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France 1400 Les Trés Riches Heures du Duc de Berry
Article fait par :Claude Balmefrezol
Mis en ligne le 18/07/2020 à 09:55:43
Les Très Riches Heures du Duc de Berry
Chantilly Musée Condé
Historique voir ICI
History see HERE
Le livre d'Heures
Janvier
Le duc de Berry, assis en bas à droite, dos au feu, est habillé de bleu et coiffé d'un bonnet de fourrure. Il invite ses gens et ses proches à se présenter à lui. Derrière lui figure l'inscription « Approche Approche ». Plusieurs familiers du duc s'approchent de lui pendant que des serviteurs s'affairent : les échansons servent à boire, deux écuyers tranchants au centre sont vus de dos. Tous deux sont parés d'une écharpe blanche, signe de ralliement des Armagnacs pendant la Guerre de Cent Ans25. Un jeune invité, habillé de vert au chaperon rouge, possède un collier au bâton noueux du duc d'Orléans26. Au bout de la table officie un panetier. Au-dessus de la cheminée figurent les armes du duc, « d'azur semé de fleurs de lys d'or, à la bordure engrêlée de gueules », avec de petits ours et des cygnes blessés, emblèmes de Jean de Berry. Plusieurs animaux de compagnie sont représentés : petits chiens sur la table, lévrier au sol. La tapisserie du fond de la salle semble représenter des épisodes de la guerre de Troiec 13. Sur la table, est posée sur la droite une nef qui a été identifiée à une pièce d'orfèvrerie ayant réellement appartenu au duc : il s'agirait de la Sallière du pavillon, mentionnée dans un inventaire des biens de Jean de Berry en 1413 et décrite avec le cygne navré et l'ours à chaque extrémité, symboles du prince. L'objet, aujourd'hui disparu, est estimé à 1 000 livres tournois dans son inventaire après-décès27.
Dans cette miniature, le duc prend en fait la place du dieu Janus bifrons, qui était traditionnellement représenté dans les calendriers médiévaux au mois de janvier, festoyant et regardant à la fois l'année passée et l'année à venir25.
Il a été proposé d'y voir une scène se déroulerant le 6 janvier 1414, lors de l'Épiphanie, dans la salle de l'hôtel de Giac à Paris, dans l'actuel quartier de Bercy. Le prélat assis au côté du duc serait Guillaume de Boisratier, archevêque de Bourges et les frères de Limbourg eux-mêmes se seraient représentés28. Pourtant, ces identifications sont jugées très incertaines voire invraisemblables. La scène se déroule plutôt dans son hôtel de Nesles25. Pour Paul Durrieu, le prélat est plutôt Martin Gouges, évêque de Chartres, autre proche du duc29, mais il n'a jamais été cardinal. Pour l'historien de l'art Albert Châtelet, il s'agirait plutôt l'archevêque de Reims, Simon de Cramaud30.
L'hypothèse la plus consensuelle y voit la festin du Nouvel An organisé par le duc le 1er janvier 1415. Il s'agissait de réconcilier Armagnacs et Bourguignons après la Paix d'Arras. Charles d'Orléans et son frère Philippe y ont participé et pourrait être représentés parmi les écuyers tranchants, soit ceux vus de dos, soit celui au bout de la table, vêtu de blanc, rouge et noir. Ces couleurs ont en effet été choisies par l'équipe d'Orléans lors de joutes qui se sont déroulées quelques jours plus tard. Le prélat pourrait être Alamanno Adimari, archevêque de Pise et légat du pape Jean XXII, qui a offert au duc ce jour-là une salière en or21. Pol de Limbourg a lui aussi fait le cadeau d'un salière à son mécène le duc à cette même occasion26.
Un grand nombre de personnages présentent un caractère jeune et androgyne, le duc se retrouvant ainsi au centre d'un univers homosocial. Cette miniature serait, selon certains historiens, l'un des indices de l'homosexualité de Jean de Berry31. Selon Meiss, Jean de Limbourg serait l'auteur de la miniature alors que selon Cazelles, il s'agirait de « Limbourg B »c
Fevrier
La scène représente la rudesse de la vie des paysans en hiver. Elle est en opposition radicale avec la magnificence de la scène précédente. Un enclos ceint une ferme comprenant une bergerie et, sur la droite, quatre ruches et un pigeonnier. À l'intérieur de la maison, une femme et deux jeunes gens sans sous-vêtements se réchauffent devant le feu. À l'extérieur, un homme abat un arbre à la hache, des fagots à ses pieds, tandis qu'un autre s'apprête à rentrer en soufflant sur ses mains pour se réchauffer. Plus loin, un troisième conduit un âne, chargé de bois, en direction du village voisinc 14.
Des scènes hivernales ont été représentées dans d'autres livres enluminés de l'époque, notamment une miniature dans un manuscrit du Décaméron (vers 1414)ms 15 et une autre dans un manuscrit du Miroir Historial de Vincent de Beauvais (vers 1410)ms 16, toutes deux attribuées au Maître de la Cité des dames mais celle des Très Riches Heures reste la plus élaborée. Selon Meiss, Paul de Limbourg est l'auteur de la miniature ; selon Cazelles, elle a été réalisée après les frères de Limbourg car des traces de l'esquisse, visibles notamment au niveau du bûcheron et de l'ânier, indiquent que celle-ci n'a pas été suivie dans l'exécution finalec 14. Selon Erwin Panofsky, il s'agit là du « premier paysage de neige de l'histoire de la peinture »3
Mars
Cette peinture représente une scène de travaux agricoles. Chaque champ contient une étape différente des travaux, tous séparés par des chemins se croisant au niveau d'un édicule appelé montjoie. Au premier plan, un paysan laboure un champ de céréales à l'aide d'une charrue à versoir et avant-train muni de deux roues, le tout tiré par deux bœufs, l'homme les dirigeant à l'aide d'une longue gaule. Des vignerons taillent la vigne dans un enclos à gauche et labourent le sol à l'aide d'une houe pour aérer le sol : ce sont les premières façons de la vigne33. Sur la droite, un homme se penche sur un sac, sans doute pour y puiser des graines qu'il va ensuite semer. Enfin, dans le fond, un berger emmène le chien qui garde son troupeauc 15,34.
À l'arrière-plan figure le château de Lusignan (Poitou), propriété du duc de Berry qui l'a fait moderniser. On voit à droite de l'image, au-dessus de la tour poitevine, un dragon ailé représentant la fée Mélusine. En 1392, Jean d'Arras a composé pour Jean de Berry la Noble histoire de Lusignan, appelé aussi Roman de Mélusine, dans laquelle il raconte l'histoire de la fée, ancêtre imaginaire du duc. Selon la légende, Mélusine a donné naissance à la lignée des Lusignan et serait le bâtisseur de la forteresse. Épouse de Raymondin de Lusignan, elle lui a promis la richesse et le bonheur, à la condition qu'il ne la voit jamais le samedi, jour où son corps prend l'apparence d'un dragon. Un jour, Raymondin rompt le pacte et observe sa femme au bain. La fée s'enfuit alors en prenant la forme d'un dragonc 15,.
La miniature a été réalisée en deux temps : la partie supérieure par les frères de Limbourg, la partie inférieure par le peintre intermédiaire. Les ombres projetées par le paysan sont typiques du style eyckien apparu dans les années 1420 mais aussi du clair-obscur manié par Barthélemy d'Eyck5.
Avril
Le sujet principal de cette peinture est une scène de fiançailles : au premier plan, à gauche, un couple échange des anneaux devant deux témoins et un autre personnage, représenté derrière, plus petit que les autres. Selon Saint-Jean Bourdin, il s'agirait d'une représentation des fiançailles de Marie de Berry, fille du duc de Berry, et de Jean Ier de Bourbon le 27 mai 1400, avis partagé par Patricia Stirnemann35. Cependant, pour Cazelles, il semble difficile de représenter une scène dix ans après qu'elle a eu lieu. Selon Jean Longnon, il s'agirait plutôt des fiançailles de sa petite-fille, Bonne d'Armagnac, avec Charles Ier d'Orléans, neveu de Charles VI et connu pour son œuvre poétique, et qui se sont déroulées le 18 avril 1410 à Gienc 16. Le page à gauche est habillé de rouge, blanc, noir et or, les couleurs du roi de France à cette époque, que l'on retrouve dans le chapeau à plume d'une des dames36.
Plus au centre, deux suivantes cueillent des fleurs. À droite, on aperçoit un verger clos de murs et d’un édifice à créneaux. À l'arrière-plan se dresse un château, souvent désigné comme le château de Dourdan, au pied duquel coule l'Orge. La forteresse est la propriété de Jean de Berry à partir de 1400, qui y abrite son trésor en 140137. Cependant, les représentations anciennes de cet édifice, notamment l'estampe de Claude Chastillon au XVIe siècle, lui correspondent assez peu. Il pourrait s'agir plutôt, selon Cazelles, du château de Pierrefonds, construit aussi par Philippe Auguste entre 1220 et 1222, propriété de Louis Ier d'Orléans, situé comme ici à proximité d'un plan d'eau, l'étang du Roi. Une autre construction – Le Parcq – se trouvait à proximité, comme le bâtiment représenté ici à droite, qui lui ressemble. Pour Meiss, Jean de Limbourg est l'auteur de cette miniature alors que pour Cazelles, il s'agirait de « Limbourg B », comme pour le mois de janvierc
Mai
Ce mois est illustré par la cavalcade traditionnelle du 1er mai : des jeunes gens vont à cheval, précédés de joueurs de trompettes. Ils partent en forêt chercher des rameaux qu'ils porteront sur la tête ou autour du cou. À cette occasion, les dames arborent une longue robe verte, comme c'est ici le cas de trois d'entre elles. Plusieurs personnages portent des feuillages dans leur coiffure : on leur prête des effets bénéfiques, plusieurs ouvrages conseillent de porter des chapeaux de fleurs « pour conforter le chief »38.
Des propositions d'identification des personnages ont été avancées : d'après Cazelles, on pourrait voir Jean Ier de Bourbon dans le cavalier vêtu d'une tunique noire, blanche et rouge et, dans la femme à la large coiffe blanche qu'il regarde, sa troisième épouse Marie de Berry, fille du duc de Berry. Mais pour Patricia Stirnemann, c'est le personnage en bleu devant lui, coiffé de la couronne de feuillage qui serait le fiancé : Jean de Bourbon, habillé comme lors des fiançailles dans la miniature d'Avril, y est représenté à l'occasion de son mariage avec Marie de Berry35. Selon Millard Meiss, l'identification des personnages est confirmée par la présence, sur les harnais des chevaux, de cercles d'or à sept petits disques, emblème de la maison de Bourbon. Un autre indice tient dans l'insigne porté par les hérauts, qui est similaire à l'emblème de l'ordre de l'Écu d'or, fondé par Louis II de Bourbon en 1367, même si on en retrouve très peu de représentation après 137039.
Les constructions de l'arrière-plan ont donné lieu à des interprétations divergentes. Selon Edmond Morand40, il s'agirait du palais ducal de Riom, propriété du duc de Berry qui le fit reconstruire. Cependant, la disposition des bâtiments a été modifiée. Selon Saint-Jean Bourdin, il s'agirait de l'entrée à Riom de Bernard d'Armagnac remettant sa fille, Bonne, à son fiancé Charles d'Orléans, en présence du duc de Berry, avant le mariage qui eut lieu en mai 1411. Selon Papertiant41, il s'agirait plutôt du palais de la Cité à Paris avec le Châtelet à gauche, la Conciergerie et la tour de l'Horloge. Cette vue rappellerait alors le lieu du mariage de Jean de Bourbon et de Marie de Berry. En 1410, Jean de Bourbon venait d'accéder à la couronne ducalec 17.
Juin
C'est une illustration des travaux paysans avec une scène de fenaison. Au premier plan, une femme râtelle du foin et une autre le met en meule à l'aide d'une fourche. Il est en effet étalé chaque matin pour le sécher et rassemblé chaque soir en meulons pour éviter l'humidité de la nuit. Cette activité souvent féminine contribue à faciliter le séchage du foin avant qu'il soit ramassé. Trois faucheurs forment des andains au second plan à droite, en laissant de petites bandes d'herbe non fauchée. La coupe a lieu en plein soleil, c'est pourquoi chacun s'est protégé la tête d'un chapeau ou d'un tissu. Les faucheurs portent une courte chemise de toile fendue sur les cuisses et travaillent jambes et pieds nus42. D'autres personnages minuscules sont représentés dans une barque sur le fleuve, dans l'escalier menant à la poterne et dans l'escalier couvert à l'intérieur du palaisc 18.
La scène se déroule en bordure de Seine, dans un champ situé à l'emplacement de l'hôtel de Nesle, résidence parisienne du duc de Berry. On y trouve de nos jours la bibliothèque Mazarine. Comme ici, les prés représentés dans les calendriers sont souvent situés près d'un ruisseau ou d'un plan d'eau42. De l'autre côté du fleuve s'étend dans toute sa longueur le palais de la Cité, siège de l'administration royale, avec successivement les jardins du roi, la Salle sur l'eau, les trois tours Bonbec, d'Argent et César, puis la tour de l'Horloge. Derrière la galerie Saint-Louis au centre, les deux pignons de la Grande Salle, le Logis du roi et la tour Montgomery. À droite, la Sainte-Chapellec 18. Selon Stirnemann, il s'agit de la suite de la scène de Mai, avec la cérémonie du mariage qui s'est déroulée dans ce palais : les invités y gravissent un escalier extérieur35.
Selon Meiss, la miniature, attribuable à Paul de Limbourg, fut achevée par Jean Colombe ; d'après Cazelles, elle date de 1440 au vu des bâtiments représentésc 18. Même si le dessin sous-jacent est de la main des frères de Limbourg, le peintre intermédiaire qui pourrait être Barthélemy d'Eyck y a laissé plusieurs indices montrant qu'il a au moins achevé la peinture : la peau blanche et les yeux des paysannes du premier plan laissant voir leurs pupilles et le blanc, mais aussi quelques ombres projetées sous la barque et la robe de la paysanne de droite, et enfin les petits personnages du palais5.
Juillet
Les travaux du mois de juillet représentent la moisson et la tonte des moutons. Deux personnages fauchent les blés à l'aide d'un volant et d'une baguette. Un volant est une longue faucille ouverte dont le manche fait angle avec le plat de la lame. À l'aide de la baguette, ils dégagent un paquet de tiges qu'ils coupent en lançant le volant. Les moissonneurs avancent de l'extérieur de la parcelle en se dirigeant vers son centre en tournant. L'un d'entre eux porte une pierre à aiguiser à la ceinture43. Deux autres personnages, dont une femme, coupent la laine des moutons à l'aide de forcesc 19.
Exception faite des montagnes imaginaires, le paysage représente, au premier plan, la rivière Boivre se jetant dans le Clain, à proximité du château triangulaire de Poitiers représenté au second plan, distinct du palais des Comtes du Poitou, situé lui sur le plateau. Propriété du duc de Berry, le château fut reconstruit sans doute à partir de 1378 sur ordre du duc par son architecte Guy de Dammartin44. La représentation du château dans cette miniature est conforme aux travaux menés pour le duc, même si Millard Meiss a mis en doute cette identification. La miniature a été peinte par Paul de Limbourg selon Meiss, par le peintre des années 1440 selon Cazellesc
Aout
La miniature présente plusieurs plans. Au premier figure une scène de fauconnerie : le cortège à cheval part pour la chasse, précédé d'un fauconnier. Celui-ci tient dans la main droite le long bâton qui lui permettra de battre arbres et buissons pour faire s'envoler le gibier. Il porte deux oiseaux au poing et, à la ceinture, un leurre en forme d'oiseau que l'on garnissait de viande pour inciter les faucons à revenir. Le cortège est accompagné de chiens destinés à lever le gibier ou à rapporter celui qui aura été abattu. Sur leur cheval, trois personnages portent un oiseau, sans doute un épervier ou un faucon émerillonc 20.
Au second plan sont représentés les travaux agricoles du mois d'août. Un paysan fauche le champ, un deuxième réunit les épis en gerbes alors qu'un troisième les charge sur une charrette tirée par deux chevaux. À proximité, d'autres personnages se baignent dans une rivière — peut-être la Juine — ou se sèchent au soleilc 20. À l'arrière-plan se dresse le château d'Étampes, que le duc de Berry avait acquis en 1400, à la mort de Louis d'Évreux, comte d'Étampes. Derrière les remparts, on distingue le donjon quadrangulaire et la tour Guinette, qui existe toujours. Le duc de Berry offrit le château à Charles d'Orléans, mari de sa petite-fille Bonne d'Armagnac, peut-être représentée ici sur un cheval blanc. Selon Saint-Jean Bourdin, cette scène représente la prise de possession du château par cette dernière, avant 1411, hypothèse confirmée par Patricia Stirnemann35. Mais pour lui, le couple est représenté à gauche : le duc de Berry est sur le cheval blanc (bien qu'assis en amazone) et le duc et la duchesse d'Alençon se trouvent à droite. Pour Meiss, la miniature est de Jean de Limbourg alors que pour Cazelles, elle est de « Limbourg B », avec peut-être un ajout de la scène centrale vers 1440c 20.
Septembre
Septembre est illustré par les vendanges. Au premier plan, cinq personnages cueillent du raisin tandis qu'un homme et une femme, apparemment enceinte, se reposent. Les grappes sont déposées dans des paniers qui sont ensuite vidés dans des hottes fixées sur des mulets. Ces hottes sont elles-mêmes déversées dans des cuves chargées dans des charrettes tirées par des bœufsc 21.
Tout le monde s'accorde à distinguer deux mains dans cette enluminure : l'une dans la scène de vendange, l'autre dans le château et ses abords. Longtemps, le château a été attribué aux frères de Limbourg, et plus particulièrement à Paul par Meiss. Cependant, entre 1410 et 1416, le propriétaire du château était Louis II d'Anjou, allié du duc de Bourgogne Jean sans Peur puisqu'il fiança en 1410 son fils aîné Louis III d'Anjou à l'une des filles de celui-ci. Cela en faisait donc un opposant au parti du roi de France, donc au duc de Berryc 21.
Le style de la partie supérieure de la miniature fait plutôt penser au peintre des années 1440, Barthélemy d'Eyck. Cette hypothèse est confirmée par le fait que le château appartenait alors à René d'Anjou, fils de Louis II et mécène de ce peintre. À l'extrémité droite de la lice se trouve un édicule quadrangulaire orné de colonnes engagées appelé « perron ». Il s'agit d'un édifice qui fut utilisé lors d'un tournoi de chevalerie, le « Pas de Saumur », organisé sur place par René d'Anjou en 1446 en l'honneur du roi de France Charles VII et auquel a participé Jean de Dunois. Le compte-rendu de ce tournoi, aujourd'hui disparu, a été illustré par Barthélemy d'Eyck, représentant sans doute ces lices et ce perron. Quant à la partie inférieure, elle pourrait avoir été réalisée par Jean Colombe ou son atelier5.
Octobre
La scène paysanne du premier plan représente les semailles. À droite, un homme sème à la volée. Des pies et des corneilles picorent les graines qui viennent d'être semées, à proximité d'un sac blanc et d'une gibecière. Au fond du champ, un épouvantail en forme d'archer et des fils tendus, sur lesquels sont accrochés des plumes, sont destinés à éloigner les oiseaux. À gauche, un paysan à cheval passe la herse sur laquelle est posée une pierre qui permet aux dents de pénétrer plus profondément dans la terre. Il recouvre ainsi les grains qui viennent d'être semés. C'est un cheval qui herse et non des bœufs car ses sabots plus légers écrasent moins le sol. Sa couverture est découpée en lanière afin d'éloigner les insectes45.
À l'arrière-plan, le peintre a représenté le Palais du Louvre, tel qu'il fut reconstruit par Charles V. Du château au centre, on distingue, outre le donjon central qui accueillait alors le trésor royal, la façade orientale à droite, encadrée par la tour de la Taillerie et la tour de la Chapelle, et à gauche la façade méridionale, avec ses deux tours jumelées au centre. L'ensemble est entouré d'une enceinte ponctuée de trois tours et de deux bretèches, visibles ici. Sur la rive, des personnages conversent ou se promènent. C'est la seule représentation de bourgeois de tout le calendrier, personnages habituellement plus présents dans les livres d'heures flamands de l'époque46. Des barques sont amarrées à la berge. Comme celle de juin, la scène est prise depuis les bords de Seine, à proximité de l'hôtel de Nesle, en regardant vers le nordc 22.
Si le château est sans doute l'œuvre des frères de Limbourg avec des gargouilles en tortillons qui se retrouvent fréquemment dans les bâtiments qu'ils représentent, toute la partie basse est sans doute de la main du peintre intermédiaire, et donc peut-être Barthélemy d'Eyck, sur un dessin préparatoire des Limbourg. Luciano Bellosi a souligné le fait que les petits personnages sur la berge sont habillés d'une tunique cintrée et en trapèze au-dessus du genou, tel qu'on peut le voir dans la mode des années 1440 et notamment dans le frontispice des Chroniques de Hainaut peint par Rogier van der Weydenms 17. Si cette hypothèse a été contestée, la présence des ombres projetées systématiques près des personnages, des animaux, et même des objets, ainsi que les détails triviaux (crottin de cheval dans le champ) rappellent à de nombreuses reprises le style de Barthélemy d'Eyck5.
Novembre
La miniature représente une scène paysanne traditionnelle d'automne : la glandée. Un porcher, accompagné d'un molosse, fait paître un troupeau de porcs dans un bois de chênes. À l'aide d'un bâton qu'il jette, il frappe les branches pour en faire tomber les glands. Le porc, engraissé puis tué et salé, permettra de préparer l'hiver et de se nourrir toute l'annéec 23. Le droit de pratiquer la glandée ou paisson est généralement accordé de la Saint-Rémi, le 1er octobre, quand les glands tombent, à la Saint-André, le 30 novembre47.
On aperçoit à l'arrière-plan un château accroché aux rochers et une rivière qui serpente entre les montagnes bleuies. Ce paysage rappelle ceux de la Savoie. La miniature, réalisée vers 1485-1486, est attribuée à Jean Colombe, qui travaillait alors pour Charles Ier de Savoiec 23. Cependant, un dessin très similaire se retrouve dans une miniature du calendrier des Heures de Dunoisms 8 datées de 1436 : le maître de Dunois, auteur de cette miniature pourrait s'être inspiré d'un dessin préparatoire réalisé par les frères de Limbourg pour les Très Riches Heures. Jean Colombe aurait alors achevé ce dessin 70 ans après la mort des trois frères et 50 ans après le maître parisien5.
La position du corps du paysan rappelle celle d'un autre personnage de Colombe : celle du bourreau frappant saint Marc dans la miniature mettant en scène le martyre de ce dernier (f.19v.). Il pourrait alors s'agir ici d'une évocation de la légende qui rapporte que les reliques du saint auraient été rapportées d'Alexandrie à Venise sous un tas de viande de porc pour éviter qu'elles ne soient inspectées par les douaniers musulmans48.
Decembre
Pour le dernier mois de l'année, le peintre n'a pas retenu l'iconographie traditionnelle de la tuerie de cochon pour Noël pour préférer une scène de vénerie. Il s'agit plus précisément de la curée, au moment où l'un des chasseurs, à droite, achève de sonner l'hallali. Les chiens dépècent le sanglier. La scène se déroule au centre d'une forêt dont les arbres sont encore en feuillesc 24.
Cette scène de curée est souvent rapprochée d'un dessin attribué à Giovannino de' Grassi, actuellement conservé à la bibliothèque de Bergame50, au contenu presque identique, avec les mêmes animaux dans les mêmes postures, mais quelques chiens en moins. Pour Meiss, la miniature du mois de décembre serait le modèle de ce dessin et Paul de Limbourg en serait l'auteur. Cependant, le fait que des chiens ont été ajoutés impliquerait l'inverse. Luciano Bellosi y voit plutôt une œuvre du peintre des années 1440c 24. Cette hypothèse est renforcée par la forme des visages des personnages, aux yeux révulsés et aux visages maussades, qui rappellent les personnages du Livre du cœur d'Amour