Article fait par :Jean Marie Mortier
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Le Sabre Japonais et ses secrets
English Translation
Texte et illustration de Jean Marie Mortier
Fabrication d'un Sabre Japonais
Le sabre Japonais ne doit ni se casser, ni se tordre et garder son tranchant. Il doit donc être très dur et en même temps suffisamment souple. En métallurgie ces propriétés sont contraires. Les anciens forgerons ont donc imaginé et mis au point un processus très complexe pour aboutir à une lame quasiment parfaite. Tout commence avec la production d'acier brut appelé Tamahagane obtenu par réduction dans le Tatara. Le processus pour obtenir cet acier est unique au monde. Le minerai, déjà soigneusement choisi est fondu avec un mélange de sable ferrugineux et de charbon de bois.
Ici interviennent les secrets des maîtres forgerons, avec pour chaque atelier des différences dans la manière. Ce qui est commun à tous en revanche, c'est l'énorme travail nécessaire pour obtenir de quoi forger une lame. En effet, seul un infime pourcentage de minerai sera transformé en acier brut. On estime entre 1% et 10% au maximum du poids de départ. Déjà, à ce niveau se dégage l'excellence du matériau. Les morceaux de métal ainsi produits sont cassés en petits bouts de 3 à 5 cm. Le forgeron les triera suivant la teneur en carbone, et donc la dureté qu'il estime en chaque morceau.
Ensuite il réunit le tout en un bloc de la forme d'une brique, puis le chauffe sur un feu de charbon de bois.
A bonne température, le forgeron les aplatit avec un marteau en un bloc compact, puis le trempe dans l'eau et recasse le tout en petits morceaux.
Cette opération peut être répétée plusieurs fois. Ensuite, quand le forgeron estime sa brique de métal prête, il la chauffera et la forgera sur l'enclume en pliant son métal de nombreuses fois.
Ce processus de forge et de pliage successifs, permettra à l'acier de se débarrasser de ces impuretés, tout en uniformisant sa teneur en carbone. Le travail de forge doit être impeccablement réalisé pour bien souder entre elles les différentes couches de métal.
Bien sur, chaque atelier a sa manière de forger et plier le métal. Ce travail sera visible plus tard sur la lame, avec ce que l'on nomme le grain de l'acier. Chaque fois que le métal est plié, cela double les couches d'acier. On arrive donc assez vite à un nombre très important. Il existe une limite au nombre de pliages souhaitables, car après l'acier perd en dureté. Là encore, chaque maître à son secret. Pour répondre aux critères de dureté et de souplesse, le sabre est fait d'acier composite.
Sur cette photo, nous pouvons voir les différentes étapes de la fabrication du sabre. Du minerai de Tamahagane, à différentes étapes de la "loupe" de métal à forger, jusqu'a la lame mise en forme et une autre préparée pour la trempe.
Le tranchant et l'extérieur sont faits d'acier très dur, alors que le cœur et le dos sont faits d'acier plus doux. Lorsque le forgeron est en possession des deux qualités d'acier qu'il souhaite, le but est d'enrober l'acier doux de la couche plus dure. Là encore, les méthodes pour réussir cet amalgame peuvent varier suivant les artisans. Une fois la forme de la lame obtenue, on arrive au stade de la cuisson et de la trempe. Ce travail est très délicat. Là aussi, il faut veiller à ce que le tranchant soit plus dur que le reste de la lame.
Pour cela, la lame est recouverte d'un mélange d'argile, de poudre de charbon de bois et de petits secrets de chacun... Ce travail fini, on chauffe la lame sur un feu de charbon de bois, et quand le forgeron estime la bonne température atteinte, il plonge la lame dans l'eau. Le tranchant, moins protégé par une mince couche d'argile, se refroidit plus vite que le reste de la lame, et acquiert sa dureté définitive. Entre les deux parties de la lame, apparaît, bien visible, la ligne de trempe. Sur la partie la plus trempée, le choc thermique transforme l'acier en une structure appelée martensite. Il s'agit de fins cristaux extrêmement durs qui expliquent le redoutable tranchant des Nippon-tô.
Suivant le résultat que le forgeron veut obtenir, il peut retoucher légèrement la courbure. Puis la lame est grossièrement polie, pour lui donner sa forme définitive. A ce stade, si le maître est satisfait du résultat, il donnera la lame au polisseur, qui finira le sabre. On le voit, la forge d'un sabre Japonais n'est pas une mince affaire. Les occasions de rater le sabre ne manquent pas. C'est pourquoi les belles lames ne naissent pas très nombreuses. Même les meilleurs forgerons peuvent rater une lame. Aujourd'hui encore, avec les connaissances actuelles de la métallurgie, les grands maîtres du passé sont rarement égalés.
Une fois le sabre poli, il sera monté en shira-saya. Eventuellement avec une koshirae plus formel suivant les goûts et désirs du propriétaire. Sur cette photo nous pouvons voir un saya-shi au travail. Traditionnellement, le bois utilisé est du magnolia blanc. Le bois devra être sans défauts et sans nœuds. Le shira saya est un fourreau très ajusté sur le sabre, qui protège bien la lame des chocs éventuels mais surtout de l'humidité.
Sur cette photo nous pouvons voir une femme en train de tresser la Tsuka. Appelée tsukamaki cet artisan doit réaliser la poignée du sabre dans sa monture traditionnelle. La poignée est un élément important du sabre et doit être réalisé avec soins. Faite en bois sur mesure, la tsuka est recouverte de samé, peau de raie, et ornée de ses menuki avant d'être tressée très serrée.
Il existe de très nombreuses façons de réaliser le tressage. Plusieurs dizaines sans aucun doute. Je vais vous en présenter quelques unes...
Polissage (condensé) de la lame du Sabre Japonais
Après la forge, vient l'étape du polissage. Cette opération, d'une grande difficulté, est bien plus importante que polir simplement une pièce de métal. Pour un sabre Japonais, le polissage signifie non seulement le tranchant du sabre, mais implique aussi une notion d'embellissement de la lame.
En effet, c'est grâce au polisseur que le travail du métal réalisé dans les forges sera lisible. C'est une étape cruciale. Au Japon, l'apprentissage du métier de polisseur demande une dizaine d'années d'un dur labeur. Pourquoi si long? Le polisseur doit avant tout être un expert en sabres, et sa responsabilité est énorme. Imaginons que vous possédiez une lame de l'époque Kamakura. Si un polisseur amateur commettait la grave erreur d'amincir cette lame comme un sabre fin Edo, la valeur serait bel et bien ruinée. Lors d'une expertise, la lame serait considérée comme fausse, et de plus un objet historique serait définitivement défiguré. Voilà pourquoi le polisseur doit être un expert du kantei. (Expertise) Il doit au maximum respecter la lame comme le forgeron l'a faite et ne pas seulement la polir.
Le polissage est effectué avec des pierres d'origine volcanique typiquement Japonaise, bien que de nos jours, des pierres industrielles remplacent souvent les pierres naturelles. En général une dizaine de pierres sont utilisées. Chacune de plus en plus fine jusqu'aux petites pierres de finition.
Il existe deux grandes techniques de polissage. (voir plus loin) La première laisse plus de place au naturel de la lame. L'autre, plus récente et popularisée par la famille Hon Ami, insiste plus sur les contrastes du métal. C'est surtout une affaire de goût, et aujourd'hui les deux techniques cohabitent. Pour les collectionneurs occidentaux, le polissage est un véritable casse- tête. Que faire de sa lame? A qui la confier?
Les polisseurs compétents hors du Japon se comptent sur les doigts de la main. Bien sûr, le prix est souvent un second problème. Pourtant, pour une lame de qualité, la seule option valable est d'envoyer le sabre au Japon. Cela demandera entre trois et six mois, mais les garanties d'un bon travail seront bien meilleures. Tout le monde peut prendre contact avec la NTBHK qui se fera un plaisir de recommander un artisan, et donnera la marche à suivre pour les formalités à remplir avec le gouvernement Japonais.
Les obstacles ne sont pas insurmontables, et de toute façon, les désagréments d'un mauvais polissage seraient bien pires. Et bien sûr, n'oubliez pas la règle d'or : Ne jamais toucher la lame avec les doigts. Le geste du novice qui se précipite sur un sabre pour vérifier le tranchant avec le pouce est à proscrire absolument. Au Japon cela serait d'une grossièreté inqualifiable.
Mais surtout, l'acidité naturelle de la peau pourrait, si la lame n'était essuyée de suite, marquer d'une empreinte l'endroit de l'agression. Si cela arrivait, seul un polissage pourrait venir à bout de l'oxydation... Et on se retrouve avec les nuits sans sommeil du collectionneur qui a envoyé sa lame à l'autre bout du monde, et qui prie chaque nuit pour que l'avion postal ne se crash pas, ou qu'un tremblement de terre n'engloutisse pas l'atelier du maître polisseur...