Contrairement à ce qui allait se produire quelques années plus tard avec les fusées Atlas et Jupiter, les parois de l’engin se couvraient pas de givre, en raison de l’épaisseur de la couche isolante interne. En fin, et en respectant scrupuleusement la notice d’utilisation, on remplissait les réservoirs contenant les deux liquides nécessaires à l’entraînement de la turbopompe : du Z-Stoff (solution de permanganate de calcium) et 172 kg de T-Stoff (eau oxygéné concentrée). Lorsque l’opération était achevée, chacun devait regarder la A4 avec une certaine appréhension : le vent était particulièrement à craindre, car un lancement manqué entraînait invariablement une formidable explosion, même si le percuteur situé tout nau sommet ne touchait pas directement le sol.
Au cours des dernières minutes, l’équipement radio de télémétrie, fréquemment emporté pour indiquer la trajectoire suivie, était mis sous tension. Ses quatre antennes étaient placées dans des carénages cylindrique, sur le bord de fuite des empennages. Tout le monde alors, évacuait les lieux, à l’exemption de l’équipe de lancement, installée dans le véhicule de contrôle que deux câbles reliaient à la fusée. Le lancement se faisait par procédure manuelle, avec vérification après chaque opération. Il fallait mettre en marche trois systèmes de sécurité avant de procéder à la mise à feu, qui commençait par l’ouverture du robinet d’azote liquide, puis de ceux d’eau oxygénée et de permanganate. Ces deux liquides entraient en contact dans une chambre de combustion, et le flux, à hautes pression et haute température, des produits de la réaction chimique entraînait une turbopompe de 730 cv, qui alimentait le moteur. L’ oxygène liquide arrivait aux anneaux d’injecteurs situés au sommet de la chambre de combustion principale, et l’alcool parvenait aux m^mes injecteurs à travers la double proie destinée à assurer le refroidissement. La mise à feu proprement dite était assurée par un arc électrique. En moins de deux secondes, la turbopompe atteignait alors, en théorie au moins, sa poussée maximale. La fusée s’élevait, stabilisée par les déflecteurs de jet en graphite ,
En deux ou trois secondes, on la voyait s’élever au-dessus des arbres qui entouraient l’aire de lancement, le protégeant du vent et le dissimulant aux avions alliés. A plusieurs reprise, des pilotes de chasseurs tentèrent de poursuivre des A4, mais sans jamais y parvenir. Une fusée prit un jour son essor au moment précis où un Spitfire Mk XIV passait en virage serré. Le pilote la vit disparaître dans les nuages avant d’avoir pu s’en approcher.Au cours de sa montée, l’engin s’inclinait, sous l’action de son système de guidage, jusqu’à un angle de 45° où m^me 40°, variable en fonction de la distance à parcourir. Soixante ou soixante-dix secondes après le décollage , la fusée ayant été placée sur la trajectoire voulue, le moteur s’arrêtait.
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