On connaît tous la fameuse « canonnière du Yang Tsé », mais saviez-vous que pendant la Première Guerre mondiale, des canonnières fluviales ont sillonné les cours d’eau du nord de la France pour bombarder les positions ennemies ? C’est ce qu’on appela « la guerre des canaux »…
Le service des constructions navales préparait au début de 1915 les plans de canonnières à faible tirant d’eau, pour agir sur les rivières et les canaux du Nord et de l’Est de la France. Deux types de canonnières verront le jour ; la Brutale répond aux caractéristiques du premier type, sur les plans de l’ingénieur Dislère qui remontent à 1875. Ses caractéristiques sont : longueur 28,50 mètres; largeur 5 mètres ; tirant d’eau 1,20 mètre, déplacement 110 tonnes ; armement composé d’un canon de 140 millimètres à l’avant, de deux canons de 47 millimètres contre-avions à l’arrière ; deux chaudières, deux machines, vitesse 9 nœuds ; blindage de 2 centimètres protégeant contre les balles le canon, les soutes et les appareils moteurs.
Le deuxième type diffère un peu, avec 180 tonnes de déplacement, la même longueur et la même largeur, mais 1,85 mètre de tirant d’eau. Il porte un canon de 100 à chaque extrémité, deux canons de 47 contre-avions au milieu ; il a un pont blindé, une seule chaudière et une machine qui lui donnent une vitesse de 10 nœuds.
Huit canonnières à canons de 140 sont construites à Brest et Lorient, du 1er mai au 1er juillet 1915 ; quatre à canons de 100 sortent des mêmes arsenaux dans les deux mois suivants. Elles sont groupées par batteries de quatre, chaque batterie disposant d’un échelon de trois péniches pour porter le ravitaillement en munitions, charbon et matières diverses.
Les canonnières font du tir indirect, avec une portée de 15 kilomètres pour les canons de 140, leur mobilité leur permettant de se soustraire à un bombardement en retour. Bien que les canonnières aient été soumises une centaine de fois à des tirs bien réglés, un déplacement opportun leur a permis d’échapper aux effets des bombardements.
La 1ère batterie dans laquelle se trouve la Brutale, arrive à Calais le 10 juin 1915 et, par les canaux se rend à Furnes où elle exécute son premier tir le 18. Elle séjourne dans la région jusqu’à la fin de l’année, faisant de nombreux tirs sur des cantonnements, des observatoires, et des canons ennemis.
En 1916, la 1ère batterie est envoyée sur la Somme où, pendant la durée de l’offensive, elle ne tire pas moins de 11 000 coups, malgré les ripostes violentes de l’ennemi.
La 1ère batterie descend la Somme au début de 1917 et prenant la mer à Saint-Valéry, remonte ensuite la Seine puis l’Oise pour rejoindre à Compiègne la 2ème batterie en vue de l’offensive projetée dans cette région. Mais des obstacles se dressent sur leur passage : les écluses détruites, des cours d’eau obstrués par des péniches coulées ou barrés par des pilotis, rendant leur progression plus difficile.
Les 1ère et 2ème batteries sont ensuite envoyées dans les Flandres pour l’offensive de juillet, effectuant de nombreux tirs de concentration avec les canonniers marins, et, suivant l’avance des troupes, occupent des postes sur l’Yser.En décembre 1917, la marine ayant besoin de son personnel, les batteries de canonnières sont supprimées et le matériel renvoyé dans les ports. Au front, ce sont les trains qui prendront la relève des canonnières et qui seront équipés de canons de gros calibre. Quatre canonnières de 140 seront cependant réarmées en novembre 1918 pour effectuer la police du Rhin jusqu’en 1932.
En janvier 1918, deux canonnières restent encore à Brest et attendent leur transfert. Il s’agit de la Brutale et de la Furieuse. Le 7 janvier, malgré une forte tempête qui sévit, elles sortent du port, tirées par des remorqueurs pour contourner la côte nord de Bretagne, pour ce qui sera leur dernier voyage… La Furieuse n’ira pas bien loin, puisqu’elle coulera le jour même dans le goulet de Brest. La Brutale résistera un peu plus, mais le lendemain 8 janvier 1918, vaincue par les flots tumultueux auxquels elle n’était pas habituée, ayant été conçue comme péniche fluviale et non pas comme bateau de mer, elle finit par sombrer à son tour en face de la pointe Saint Mathieu.Elle gît toujours par 17 mètres de fond, aux coordonnées : latitude 48° 19’ 882 N et longitude 04° 47’ 217 W.