Article fait par :Claude Balmefrezol
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Gloire et Empire n° 76 Janvier Fevrier 2018
Pour l'Empire napoléonien, l'année 1812 marque un terrible tournant. Jusqu'alors maître du jeu dans toute l'Europe, Napoléon se lance tête baissée dans une aventure perdue d'avance. N'écoutant pas les mises en garde de son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, ne tirant pas les leçons de l'expédition de Charles XII de Suède qui, un siècle auparavant, s'enferra dans les rigueurs de l'hiver, les attaques russes incessantes et, déjà, la politique de la terre brûlée, il s'entête dans son projet. Sans doute mise-t-il sur son aura, ses talents militaires et la force prodigieuse de l'armée européenne qu'il constitue peu à peu ainsi que sur une préparation soignée avec un luxe extraordinaire de détails. Mais, ce faisant, il détourne son attention de la péninsule Ibérique où la situation s'enlise après la levée du blocus de Ciudad Rodrigo. Pire même, il y prélève des forces dont il a besoin dans le nord de l'Europe...
De son côté, lord Wellington s'enhardit. Il sait qu'il doit forcer le passage vers l'Espagne et, pour cela, faire tomber les places fortes de Ciudad Rodrigo et de Badajoz. Mais, après les combats d'El Bodon et d'Aldeia da Ponte, les 25 et 27 septembre 1811, il n'a pas eu d'autre choix que de lever le blocus de Ciudad Rodrigo. Depuis, ses troupes anglo-portugaises sont bloquées à quelques kilomètres à peine de la forteresse. Profitant du repos forcé et de l'inaction, il prépare ses troupes aux combats qui les attendent, soigne la logistique et l'équipement et, surtout, fait convoyer de l'artillerie lourde sur les chemins escarpés de montagne.
C'est avec toute la prudence du défenseur qu'il est naturellement, et fort de ses expériences précédentes, que, début janvier 1812, après quelques jours d'atermoiement liés aux conditions atmosphériques et aux délais d'acheminement, il lance enfin ses troupes à l'assaut de la forteresse. Quand les Français les aperçoivent le 8 janvier, ils ne sont guère inquiets. Pourtant, méthodiquement, les travaux de siège sont menés comme à l'exercice, si bien que Ciudad Rodrigo tombe prématurément, au prix de lourdes pertes pour l'attaquant, dans la nuit du 19 janvier. Lorsque l'information lui parvient, le maréchal Marmont n'en revient pas et rend compte au maréchal Berthier en ces termes : "Il y a dans cet événement quelque chose de si incompréhensible que je ne me permets aucune observation". Il est vrai que la victoire anglaise est aussi brillante qu'inattendue.
Ce succès renforce les convictions de lord Wellington qui se retourne, comme prévu, vers la forteresse de Badajoz qu'il n'avait pas réussi à soumettre l'année précédente en dépit de deux longs mois de siège. Toujours aussi méticuleuses, les troupes anglo-portugaises se présentent le 16 mars devant la place forte qui capitule le 7 avril, après seulement trois semaines d'un siège intense et coûteux en vies humaines. Grâce à ces deux succès, lord Wellington peut enfin poursuivre son offensive qui ne s'achèvera qu'avec la première abdication de Napoléon, le 6 avril 1814.