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8 Médiéval 1050 Olifant Ivoire Italie Salerne ND des Portes Paris BNF



Médieval 1050 Olifant Ivoire Italie Salerne ND des Portes  Paris BNF
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L’olifant (anciennement oliphant) est un instrument à vent de la famille des cuivres (bien que non métallique). Comme l’indique son nom, c’est un cor réalisé à partir d’une défense d’éléphant dont la pointe a été perforée. Ne pouvant émettre qu’un seul son, l’olifant ne sert que pour les communications. Si la hauteur des sons est invariable, il est néanmoins possible d’en infléchir plus ou moins la durée. L’olifant est un cor de chasse mais aussi de guerre, une marque distinctive de commandement, que porte le chef ou celui qui l’escorte.

Dans la Chanson de Roland (vers 1080), le cor du héros est un olifant. Le héros malheureux de Roncevaux joue de son célèbre olifant (cor d’ivoire) lorsqu’il découvre ses compagnons morts. Il tient à son olifant autant qu’à son épée. Sentant sa mort arriver, ne pouvant briser son épée Durandal, c’est son olifant qu’il se résigne à détruire, avant de se coucher pour mourir. Cet olifant en ivoire sculpté doit dater de l’époque de transition entre roman et gothique, soit de la fin du XIIe siècle. En effet, les rinceaux sont de style roman, tandis que les figures sculptées (hommes et animaux) témoignent d’un raffinement digne de l’art du XIIIe siècle. Cet olifant, si précieusement décoré, n’était cependant peut-être pas destiné à la guerre mais plus vraisemblablement à la chasse, comme le décor le laisse penser. Sur plusieurs colonnes, au centre de la défense, sont en effet représentés, sculptés en bas-relief, des chiens de chasse mais aussi des faisans et des griffons (créatures légendaires à tête d’aigle greffée sur un corps de lion).

Description objet
L’olifant est taillé dans une grande défense d’éléphant d’Afrique, soigneusement évidée ; le cément extérieur, friable et blanc, a été poncé et la surface polie. La pointe et deux bandeaux ont été taillés en retrait et laissés lisses afin d’y ajuster des bandes en métal - peut-être d'or ou d'argent puisqu’elles ont été ôtées dès avant la Révolution - qui permettaient de porter le cor en bandoulière. Une embouchure métallique, disparue, augmentait la portée du son, déjà très puissant sans cet élément si l’on en croit Thomas Riboud, son possesseur à la fin du 18e siècle, qui dit l’avoir expérimenté. Ces éléments métalliques étaient fixés par des clous qui ont été sciés. D’autres clous sont le témoignage d’une bordure orfévrée qui protégeait la plus grande ouverture de la trompe et d'appliques décoratives dans les frises. Cinq bandeaux sont sculptés en bas-relief, les détails repris au ciseau. Les bandes lisses sont entourées de frises de rinceaux végétaux, qui présentent de nombreux évidements ronds, probablement incrustés autrefois de matériaux précieux. L’olifant devait ainsi offrir une riche polychromie.
1ère frise (registre supérieur) : cavalier à cheval combattant un animal monstrueux ; au revers sirène et lion ailé


Le motif du cavalier, tête nue, manteau flottant au vent, lance brandie, est fréquent dans l’art romain puis byzantin. Par contre le quadrupède que poursuit le chasseur prend un caractère fantastique par son cou écailleux et le serpent qui sort de sa bouche. De l'autre côté d'un arbre à longues palmes, une sirène ou harpie ailée à corps d'oiseau et tête de femme fait face à un lion ailé. La sirène, symbole de la tentation, est un motif répandu dans tout le monde méditerranée, aussi bien dans l’art grec et romain que dans l’art oriental. Au Moyen-Age, elle se retrouve en Occident -souvent avec un buste de femme sur un corps d’oiseau ou de poisson- tout comme dans l’art fatimide des 10e - 12e siècles.
Dessous, deux bandes de rinceaux encadrent une bande lisse.
2e frise : lion et licorne face à face ; au revers combat d’animaux (lion et biche)


L’unicorne est décrit par les auteurs grecs et latins comme l’âne indien, mais n’est pas représenté. Le mythe s’est probablement transmis par le monde arabe à l’Occident, où, à partir du 13e siècle, il donne naissance à la licorne, symbole de la pureté et de la grâce, dont l’image ne se fixe qu’à la fin du Moyen-Age. Les animaux face à face de part et d’autre d’un arbre de vie sont un motif récurrent de l’art oriental.
3e frise : oiseaux dans une coupe ; dromadaire harnaché ; revers aigle éployé

 


Le thème des oiseaux, colombes ou paons, buvant dans une coupe, bien connu dans l'art oriental, a été transmis à l'Occident par l'intermédiaire de tissus et d'ivoires dès l'Antiquité tardive ; fréquent à l'époque paléochrétienne, il le restera dans l’Occident roman (11e-12e siècles) comme symbole de l’eucharistie.
Le dromadaire, à une seule bosse, vit en Arabie et au Sahara. Il est ici harnaché, la selle surmontée d’une grande palme, tourné vers un aigle de face, aile éployées, un petit quadrupède dans ses serres.
4e frise : griffon ailé et sphinx à tête de femme face à face ; animal monstrueux et serpent ; combat d’un quadrupède et d’un oiseau de proie

 


Créature hybride, le Sphinx, à corps de lion ailé et tête de femme, est commune à toutes les cultures de la Méditerranée antique. Le griffon, généralement à corps de lion ailé et tête de rapace, est présent dès la fin du IVe millénaire en Élam et en Égypte, puis dans l’art grec à partir la fin du VIIIe siècle av. J.-C.

5e frise (registre inférieur) : le Bon Pasteur ; combats d’animaux


Le Bon Pasteur tire sa source des criophores (porteurs de bélier) de la Grèce puis de la Rome antiques, vêtus de l’exomis (tunique courte), une brebis sur les épaules. Ce thème devient dans l’art chrétien un symbole du Christ qui protège les fidèles et ramène la brebis égarée.
Chiens courant après un quadrupède ; combat de deux oiseaux ; portique à remplissage tressé et tête de femme ; quadrupède attaquant un oiseau

Sept autres olifants offrent une grande parenté stylistique dans l’organisation du décor en bandes et l’iconographie.

Commentaire :
Le terme olifant vient du latin vulgaire ‘elephantus‘ qui s’applique à la fois l’animal et à son ivoire ; la première occurrence se rencontre dans la Chanson de Roland, poème épique dont la plus ancienne version est rédigée en dialecte anglo-normand dans le 2e/4 du 12e siècle. L’olifant est un cor taillé dans une défense d’éléphant, pour sonner à la chasse et à la guerre. Les exemplaires en ivoire (pour les 11e-12e siècles, environ 75 sont connus), extrêmement précieux, sont réservés à une élite, l’ivoire étant très rare en Occident entre la fin de l’antiquité et le 13e siècle, la plupart sont en cornes de bovidés, terre cuite ou métal. Un bouchon peut fermer l’orifice inférieur, afin de s’en servir de corne à boire - ainsi sur la tapisserie de Bayeux, vers 1070- ou dans un usage liturgique, pour y mettre des huiles consacrées. A partir du 11e siècle, des olifants sont offerts à des trésors d’églises ou d’abbayes, comme en témoignent certains inventaires ; la majorité de ceux qui sont aujourd’hui préservés proviennent de trésors religieux.
Fabriqués pour une clientèle chrétienne de chevaliers des pays du Nord de l’Europe (France, Allemagne, Angleterre), ces olifants ont été produits dans des ateliers situés en Italie du Sud. Plusieurs villes travaillaient l’ivoire, ainsi Amalfi, Salerno, Bari. L’Italie du Sud, où Robert de Hauteville, dit Robert Guiscard (le Rusé), devient duc d’Apulie et Calabre en 1059, voit se côtoyer Normands, Musulmans, Grecs, Lombards. Elle est en contact étroit avec l’Afrique et la Sicile, île sous domination arabe du 9e siècle jusqu’à la conquête normande entre 1060 et 1091.
Le décor reflète cette richesse multiculturelle de la Campanie des 11e-12e siècles. L’olifant appartient à la série «archaïsante et antiquisante» de la classification d’Avinoam Shalem, fortement marquée par les influences de l’art oriental. Celles-ci se dénotent dans les animaux, fantastiques (animaux ailés, animaux à une tête et deux corps) et réels (ibis, dromadaire), dans leur disposition autour d’un arbre de vie, dans les motifs végétaux tels que palmiers et les rinceaux végétaux.
Certains motifs sont hérités de l’art byzantin, et à travers lui, de l’art romain, tels que le Bon pasteur, le cavalier au manteau flottant, des éléments d’architecture, tels que colonnettes et arcatures.
Bien que les olifants aient été utilisés comme instruments de musique en Orient comme en Occident dès l’antiquité, leur usage est prépondérant en Occident au Moyen-Age et c’est à une clientèle occidentale qu’ils sont destinés.


Historique :
Cet olifant provient du trésor du monastère de la Chartreuse de Portes, où il est resté jusqu’à la Révolution française.
Selon la tradition rapportée par les moines de la Chartreuse, l’olifant aurait été trouvé par des bergers vers 1400 dans une grotte, la « Balme de Roland », près d’Ordonnaz (Ain) dans les monts du Bugey, et déposé à la chartreuse de Portes, monastère fondé en 1115. Lors d’un séjour à La Chartreuse de Portes en 1781, un savant local, Thomas Riboud, étudie l’olifant, qu’il publie dans le Journal des Savants en 1785. Au moment de la Révolution française, les moines décident de lui confier l’olifant, par souci de préservation. Après la mort de Riboud en 1835, l’ivoire est racheté par le duc de Luynes. Ce dernier, fin connaisseur de l’art antique de la Grèce et du Proche-Orient s’était aussi intéressé à l’Italie du Sud du 13e siècle, et en particulier aux archives et aux monuments des Normands. Ce rare olifant a dû le séduire par la beauté de la matière, la qualité de son travail, la diversité de l’iconographie qui puise aux sources antiques et orientales que lui-même connaissait parfaitement. Il le donne, avec sa collection d’antiques, au Cabinet des médailles en 1862.
L’olifant était protégé par deux écrins : un écrin extérieur, grossier, en cuir lisse, rapiécé et un écrin intérieur en cuir fin à décor estampé, en léger relief, fragmentaire aux deux extrémités (cf. description détaillée de Thomas Riboud (1819, p.228-231). Son décor est réparti en cinq compartiments renfermant des animaux (paon, oiseau griffu, lièvres, chien, lions), des motifs géométriques et floraux (trèfles dans des losanges), et six écussons en losange avec des armoiries mi-parti, divisées verticalement avec d’un côté la moitié d’un château à trois tours, de l’autre la moitié d’une grande fleur de lis. Thomas Riboud a identifié ces armes à celles de Blanche de Castille (1188-1252), reine de France de 1223 à 1226 puis régente pour son fils Louis IX (Saint Louis), jusqu’en 1235. Si cette attribution n’est pas assurée, on peut relever que la technique du cuir estampée, connue depuis l’époque carolingienne, connaît une grande vogue aux 12e et 13e siècles.

 

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