En cette période de commémoration des grandes batailles de la Première Guerre mondiale, il semble opportun de rappeler le rôle et la conduite des soldats malgaches qui ont combattu en métropole sous le drapeau français.
Colonies françaises et ressources humaines
“La force noire”
En France, nombreux sont ceux qui attendent cette guerre. Elle doit être celle de la revanche qui va permettre le retour de l’Alsace et de la Lorraine annexées par l’Allemagne depuis la défaite de 1870. Cependant, les cercles militaires sont conscients du déséquilibre démographique qui existe entre la France et l’Allemagne, à l’avantage de cette dernière. C’est un officier colonial, le futur général Mangin qui pense avoir trouvé la solution grâce aux ressources humaines des colonies dont les ressortissants pourraient être engagés en métropole. Il exprime cette idée dans un ouvrage intitulé « La force noire ». À partir de cette proposition, le ministère de la guerre estime que 160 000 hommes pourraient être ainsi mobilisés en temps de paix et trois ou quatre fois plus en temps de guerre.
Développer un sentiment d’appartenance
Bien que cette idée soit diversement accueillie, la majorité s’y rallie. C’est ainsi que dans l’édition du 03 septembre 1910 du quotidien « Le matin », le journaliste Adolphe Messimy écrit : « l’Afrique nous a couté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang. L’or nous ne songeons pas à le réclamer, mais les hommes et le sang, elle doit nous les rendre avec usure » ! Le 07 février 1912, le Journal officiel publie un décret qui met en application ces dispositions. Dans les colonies, il est instauré un service militaire de quatre ans qui permet aux indigènes de souscrire des engagements sur la base du volontariat. L’armée qui se veut le creuset de l’unité nationale va pouvoir puiser dans les colonies afin de permettre aux peuples indigènes de développer un sentiment d’appartenance à la France.
Tout au long de la Première Guerre mondiale, ce sont 607 000 combattants originaires d’outre-mer qui sont mobilisés. Si l’état major accorde sa confiance aux qualités guerrières des tirailleurs originaires d’Afrique noire, il n’en va pas de même pour les soldats indochinois et malgaches. Le général Galliéni, l’ancien « proconsul » de Madagascar, ministre de la guerre d’octobre à décembre 1915, met en doute les capacités militaires des Malgaches.
Recrutement de masse
À partir du mois d’août 1916, l’ampleur des pertes sur le front accélère le recrutement des troupes coloniales. À Madagascar, bien souvent, ce recrutement est contraint. Chaque recruteur bénéficie d’une prime de 2 francs par engagé, tandis que ces derniers, bien souvent des paysans endettés, reçoivent une prime de 200 francs. En 1917, c’est une levée de 32 000 hommes qui est réalisée, c’est-à-dire près des 4/5° de l’effectif total qui sera recruté. Tout au long de la guerre, ce sont 41 355 hommes qui sont incorporés et 34 386 envoyés en métropole, sans tenir compte des Malgaches qui sont envoyés en métropole pour aller travailler en usine.
26 bataillons malgaches
Jusqu’à 1918, les troupes malgaches vont constituer 26 bataillons d’étapes dont 3 sont présents sur le front d’Orient. Ils sont chargés de mission de logistiques et de travaux du génie. Le 16 avril 1917 est créée une unité combattante, le 12e bataillon de tirailleurs malgaches. Il est placé sous les ordres du chef de bataillon Groine. Le 5 mai suivant, il est engagé au combat pour la première fois. Cette unité s’illustre à plusieurs reprises et fait preuve d’une brillante conduite au feu avant d’être rattachée en 1918 à la division marocaine. Au début de cette même année, un ancien gouverneur de Madagascar, Hubert Garbit devient colonel-inspecteur des formations malgaches. À son initiative, 16 bataillons d’étapes sont dissous et ce sont 15 000 hommes rendus disponibles qui sont reversés dans des batteries d’artillerie.
Le 27 mai 1918 commence la seconde bataille de la Marne. Le front est enfoncé, les troupes allemandes qui progressent de 45 kilomètres s’emparent de Château- Thierry dans l’Aisne et se retrouvent à 70 kilomètres de Paris. C’est la fin de la guerre des tranchées, le retour à la guerre de mouvement avec ses incertitudes, ses surprises et ses méprises.
Tragique méprise
Le 31 mai, le 59e bataillon de Chasseurs à pied se replie en bon ordre. Au sud de Coincy, à quelques kilomètres de Château-Thierry, ces Chasseurs essuient le feu d’une troupe qui s’est retranchée dans la ferme de Plaisance après avoir été sévèrement accrochée par les Allemands. Tragique méprise puisque les lieux sont occupés par le 12e bataillon de tirailleurs malgaches. Le malentendu dissipé, les deux unités se regroupent malgré le feu d’automitrailleuses ennemies surgies par la route de Château-Thierry. Une partie des effectifs français et Malgaches réussies à se replier tandis que l’autre est contrainte de se retrancher dans la ferme Plaisance alors que le chef de bataillon Groine est tué. Pendant plusieurs heures, au coude à coude, et au prix de lourdes pertes, Malgaches et Français vont résister. Ils ne se rendront qu’après avoir tiré leur dernière cartouche. À près d’un demi-siècle de distance, ils rééditent l’exploit, magnifié par le célèbre tableau d’Alphonse de Neuville « Les dernières cartouches ». Les tirailleurs malgaches sont les dignes héritiers des troupes de marine qui se sont illustrées lors de ce combat à Bazeilles, en 1870.
C’est non sans émotion que l’auteur de ces lignes relate ce fait d’armes. Son grand-père faisait partie des Chasseurs à pied qui réussirent à briser l’encerclement.
Un régiment de chasseurs
Du 29 mai au 03 juin, le bataillon malgache recense 46 tués, 220 disparus, 298 blessés. En ces quelques jours, sur un effectif de 1159 hommes, ce sont 564 tirailleurs qui ont été mis hors de combat, preuve de l’acharnement et de la violence des affrontements de cette seconde bataille de la Marne. À en croire le bulletin de la Section d’information du Grand Quartier Général publié en 1919, ce sont 2 368 soldats malgaches qui sont déclarés morts pour la France. Le mérite de ce bataillon est reconnu. Il est la seule unité malgache dont le drapeau arbore la fourragère aux couleurs du ruban de la Croix de Guerre 1914-1918 assorti de trois palmes. Ultime reconnaissance, l’appellation bataillon est remplacée par celle de Chasseur, attribuée à l’élite de l’infanterie de l’armée française. Comme beaucoup d’autres unités issues de la guerre, le 1° régiment de Chasseurs Malgaches est dissous le 30 octobre 1921.
Un retour au pays difficile
C’est avec lenteur et difficulté que s’effectue le retour des soldats malgaches. Comme les moyens de transport maritime consacrés à cette opération sont insuffisants, ils se retrouvent parqués dans des camps de transit. Les autorités sous-estiment l’impatience de ces soldats d’outre-mer qui ont passé de longs mois loin de chez eux. Cette attente donne lieu à divers incidents. Certains de ces rapatriés sont porteurs du virus de la grippe espagnole. Cette épidémie qui a fait en Europe autant de victimes que la guerre se répand à Madagascar. Autant que l’on puisse l’établir, on déplore plus de 85 000 morts dont, environ, 21 000 en Imérina.
La principale aspiration de ces anciens combattants qu’ils estiment être un dû en raison de leurs sacrifices, est l’accès à la nationalité française. D’autre part, certains de ces rapatriés ont acquis une nouvelle conscience politique. C’est ainsi qu’un engagé volontaire, l’ancien instituteur Jean Ralaimongo, va devenir l’un des premiers animateurs du mouvement d’émancipation malgache. En 1920, il devient président fondateur de la « Ligue française pour l’accession des indigènes de Madagascar aux droits des citoyens français. »
Les Malgaches présentent à la France une créance de sang et d’honneur. La France ne va pas honorer cette dette. Mais ceci est une autre histoire…