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Venise Galeone XVIe Venise Musée naval



Venise Galeone XVIe Venise Musée naval
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On se représente généralement la marine de guerre vénitienne comme une flotte uniquement composée d’unités à rames. Viennent en tout premier lieu à l’esprit les galères, suivies des galéasses, qui symbolisent la force d’une cité qui, entre les xve et xvie siècles, se hissa au rang de principale puissance navale chrétienne en Méditerranée, même si elle fut occasionnellement surclassée par les forces navales que l’Empire ottoman envoya sillonner les mers, avec une certaine irrégularité toutefois. Pourtant, les navires à voile vénitiens, alors que leur utilisation se révéla systématique lors des conflits navals, semblent essentiellement constituer une flotte commerciale adaptée, en cas de besoin, aux nécessités de la guerre, occupant alors presque toujours une fonction auxiliaire, voire de simple transport.
En réalité, à Venise existaitégalement une tradition de construction et d’exploitation autonome des navires de guerre à voile, bien que leur histoire, jusqu’au mitan du xviie siècle, ne connût sans doute pas une évolution aussi linéaire que celle des unités à rames.
Outre les quelques grands navires construits au Moyen Âge
, la République de Venise, suivant, dans le dernier quart du xve siècle, un phénomène commun aux autres marines
européennes
, construisit une série de navires de guerre à voile destinés à embarquer les premières artilleries navales lourdes, conçues pour la lutte contre d’autres navires et non, comme c’était le cas de celles en usage auparavant, contre l’homme. Les navires vénitiens, nommés «barze», étaient de grands bâtiments semblables à ceux que l’historiographie anglo-saxonne appelle généralement «caraques», mais ils étaient en théorie plus rapides6. Ils furent utilisés le 12 août 1499, lors de la bataille de Zonchio (aujourd’hui Navarin), où quatre grandes «barze» vénitiennes de 1500 à 2000 tonnes affrontèrent deux grands navires ottomans de 1500 à 2000 tonnes également.
Pendant la bataille, les gros canons utilisés par les Turcs firent forte impression, mais, dans l’ensemble, les grands navires, les seuls à même de supporter les canons lourds, se révélèrent peu satisfaisants et manifestèrent une faible capacité à manœuvrer (qui contribua à la perte de trois des six plus gros navires employés par les deux belligérants) et de graves difficultés de coordination avec les navires de plus petite taille comme avec les galères
7. Les inconvénients évidents que présentaient ces navires conduisirent non seulement les Vénitiens et les Ottomans, mais également les autres puissances méditerranéennes, à revoir à la baisse l’intérêt qu’ils portaient aux bateaux à voile au profit des unités à rames, à même d’employer bien plus efficacement l’artillerie lourde. Les galères connurent ainsi, pour une importante partie du xvie siècle, une seconde jeunesse, au point même de se frayer une place dans les mers d’Europe septentrionale.
À Venise, les rares navires de guerre construits au cours de ces décennies ­furent quasi exclusivement employés dans le cadre de la lutte contre les corsaires
. Lors des rares événements armés auxquels ils prirent part, comme la bataille de ­Prévéza (1538) ou les combats de l’été 1572 livrés dans les eaux séparant Crète et ­Péloponnèse, durant la campagne consécutive à celle de Lépante, ces navires confirmèrent les limites, en particulier sur le plan offensif, dont ils avaient fait montre à Zonchio. N’oublions cependant pas que les nouvelles galéasses, après l’exploit de Lépante – où les navires ne furent pas employés – dévoilèrent de semblables difficultés, de sorte que tout au long du xvie siècle, la galère demeura le navire de bataille par excellence dans la guerre navale qui se déroulait en ­Méditerranée.
À l’orée du XVII e siècle, on enregistra à Venise une reprise de la construction des navires de guerre à voile. À la suite d’un long débat sur les atouts respectifs des navires et des galéasses on entama, en 1601, la construction d’un nouveau galion qui, à l’image des semblables bâtiments qui l’avaient précédé, reçut simplement le nom de Galeone pubblico
La principale utilité assignée au nouveau galion demeurait l’escorte du trafic marchand contre les corsaires, mais son tonnage (800 tonnes environ) et surtout son armement (48 canons, dont 32 lourds) ­suggèrent que le but poursuivi consistait également à disposer d’un bâtiment puissant qui eût servi de point nodal en formation de combat, celui-ci demeurant centré sur les galères.
D’une trop importante envergure pour sortir du Rio dell’Arsenale (canal qui reliait le chantier d’État au bassin de Saint-Marc), le galion fut construit par des ouvriers publics sur un chantier situé à proximité de San Domenico di Castello, loué pour l’occasion

De nouvelles dissensions relatives à l’opportunité de construire un tel navire retardèrent son lancement jusqu’en 1607: il entra en service l’année suivante mais le galion ne fut cependant opérationnel jusqu’en 1609 seulement, avant d’être laissé à l’abandon en raison de frais de gestion excessifs
En 1616, le patricien Almerico Balbi, engagé dans le commerce avec le Levant, en fit l’acquisition, pour un montant qui avoisinait les 35000 ducats
L’année suivante, Balbi loua à la République, aux prises avec le vice-roi de Naples, le duc d’Osuna, son nouveau navire pour 3200 ducats par mois, somme la plus élevée jamais honorée par la République pour la location d’un navire à usage militaire. Le Galion Balbi, comme on l’appela désormais, prit part à la bataille de Santa Croce (aux alentours de l’actuelle Dubrovnik, le 20 novembre 1617), lors de laquelle le manque d’agressivité de son armateur et commandant fut particulièrement critiqué. Après la bataille, le Provéditeur général de Mer (­Provveditore Generale da Mar), Lorenzo Venier, opéra un transbordement sur le galion afin de poursuivre l’ennemi, car la mer était trop agitée pour les galères; c’était la première fois historiquement attestée que le commandant principal de Venise hissa ses propres couleurs sur un navire de guerre à voile
5Il peut se révéler intéressant de mettre en regard l’armement initial du Galion et celui du Prince Royal, un navire anglais qui lui était quasiment contemporain, mis en service en 161017 et considéré comme le précurseur des navires de ligne.
 
Galeone Pubblico
Prince Royal
Armement complet
48 canons (dont 32 lourds, de 14 livres* et plus)
57 canons (dont 40 lourds)
Armement principal
14 canons de 50 (33 livres)**
2 canons de 32 livres et 2 de 24 livres
Volume de feu
Environ 850 livres
688 livres
 
Comme le met en relief ce tableau, le navire vénitien possédait nettement moins de canons, particulièrement de canons lourds, mais davantage de volume de feu, grâce à une batterie de 14 canons «de 50», qui correspondaient grosso modo à 32 livres anglaises. La présence à bord du galion d’un nombre non négligeable de canons lourds vint confirmer la traditionnelle propension méditerranéenne à utiliser une artillerie importante; de même, le nombre élevé  de couleuvrines, pièces à large portée particulièrement utiles pour atteindre les navires corsaires battant en retraite, confirmait la tradition selon laquelle les artilleurs vénitiens étaient entraînés à lancer leurs tirs depuis une distance particulièrement élevée.
7En 1607, toujours dans le cadre de la lutte contre les corsaires, le Sénat de ­Venise23 ordonna la construction de deux galions moins grands que le Galeone Pubblico, d’une capacité de 400 tonnes. Baptisés Padre Eterno et Santa Maria Torre del Mar, ils entrèrent en service seulement quelques années plus tard, en 1618, après l’éclatement de la guerre opposant, dans l’Adriatique, Venise à la coalition hispano-napolitaine (1617-1620). Utilisés dans les années 1620-1630 comme navires de transport commercial dans le contexte d’une fort intéressante saison relativement au trafic vers le Levant, ils avaient disparu en 1640
Leur sortie de scène mit un terme à l’ère des galions publics, qui s’était ouverte avec les barze de la fin du xve siècle; la Sérénissime ne construisit plus d’autres navires de guerre à voile pendant près de trois décennies. Dans cette décision, la nouvelle politique consistant à noliser des navires marchands armés à usage militaire, engagée à partir des années 1610, pesa de manière décisive. Par le passé, la République avait régulièrement fait appel à des navires de location pour les guerres qu’elle livrait, mais ceux-ci, toujours d’origine nationale, se cantonnaient à la fonction d’auxiliaires. Mais la Sérénissime commença désormais à engager sur le marché de nombreux navires marchands armés, étrangers pour une écrasante majorité (principalement hollandais et anglais), tout à la fois en phase avec l’émergence de nouvelles puissances maritimes et avec l’évolution de la flotte qui, tout particulièrement en Méditerranée, se trouvait dotée d’un armement fort respectable, à une heure où la frontière entre les navires de guerre à proprement parler et les bâtiments commerciaux adaptés à un usage militaire ne se révélait pas aussi nette qu’elle le serait quelques décennies plus tard. Un tel phénomène atteignit son apogée pendant la guerre de Candie (1645-1669), au cours de laquelle plus de deux cents navires marchands armés les plus divers portèrent, pour des périodes plus ou moins longues, les couleurs de la Sérénissime.
9Toutefois, les importantes dépenses assumées durant cette guerre pour louer de tels navires, de même que les problèmes survenus en plusieurs occasions avec les capitaines et armateurs étrangers relativement à l’utilisation de leurs navires – dont la République tendait à faire usage sans se préoccuper outre mesure d’éventuelles pertes, mais que les propriétaires et/ou capitaines tenaient naturellement à préserver le plus possible – conduisirent Venise à reconsidérer la pertinence de cette politique et à examiner de nouveau la possibilité que l’État constituât une flotte nationale de navires de guerre à voile. Dans un premier temps, fut mise en service, dans les années 1650, une série de bateaux pris aux Turcs pendant le conflit, qui furent appelés «navires publics», appellation qui demeurerait attachée aux navires de guerre d’État jusqu’aux derniers feux de la République; par la suite, en 1666, parallèlement à une nouvelle initiative en matière de commerce maritime26, le Sénat ordonna la construction par l’Arsenal de deux nouveaux navires de guerre, les premiers depuis les galions publics du début du siècle. Ces deux navires furent également les premiers que l’on peut considérer comme des vaisseaux de ligne, d’après la nouvelle tactique s’imposant lors des deux premières guerres anglo-hollandaises (1652-1654 et 1664-1667). Baptisés Giove Fulminante et ­Costanza Guerriera, achevés en 1688, ils se constituaient de deux ponts de 62 canons, avec un déplacement que l’on peut fixer à près de 1100 tonnes27. Cette formule du navire à deux ponts s’attirera toujours la préférence des Vénitiens, lesquels trouveront les trois-ponts construits par d’autres marines aussi encombrants que difficiles à manœuvrer, fort peu adaptés aux besoins de la manœuvre, et à la faible profondeur de la Lagune. Dans ce cas précis, cette faible profondeur obligeait à charger la cargaison des deux navires au large de Porto di Malamocco (l’une des deux principales embouchures de la Lagune de Venise); on embarquait ainsi l’artillerie en pleine mer. La profondeur de la Lagune constitua un constant problème pour les navires de guerre vénitiens, les bouches de Porto ne dépassant pas les 4,5 mètres d’eau. Afin de pallier cette difficulté, outre le projet de concevoir des navires qui, à l’image de ceux des Hollandais, avaient le plus faible tirant-d’eau possible, les Vénitiens utilisaient l’artillerie comme lest initial, envoyant leurs navires à Porto Quieto, en Istrie, où l’on pouvait mettre les canons en batterie et charger le gravier comme lest. À ce propos, se répandit à l’époque une légende selon laquelle, à Venise, on aurait employé de prétendus «chameaux», d’origine hollandaise, pour soulever les navires et les faire sortir de la Lagune. Dans les faits, le seul et unique cas documenté d’emploi de «chameaux» date de 1718, alors que, par la suite, on préféra creuser des canaux à l’intérieur de la Lagune pour permettre le passage des navires; ce furent plus tard les Français, à l’époque napoléonienne, qui reprirent à leur compte cette idée et la mirent en application, lorsqu’ils annexèrent au Royaume d’Italie l’ancienne République (et, même dans ce cas, ce ne fut que pour un seul navire).
10Une autre légende soutenait que les premiers navires vénitiens n’étaient rien d’autre qu’une imitation de supposés modèles anglais. En réalité, ils représentaient le produit original des chantiers navals vénitiens, qui possédaient leur propre école de construction de navires à voiles, dont les plus illustres représentants n’étaient autres que Paolo Corso, concepteur de la Giove Fulminante, ou encore les frères Zuanne et Iseppo de Pieri, qui mirent au point la Costanza Guerriera. S’y adjoignait Stefano de Zuanne Michel (plus tard connu sous le nom de Stefano Conti), auteur de l’unique traité vénitien connu d’architecture navale du xviie siècle, dont la candidature pour la construction des deux navires ne fut pas retenue. Naturellement, à l’image de leurs homologues de toute l’Europe, les constructeurs vénitiens s’inspirèrent également des navires étrangers, particulièrement nombreux, qui s’offraient à leur regard dans les eaux vénitiennes: ils étaient d’ailleurs souvent invités à visiter les navires d’États étrangers en vue d’un éventuel engagement par ces derniers, ou lors du radoub, s’ils étaient déjà au service de la République. Il peut donc se révéler utile de comparer les caractéristiques d’armement de ces deux navires avec celles de la Defiance, un deux-ponts anglais de 64 canons navigant à la même époque:
Nombre de canons
62
64
Sabords
13 + 13?
13 + 12
Calibre maximal
20 livres vénitiennes (14 livres)
32 livres
Volume de feu
680 livres
1334 livres

 
Force est de constater que l’armement du navire anglais s’avérait nettement plus lourd, même si les navires vénitiens ne disposaient que de longues couleuvrines, pièces bien plus puissantes que les canons ordinaires. Cela provenait de l’utilisation différente dévolue aux navires de la Sérénissime qui, loin de véritablement combattre en bataille rangée contre de similaires navires ottomans, qui tarderaient à apparaître, devaient protéger les routes de la République de la menace que représentaient les corsaires, tâche que la paix se profilant avec l’Empire ottoman (scellée en 1669) rendait prioritaire.
Les deux premiers vaisseaux construits à l’Arsenal furent suivis de cinq autres, de plus petite taille; il s’agissait de deux-ponts de 40-50 canons mis en chantier entre 1672 et 1675, devant servir encore plus directement à la lutte contre les corsaires. 1675 marqua un tournant majeur dans la politique navale menée par la République: le Sénat – dont la présence française en Sicile, provoquée par la révolte antiespagnole de Messine, n’était pas la moindre des préoccupations – approuva un ambitieux programme de construction de navires de guerre à voile. En quelques années, on ne mit en chantier pas moins de treize navires, toujours des deux-ponts, avec un armement oscillant entre 50 et 70 canons. C’est à partir de ce moment que l’on peut véritablement commencer à parler d’une escadre de bataille vénitienne composée de navires à voile. L’un des aspects les plus intéressants du programme naval de 1675 résidait dans le fait qu’il prévoyait la restructuration d’une partie des volti (cales couvertes), prévues à l’origine pour la construction et la conservation des galères. Treize de ces cales furent modifiées pour pouvoir accueillir les nouveaux navires, dans la perspective non seulement de pouvoir construire à couvert, mais également de les tenir en réserve au cas où ils ne serviraient pas dans l’immédiat. De cette manière, l’idée ancienne d’une réserve navale, appliquée aux galères pendant au moins la première moitié du xvie siècle, s’étendit également aux navires. Les Vénitiens furent ainsi les premiers à construire leurs navires de guerre à voile à couvert, imités en cela aux xviiie et xixe siècles d’abord par les Suédois, puis par les Français, les Anglais et les ­Américains
13Si l’adoption des cales couvertes démontre la capacité de l’Arsenal à s’adapter à la nouveauté, par ses innovations propres, sa configuration initiale, conçue pour les galères, ne pouvait que poser problème pour les nouveaux navires de guerre. En particulier, les canaux intérieurs et, surtout, le canal d’accès à la Lagune (connu sous le nom de Rio dell’Arsenale ou Rio della Madonna), limitaient la largeur des navires à 30 pieds (10,4 m). Ce qui réduisait leur stabilité et limitait la hauteur sur l’eau de la première batterie, celle qui comprenait les canons les plus puissants. Ces défauts apparurent particulièrement évidents sur les navires issus du programme de 1675 et apparurent au grand jour au moment de la participation de ceux-ci à la première guerre de Morée (1684-1699). Le Sénat tenta de trouver une solution en ordonnant l’élargissement du Rio dell’Arsenale à 40 pieds. Les travaux se déroulèrent en 1685-1686 et prévoyaient également le déplacement des tours contrôlant l’entrée des chantiers d’État. Ainsi, les navires vénitiens pouvaient atteindre une largeur possible de 38 pieds, seuil inégalé jusqu’à l’ouverture de la porte napoléonienne, à l’orée du xixe siècle.
14Comme on l’a vu, le déclenchement de la première guerre de Morée conduisit à la mise en service de treize navires dont la construction avait commencé lors de la décennie précédente. Ils firent leur entrée dans la flotte entre 1684 et 1688; on peut les répartir comme suit:
En réalité, cette répartition en trois rangs semble partiellement relever de l’anachronisme, car la marine vénitienne ne l’introduisit officiellement que pendant la décennie suivante. Notons encore que les rangs vénitiens étaient inférieurs à ceux des autres principales flottes européennes, car la Sérénissime ne disposait pas de grands trois-ponts qui constituaient les deux premiers rangs des autres marines: en substance, le premier rang vénitien équivalait au troisième rang anglais ou français. On remarquera que dans les décennies suivantes, les navires vénitiens de premier/troisième rang devinrent particulièrement grands, au point qu’on aurait pu les considérer comme des unités de second rang dans les autres flottes.
En dépit des attentes placées dans la nouvelle escadre de bataille composée de navires de guerre à voile, les résultats se révélèrent loin d’être significatifs lors de la première phase de la guerre de Morée. Ce furent bien au contraire les unités à rames, et le type de guerre amphibie qu’ils permettaient, qui remportèrent les plus éclatants lauriers et permirent la conquête de la Morée entre 1685 et 1687. Après une série d’opérations amphibies menées par la suite en Eubée, en Albanie ottomane et en Crète, de 1688 à 1692, opérations qui rencontrèrent un médiocre succès, la campagne de 1693, en mer Égée, fut le théâtre d’un emploi conjoint des éléments à rames et à voile. Cette campagne ne se révéla pas plus glorieuse que les précédentes et fit naître, entre autres conséquences, même parmi les Turcs, la conviction définitive que la constitution d’une flotte de navires de guerre à voiles était une nécessité, processus qu’ils avaient engagé une décennie auparavant mais auquel la guerre avait infligé une interruption momentanée. Le réarmement ottoman se concrétisa en 1694, quand la flotte turque rénovée se mit en branle pour aller affronter celle de Venise, qui avait conduit à Chios un corps expéditionnaire destiné à occuper l’île. Éclata ainsi une nouvelle phase de guerre, lors de laquelle on assista à un emploi massif des navires de ligne issus des deux flottes, épisode déterminant l’accélération de leur construction à l’Arsenal. Si entre 1689 et 1694 seuls sept navires furent mis en service – dont deux, hybrides, constituaient à la fois des bateaux de guerre et de transport treize sortirent des chantiers entre 1695 et 1698, tandis que deux autres étaient en construction.
Parmi ces navires, les deux premiers, du nom de Fede Guerriera et Fenice ­Veneziana, avaient été en réalité commandés quelques années auparavant, quand la menace corsaire redevint d’actualité, tout autant qu’en raison des différents engagements militaires qui occupaient la flotte vénitienne. Il s’agissait de navires de second rang et de 54 canons (mais à la fin de la guerre, ce nombre s’élèverait à 60); leur principal intérêt d’un point de vue historique réside dans le fait que ce sont les premiers navires de guerre vénitiens dont on conserve les plans originaux, signés, comme pour de nombreux navires de l’époque, Stefano Conti, devenu le principal constructeur de navires de guerre vénitiens après la mort de Paolo Corso et de l’un des deux frères de Pieri. Les plans apparaissent assez similaires à ceux d’un deux-ponts français de la même période, d’une capacité de 54 canons et comprenant également 12 sabords sur chaque côté des ponts31. Sur le plan de l’armement, notons également que les navires vénitiens semblaient encore moins armés que les français, mais mieux pourvus que ceux des Anglais
 
 
Armement en livres
Volume de feu en livres
Fede Guerriera
24 de 14
22 de 9
8 de 14
560
Vaisseau français
de 54 canons
12 de 19
22 de 13
10 de 9
6 de 6
4 de 4
656
4th rate anglais de 54 canons
22 de 12
32 de 6
456

 

 

L’ensemble des onze navires qui sortirent de l’Arsenal les trois années suivantes étaient au contraire d’imposants deux-ponts de premier rang, dotés de 70-80 canons (l’un d’eux parvint à en porter 84), et construits pour répondre à l’évolution de la guerre, qui s’était muée en conflit entre des flottes de bataille composées de vaisseaux de ligne, où les unités à rames n’occupaient désormais qu’un rôle de second ordre. Entre 1695 et 1698, les flottes vénitienne et ottomane ne se livrèrent pas moins de neuf batailles, faisant de la Méditerranée orientale la mer la plus belliqueuse du monde.

 

Le modèle initial qui inspira ces grands navires fut la San Lorenzo Giustinian, construite en 1690-1691 par Stefano Conti. Conti, devenu Proto dei Marangoni en 169333, est, on l’a vu, l’auteur du seul traité vénitien connu d’architecture navale du xviie siècle, achevé précisément dans ces années-là. Demeuré à l’état de manuscrit, il s’agissait en réalité d’un manuel destiné à l’enseignement de l’architecture navale dans une école de l’Arsenal dont Conti espérait qu’elle lui serait confiée, mais qui ne prit jamais son essor. L’aspect le plus important réside peut-être dans le fait que Conti comparait les diverses écoles de construction navale, ce qui démontre qu’à Venise on était parfaitement informé de ce qui se faisait sous d’autres cieux et que les choix retenus étaient réfléchis et déterminés par les conditions particulières d’utilisation des navires de la Sérénissime; tout cela ne résultait donc pas d’un prétendu retard technologique que, durant toute l’époque moderne, on n’observa jamais à Venise pas plus que dans les autres régions maritimes italiennes, contrairement à ce que soutient de manière tenace l’historiographie décadentiste34. À cet égard, on peut examiner le système à couple unique, plus ancien, présenté dans le traité de Conti, et celui à couple double, adopté par les Anglais35: le couple unique s’obtenait à partir de grands chênes rouvres, que les forêts de la Sérénissime étaient encore en mesure de fournir (contrairement, là encore, à ce qu’affirme l’historiographie décadentiste), tandis que, pour les couples doubles, des espèces se trouvant plus facilement suffisaient36. Le traité de Conti comporte, entre autres choses, le plan de la Stella Maris, qui suivit immédiatement la San Lorenzo ­Giustinian 37; il dévoile un deux-ponts de 68 canons et 14 sabords par côté. Par rapport à un deux-ponts français analogue, également équipé de 14 sabords par côté mais armé de 74 canons, le navire vénitien manque d’artillerie sur le pont du château, mais la logique, corroborée par les documents, qui présidait à la première guerre de Morée suggère que les navires vénitiens eux aussi étaient armés à la proue.
20La fin de la première guerre de Morée, en 1699, interrompit la construction de nouveaux navires de guerre pour environ une décennie. Toutefois, dans ces mêmes années, un patricien vénitien du nom de Fabio Bonvicini, qui avait occupé une fonction de commandement sur les navires à voile durant le conflit, proposa un nouveau type de bateau de premier rang, plus grand et jouissant d’une ossature plus robuste que par le passé, de sorte qu’il pourrait supporter un armement plus lourd. Sur la base de ce projet, fut mise en chantier, en 1709, la Corona, navire long de 125 pieds (contre 112 pour la San Lorenzo Giustinian) et large de 37-38 pieds, pour un tirant-d’eau de 18-20 pieds; son déplacement aurait atteint les 2000 tonnes. Une nouvelle fois, une comparaison avec d’autres navires étrangers semblables se révèle riche d’enseignements:
 
Nombre de canons
Calibre principal
Volume de feu de la première batterie
Corona
74
28 de 50 (33 livres)
924 livres
2nd rateanglais
90
26 de 32 livres
832 livres
Conquérant français*
76
12 de 50 (39 livres)
14 de 24 (26 livres)
832 livres
on seulement les navires vénitiens avaient comblé l’écart, mais encore étaient-ils, dès lors, plus lourdement armés que leurs équivalents étrangers. Cette augmentation de la taille des navires vénitiens se poursuivit encore dans les premières années de la seconde guerre de Morée, nouveau conflit avec l’Empire ottoman qui éclata fin 1714 et s’étendit jusqu’en 1718. Le tableau suivant met en relief l’augmentation de la taille des navires de premier rang vénitiens:
Année
Navire
Longueur de quille en pieds vénitiens*
1668
Giove Fulminante
102
1686
Redentor del Mondo
107
1691
San Lorenzo Giustinian
112
1693
Stella Maris
112,5
1695
Iride
(114)**
1696
Aurora
118
1712
Corona
125
1717
San Pio V
128
* Un pied vénitien équivalait à 0,348 mètre.
** Datation incertaine.
En ce qui concerne l’armement des navires de premier rang vénitiens, l’augmentation se révèle encore plus notable:
Navire
Année
Nombre de canons
Calibre du premier pont
Calibre du second pont
Volume de feu en livres subtiles vénitiennes
Giove Fulminante
1668
62
de 20
de 14
1 024
Stella Maris
1693
74?
de 30 et de 20
de 14
1 238
Iride
1695
70
de 30
de 20
1 572
Rizzo d’Oro
1697
68
de 40 et de 30
de 20
1 552
Corona
1715
74
de 50
de 30
2 492
La nouvelle guerre accéléra naturellement le rythme de construction des navires de guerre. Entre 1715 et 1718, 21 navires entrèrent en service. Pendant les deux premières années, il s’agissait quasi exclusivement de navires de premier rang, mais en 1716, la course au gigantisme naval, caractéristique des deux décennies précédentes, prit fin avec la décision du Sénat consistant à construire des navires de second rang de 60 canons. Ces nouveaux navires répondaient à deux objectifs: être en mesure de se maintenir en ligne de bataille ou escorter, tout en menant des patrouilles, le trafic maritime; les grands navires avaient fourni la preuve qu’ils n’étaient pas à même d’assurer cette fonction, pendant les quinze ans de paix séparant les deux guerres de Morée. À cette fin, tout en ayant une longueur de quille réduite à 105 pieds, une largeur de 35 pieds et un tirant-d’eau de 15-16 pieds, pour un déplacement de 1100-1200 tonnes métriques, elles ­devaient disposer d’un armement relativement lourd. Dotées de seulement 60 canons, elles jouissaient d’une artillerie assez similaire à celle des navires de premier rang, avec une première batterie de canons de 30 et un certain nombre de «canons de nouvelle invention», en mesure de lancer des projectiles explosifs. Les dernières batailles de la guerre révélèrent les limites dont souffraient ces petits vaisseaux de lignes, et si la guerre s’était poursuivie, une série nouvelle de grands navires de premier rang était déjà achevée.
25Pour synthétiser l’état d’avancement des constructions de navires de guerre vénitiens, notons qu’entre 1667 et 1718, l’Arsenal acheva 66 navires publics, parmi lesquels 32 de premier rang (49 %), 22 de second rang (33 %) et 12 de troisième rang (18 %). Plus significatif encore apparaît l’échelonnement dans le temps des différentes phases de construction:
Période
Nombre de navires
Nombre de navires de premier rang
Nombre de navires de second rang
Nombre de navires de troisième rang
1667-1694
29
7 (24 %)
13 (45 %)
9 (31 %)
1695-1716
29
25 (86 %)
1 (4 %)
3 (10 %)
1717-1718
8
0
8 (100 %)
0
De ce tableau se dégagent plusieurs éléments: d’une part, la République privilégia dans un premier temps les navires de taille moyenne, en mesure d’assurer avant tout la protection des routes maritimes de la République tout comme de livrer bataille contre les corsaires; d’autre part, on constate dans un deuxième temps un déséquilibre de la flotte au profit des grands navires de batailles, phénomène provoqué par le prolongement de la première guerre de Morée; et enfin, cette politique connut une brusque interruption durant la seconde guerre de Morée. En substance, la République, après avoir maintenu une flotte relativement équilibrée dans les premières décennies marquant sa nouvelle politique navale, dans les années 1690 se tourna complètement vers les grandes flottes de batailles qui avaient caractérisé les marines européennes dans la décennie précédente; mais, paradoxalement, cela coïncidait avec l’abandon de cette politique suite aux nouvelles orientations françaises en matière navale, après les campagnes décevantes qui s’étaient déroulées au début des années 1690, lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697). Si le choix français de se lancer dans la construction de grands vaisseaux de ligne suscita – et suscite encore de nos jours – de nombreuses critiques38, au vu des résultats d’apparence modeste qu’ils entraînèrent, dans le cas vénitien, la situation se fait plus nuancée. On ne peut guère douter que les affrontements répétés qui martelèrent la fin des années 1690 n’offrirent aucune claire suprématie à la Sérénissime, mais incitèrent ­l’Empire ottoman à se constituer une flotte de bataille semblable. Il n’en demeure pas moins que ces grands vaisseaux permirent précisément à la République de résister au retour offensif des Turcs sur le devant de la scène, et garantirent le maintien du Royaume de Morée à la suite de la paix de Carlowitz, sans compter que les Turcs auraient pu lancer les premiers la course au réarmement naval dans le domaine des navires à voile, ce qui aurait plongé la Sérénissime dans un profond handicap. Même dans les décennies qui suivirent, ils firent office de «wooden walls» des navires de ligne vénitiens, à même d’assurer la prédominance de la ­République au moins sur l’Adriatique, condition sine qua non de sa survie politique et ­économique.
 

Le galion léger et élancé est communément appelé galion vénitien bien qu'il ne soit pas établi avec une précision absolue qu'il s'agisse précisément de son origine, remontant au milieu du XVIe siècle La construction laisse à désirer en termes de solidité, indiquant cependant de très grands progrès par rapport au siècle précédent.  La voilure est énorme comparée à celle d'un navire plus récent,
.Avec de si grandes voiles disponibles, l'utilisation de telles voiles dans de mauvaises conditions météorologiques est à exclure, en fait on suppose que ce type de navires naviguait uniquement avec le Trevi par vent fort ou dans des conditions de mer difficiles.
Description
La  cabine du capitaine, étant située entre les deuxième et troisième ponts arrière, avait une hauteur de m. 1,84 tandis que celle du capitaine des Fantassins de marines ne faisait que 1,64 de hauteur. Le Quartier Maitre et le pilote  n'avaient qu'une espace de  1.42 M On est loin du confort minimun  d'ou les difficultés d'hébergement des officiers à bord,
le galion vénitien est un modèle qui était marin avec de bonnes performance et de plus il pouvait  se construire facilement 
Sa coque est profilée et exempte de courbures excessives malgré un Chateau  arrière important

 

 

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Les nervures verticales des flancs donnent une bonne silouhette à  la coque qui, est  totalement dépourvue de décorations, Elle semble pour cela trop fine.
Les mâts sont d'une seule pièce traversant les hunes

Longueur totale  41.5m

Longueur de la coque à la ligne de flottaison 29.40

Tirant  d'eau .3.52m
Hauteur du 1er au 2ème pont - batterie  1.92m
Hauteur du 2e au 3e pont1.84 m
Hauteur du 3ème au 4ème pont - vers la poupe 1.64m
Hauteur du 4ème au 5ème pont 1.42m
Hauteur du 2e au 3e pont - vers la proue 1.94m
Hauteur du centre de gravité au centre de la coque
Voulure  1100m2