Haute Marne Langres Maison Renaissance
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Rouvert au public après une restauration qui a permis de l’analyser, ce cabinet de travail est le trésor de la Maison Renaissance, emblématique de l’avènement du vocabulaire classique en architecture.
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Ordonnancement corinthien et plafond plat du studiolo.
© photo sylvain riandet
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Un cube de pierre entièrement sculpté. Tel est le studiolo du milieu du XVIe siècle que la ville de Langres a rouvert à la visite en 2018, pour l’émerveillement du public et le bonheur des spécialistes. Cet écrin architectural est d’une insigne rareté, comme le souligne David Covelli, responsable du service Patrimoine de la ville : seule une quinzaine de studiolo ont été identifiés en France et en Europe à ce jour, même si d’autres viendront probablement s’ajouter à cette liste dans le futur. La petite cité de quelque huit mille habitants, qui possède encore une dizaine de résidences témoignant de son âge d’or, peut donc s’enorgueillir d’en posséder un exemple, dans la demeure connue sous le nom de Maison Renaissance.
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Chapiteau corinthien.© photo sylvain riandet
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Une architecture aristocratique
On doit sa construction à Claude Bégat, un notable issu d’une famille de magistrats bourguignons, qui cumule les prestigieuses fonctions d’«écuyer, lieutenant pour le roi à la garde des clefs de la ville de Langres, grand maître des ports de Brie et de Champagne, contrôleur en l’élection de Langres». En tant que fermier, il lui revient également de collecter deux impôts, sur lesquels l’usage lui donne le droit de prélever une plus-value… De quoi financer l’embellissement de sa demeure, dont des archives notariales attestent qu’il est propriétaire en 1550. Le chantier sera mené dans la décennie correspondante, d’après les résultats d’une étude dendrochronologique, réalisée en 2017. Simple maison urbaine médiévale à son origine, comme le montrent les vestiges visibles dans ses caves, l’édifice gagne en noblesse grâce à son ampleur nouvelle elle aurait compté quatre corps de bâtiments, dont deux subsistent aujourd’hui et à l’agencement de ses espaces intérieurs. À l’écart de l’agitation commerçante de la rue, l’accent est mis sur le logis donnant sur le jardin. Au-dessus d’une cour surbaissée, permettant à la lumière de pénétrer dans les sous-sols occupés par la cuisine et les communs, et dont la balustrade ajourée dissimule la margelle d’une citerne travestie en tempietto, est élevée une façade ornée de bucranes alternant avec des foulards noués et des grappes de fruits, rythmée par un décor de portiques antiques accueillant de larges baies à croisées. À une extrémité, deux fenêtres s’ouvrent sur le studiolo, de plan presque carré, séparé de la principale pièce du rez-de-chaussée par un petit espace éclairé par un oculus. À l’intérieur, ses trois murs sont eux aussi architecturés : entre ses pilastres cannelés à petits chapiteaux corinthiens, soutenant de délicats entablements à motifs de perles, des arcs en plein cintre reposant sur des impostes inclinées ménagent un effet de profondeur. Faut-il imaginer un décor peint en lieu et place des parois nues de cette perspective minérale ? Rien ne peut l’affirmer, d’autant que son concepteur a pu choisir cette élégante sobriété en référence aux vestiges antiques intégrés aux fortifications de la ville, l’arc de Longe-Porte, mais surtout celui de la Porte romaine reproduite par un dessin d’Androuet du Cerceau à la même époque.
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Façade sur jardin, ville de Langres. © photo sylvain riandet
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Le jeu de miroirs du studiolo
Le véritable morceau de bravoure de ce cabinet est son plafond. Bien qu’il semble aujourd’hui défier de nouveau les lois de l’apesanteur, il a été étayé par une forêt de piliers métalliques pendant près de quarante ans, suite à la chute de deux dalles à la fin des années 1980… Sa restauration récente a permis de lever le mystère sur sa conception. Le démontage des planchers de l’étage a en effet permis d’accéder à la partie supérieure de ce plafond plat, dont le secret réside dans la combinaison de trois systèmes décrits par Olivier Caumont, directeur de la Culture et conservateur des musées de Langres. Les dalles ne sont pas juxtaposées comme au sol, mais clavées, et soutenues par une plate-bande centrale. Les porteuses, plus longues, sont intercalées avec des dalles de remplissage, et l’ensemble tient en force avec des coins de bois qui obligent les blocs à reporter les forces sur les murs. Cette mise en tension permanente, garante de solidité, est assortie d’un cramponnage métallique solidarisant les treize dalles entre elles. La corrosion de ces agrafes avait cependant fini par faire éclater la surface inférieure des caissons, qui, moins fermement maintenus, tendaient à s’affaisser tout en poussant exagérément sur les murs. Restaurée, l’audacieuse voûte a désormais retrouvé sa position d’équilibre, qui permet de lever la tête sans crainte vers son remarquable décor sculpté, réalisé dans un calcaire blanc extrêmement fin. Encadrant des armoiries incomplètes, dont seul le heaume empanaché et le collier sont visibles, quatre compartiments à motifs de cuirs découpés, séparés par des frises de grecques et de coquilles formant une croix, se partagent équitablement ce carré de plafond mis en abyme. Des incrustations de marbre creusent la profondeur en apportant leur touche de couleur raffinée aux figures géométriques ovales et rectangulaires, qui servent de contrepoint aux courbes Renaissance. L’ornementation ne s’arrête pas là. Il suffit de baisser les yeux pour découvrir un écho de la voûte dans le pavement du sol, dont la pierre a été gravée aux motifs des caissons. Afin de compléter ses vestiges endommagés, les éléments manquants ont été restitués.
Aux sources de la Renaissance
L’effet de miroirs entre décors du sol et du plafond est rarissime. On en trouve une illustration virtuose dans les spirales du pavement et de la coupole conçues par Philibert Delorme pour la chapelle du château d’Anet. Celle de Jean d’Amoncourt, dans la cathédrale de Langres, adopte le même principe avec son sol en carreaux de faïence, reflet de la voûte à caissons. De quoi s’interroger sur la parenté de ce chantier, mené entre 1547 et 1551 par un architecte inconnu, avec celui du studiolo. Chacun a adopté conjointement les ordres ionique et corinthien, preuve de la connaissance du vocabulaire à l’antique diffusé par Sebastiano Serlio dans son traité d’architecture, publié à partir de 1537. David Covelli relève en outre les spécificités communes des chapiteaux, uniques en leur genre, qui renforcent l’hypothèse d’un même atelier. Quoi qu’il en soit, l’esprit de Fontainebleau souffle sur Langres, une ville riche et cultivée, au fait des dernières innovations esthétiques mises au service du prestige des commanditaires locaux. On retrouve ainsi dans le petit palais urbain de Claude Bégat le motif de cuirs enroulés, imaginé par Rosso vingt ans plus tôt pour le château de François Ier, repris par Primatice et largement diffusé par la gravure. Le recueil des Compartiments de Fontainebleau, publié par Jacques Androuet du Cerceau entre 1545 et 1547, n’a pas seulement inspiré le plafond du studiolo. En témoigne le décor d’un manteau de cheminée, sans doute initialement installée dans la chambre à coucher de la maison Renaissance, et que l’on peut aujourd’hui admirer au musée d’art et d’histoire : une scène représentant Mars et Vénus, extraite des Métamorphoses d’Ovide, y est représentée en bas-relief, encadrée par deux figures de termes. Le raffinement de ce panneau donne une idée du faste régnant alors au sein des maisons langroises, dont les décors n’ont rien à envier à l’art de la cour. Avec ses dimensions intimes moins de 13 m2 , mais son ornementation somptueuse, savant mariage de prestige et délicatesse, le studiolo de la maison Renaissance représente ainsi la quintessence du XVIe siècle.
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