1°GM 1918 Général Estienne Saumur
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Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la France était le pays qui possédait le plus de chars et qui avait la plus grande expérience de leur utilisation.
À la fin de la Grande Guerre, les nombreuses opportunités, tant tactiques que stratégiques, qu’offrait cette arme nouvelle étaient connues des principaux chefs militaires ou civils. Comment est-on passé des espoirs stratégiques de 1918 à la sclérose tactique des années trente qui conduisit à l’écroulement du pays en mai et juin 1940 ?
Si le concept d’emploi de cette arme nouvelle qu’est le char d’assaut a été élaboré de façon empirique dans l’urgence et au contact du feu, les expériences tirées du conflit l’ont, dans une large mesure, figé, empêchant ainsi toute évolution pour des raisons d’ordre militaire, politique, social et diplomatique.
Les idées du général Estienne
Le général Estienne, artilleur d’origine, était passionné par l’innovation technique. Sa carrière montre combien il était à la pointe du progrès, toujours à l’affût des innovations techniques. Le meilleur exemple fut son rôle dans le développement de l’aviation militaire avant le début du conflit.
Il mit ses idées et ses théories en pratique car appelé, à la mobilisation, à la tête du 22e régiment d’artillerie, il obtint l’autorisation d’incorporer sa section d’avions au régiment et de l’emmener en campagne. Si le colonel Estienne commença la guerre en innovant à la tête de son régiment, ce fut la terrible expérience des premiers combats qui lui donna l’envie de trouver un moyen de protéger les combattants des ravages provoqués par les feux d’artillerie.Comme beaucoup, il fut rapidement frappé par la puissance de feu adverse et le 23 août 1914, alors qu’il se trouvait devant Charleroi, la réception de l’ordre de retraite lui fit prendre conscience du nouveau visage que prenait le conflit. Pour changer la situation, il fallait trouver un moyen d’avancer jusqu’aux lignes adverses en étant protégé de ses coups directs ou indirects.
Quelques jours plus tard, le 25 août, il livrait les conclusions de ses réflexions à quelques officiers de son régiment. "Messieurs, la victoire appartiendra dans cette guerre à celui des deux belligérants qui parviendra le premier à placer un canon de 75 sur une voiture capable de se mouvoir en tout terrain
1.S’il ne parait pas concevable d’affirmer que le général Estienne fut l’inventeur du char, il est possible de certifier qu’il en eut l’idée originelle. En effet, il n’inventa aucun des éléments constitutifs du char d’assaut mais il fut le premier, en France, à concevoir un engin blindé, à en imaginer l’emploi et surtout il parvint à convaincre le haut commandement de l’utilité d’une telle arme pour la suite de la guerre. En ce sens, il est "le père des chars" puisqu’il en eut l’idée le premier.Pour mettre en œuvre cette idée, il eut deux combats à mener : convaincre de l’utilité de cette arme nouvelle et encore dans les limbes ; concevoir et réaliser cet engin blindé.
Il lui fallut dans un premier temps persuader les responsables militaires de l’utilité des chars. Pour cela, il adressa, le 1er décembre 1915, une lettre que le Grand Quartier général reçut cinq jours plus tard. Cette missive peut être considérée comme l’acte de naissance des chars d’assaut :
J’ai eu l’honneur, depuis un an, d’appeler à deux reprises, votre haute attention sur l’emploi de cuirassements mobiles, pour assurer directement la progression de l’infanterie.
Au cours des dernières attaques, la valeur incomparable de ce procédé s’est imposée à mon esprit avec une force croissante et, après une nouvelle et sévère analyse des conditions techniques et tactiques du problème, je regarde comme possible la réalisation de véhicules à traction mécanique, permettant de transporter, à travers tous les obstacles et sous le feu, à une vitesse supérieure à 6 kilomètres à l’heure, de l’infanterie avec armes et bagages et du canon.
J’estime qu’il faut six mois et dix millions pour réaliser le matériel nécessaire au transport d’une vingtaine de mille hommes, force suffisante pour enlever, par surprise, les lignes successives sur 40 kilomètres de front et permettre l’irruption des masses disposées en arrière. Une telle entreprise exige un secret absolu et la prompte réalisation d’un premier véhicule, conditions incompatibles avec les discussions d’une Commission d’examen
2.Il est difficile d’affirmer que, dans cette lettre, le colonel Estienne conceptualisait déjà l’idée des chars puisqu’il y évoquait le transport "de l’infanterie avec armes et bagages et du canon", cependant la mécanisation et la progression rapide à travers les lignes ennemies en étant protégé y figuraient.
Il commença un travail de persuasion, rencontrant successivement : le général Janin, major général chargé du matériel, le général Pétain, le général Joffre, le général de Castelnau. Il sut être convaincant car, le 31 janvier 1916, la décision du généralissime était prise de créer l’artillerie d’assaut.
Les essais débutèrent rapidement et, le 23 février, un compte-rendu fit état d’une large réussite, même si des aménagements se révélaient nécessaires, comme par exemple un allongement de trente centimètres de chenilles et l’ajout d’une coupole pour améliorer la vision du conducteur.
Le 26 mars, Estienne apprit l’existence d’un autre programme de char lancé par le service automobile de l’Armée : le Saint-Chamond qui apportait quelques innovations par rapport au char Schneider (chenille entraînée par un moteur électrique) mais souffrait d’un vice rédhibitoire : sa forme trop effilée le faisait se ficher en terre lors du franchissement des tranchées ce qui en faisait une cible idéale pour l’artillerie adverse. Quatre cents exemplaires furent commandés. La France se trouvait donc avec deux chars différents, le Schneider et le Saint-Chamond. Il restait encore à préparer les équipages.
Le général Estienne fut chargé, à l’été 1916, de l’organisation des unités de "cuirassés à chenilles". Il rassembla les premiers éléments pour la formation et l’instruction des équipages au fort du Trou-d’Enfer, près de Marly le Roi, à la mi août. Les premiers membres des équipages étaient des officiers issus de l’école de Fontainebleau ou des dépôts d’artillerie, des militaires du rang venant également des dépôts d’artillerie ou des cavaliers fournis par les escadrons dissous. L’artillerie n’étant pas, seule, capable de fournir les effectifs nécessaires, un appel fut lancé, à partir de septembre 1916, aux autres armes puis ensuite aux armées. L’artillerie d’assaut était donc interarmées à l’origine. Son créateur disposait des hommes et des matériels, il lui restait à mettre en place une doctrine d’emploi.
"Les nouvelles armes ont été très souvent inventées et adoptées sans qu’elles aient été conçues selon une idée tactique définie". Cette maxime du major général Fuller s’applique-t-elle à la conception des chars ? "Les engagements de chars qui se sont succédé en 1917-1918 ne procédaient pas, en effet, d’une science si établie que nul ne pouvait l’ignorer sans être inférieur à sa tâche. Ils constituèrent, au contraire, les expériences nécessaires de rendement d’un matériel nouveau et servirent de touche à une doctrine naissante, qui cherchait encore sa voie. Mais si les erreurs commises étaient, au début, quasi obligatoires, elles devaient porter leurs fruits. Ce sont en, effet, leurs révélations mêmes qui ont permis de préciser peu à peu les conditions actuelles réglementaires
3.En fait le concept d’emploi évolua rapidement de l’origine au premier engagement. Il partit d’une idée générale née d’un besoin qui se transforma en fonction des apprentissages des expériences et des capacités techniques des engins.
Ce concept tactique, tel qu’il était à l’origine dans l’esprit d’Estienne, fut expliqué au général Janin lors de l’entrevue du 12 décembre 1915. Après avoir fait la description technique de l’engin qu’il appelait de ses vœux, il en présenta l’utilisation envisagée. Le char étaitdestiné à briser, par surprise, le front défensif de l’ennemi, jusqu’alors presque inviolable.Avant la nuit de l’attaque, des cuirassés sont disposés, à l’abri des vues, à 3 ou 4 kilomètres en arrière de la première ligne, à raison d’un cuirassé par cent mètres de front à attaquer. Ils s’ébranlent une heure avant le jour, franchissent nos lignes en bataille et abordent la première tranchée ennemie. L’artillerie peut ouvrir le feu et continuer en tir fusant, si on le juge nécessaire, pour couvrir le bruit des moteurs ; il est cependant préférable de ne pas faire intervenir le canon.
La moitié des cuirassés franchit la tranchée ennemie et pousse de l’avant, prenant à partie les mitrailleuses, qui viendraient à se révéler ; l’autre moitié reste à cheval sur la tranchée, la couvrant de feux d’enfilade, pour permettre à l’infanterie de l’aborder, en utilisant les cheminements ouverts dans les défenses accessoires par les cuirassés. Dès que la première tranchée est prise, on aborde la seconde par le même procédé, dont la répétition successive permettra d’enlever la ligne des batteries, une heure au plus, après la mise en branle des cuirassés, c’est-à-dire au point du jour, sans que l’ennemi ait pu, dans l’obscurité, entraver sérieusement la progression rapide et imprévue, au cœur même de ses positions.
Si l’on dispose d’un nombre suffisant de cuirassés, l’emploi des remorques prévues permettrait d’amener plus rapidement l’infanterie nécessaire à l’enlèvement des batteries, les cuirassés à remorque marcheraient à quelques centaines de mètres derrière les cuirassés sans remorque. Dès que les batteries sont prises, l’armée tenue prête en arrière est portée en avant.
C’est une véritable révolution dans l’art de la guerre. Le cuirassé terrestre permettra à l’infanterie de braver la mitrailleuse, d’échapper au tir de l’artillerie et de se jouer des obstacles passifs du champ de bataille, réseaux de fils de fer, tranchées, et apportera à nos attaques la puissance et la surprise
4.Dans ce texte, se trouve déjà ce qui allait marquer l’histoire des chars français et même hypothéquer l’avenir de l’arme nouvelle : l’accompagnement de l’infanterie. Cependant il faut remarquer que sa conception ne s’arrête pas à l’élaboration d’un engin mécanique blindé et armé, capable d’écraser les réseaux, de franchir tranchées et boyaux. Dès l’origine, le général Estienne songea à l’emploi en masse des chars. Il s’agissait de submerger les lignes ennemies par les chars en les saturant de cibles et en surprenant l’ennemi tant par leur nouveauté que par leur multitude.
Cependant, la mise en application de cette idée de l’emploi tactique fut contrariée par les capacités techniques des engins et surtout par la première apparition des chars britanniques sur le champ de bataille qui fut un échec relatif et, surtout, annihila l’effet de surprise escompté.
Le général Estienne dut prendre en considération tous ces faits nouveaux pour revoir son concept d’utilisation de l’Artillerie Spéciale (AS). Son ordre général n° 1, du 1er janvier 1917 reprenait ses conceptions tactiques et expliquait comment devaient manœuvrer les appareils.
L’AS accompagne l’infanterie dans l’attaque, lui fraye le chemin à travers les fils de fer et couvre sa progression...
... Le char porte un canon court ou un canon long mais la progression constitue son plus puissant mode d’action.
... Les raisons d’être d’un canon à bord du char d’assaut est la destruction des mitrailleuses ennemies.
Principes : le brouillard est favorable à l’attaque position de départ aussi avancée que possible et occupé le plus tard possible…
… L’AS et l’infanterie restent étroitement associées au combat mais l’AS tant qu’elle peut progresser n’attend pas l’infanterie. L’AS et l’infanterie se prêtent ainsi successivement un mutuel appui au cours de la progression vers les objectifs commun ; l’une des armes n’attend l’autre que si elle ne peut plus avancer par ses propres moyens
"5. Dans ce texte, se trouvait tout ce qui allait être l’emploi des chars durant la guerre et même après : la forte association entre les chars et l’infanterie, même si la progression de l’une n’est pas liée, pour l’instant, à celle de l’autre. Le combat char contre chars n’était pas encore envisagé ; à l’époque les chars allemands n’existant pas, il n’était pas nécessaire de concevoir un tel combat. Cette conception fut reprise par le 3e bureau qui, dans une note très secrète, précisait les conditions d’emploi de l’AS : "Ouvrir la voie à l’infanterie partout où le canon n’a pas détruit ou annihilé les moyens de défense de l’ennemi". Cette note prévoyait d’utiliser les chars sans préparation d’artillerie pour ménager l’effet de surprise ou après une préparation d’artillerie. Lorsque l’infanterie avait atteint la ligne limite d’efficacité des tirs d’artillerie, les chars étaient prévus pour "exécuter à courte portée le travail que l’artillerie aurait exécuté de loin". La note concluait que, du fait des conditions de terrain nécessaires et du faible nombre d’appareils disponibles, l’attaque par surprise sans préparation d’artillerie sur un large front semblait difficile. De ce fait, l’utilisation prévue était : l’accompagnement de l’infanterie après une préparation d’artillerie
6.Les responsables militaires étaient conscients que l’utilisation de cette arme nouvelle ne pouvait pas être fixée d’emblée. Elle devait évoluer en fonction des expériences tirées des expérimentations et des entraînements.Au printemps 1917, Estienne avait gagné son pari. Son idée était acceptée par le haut commandement, la réalisation des appareils était en marche et le concept d’emploi des chars évoluait au fil des conclusions tirées des différents exercices et entraînements. Tout semblait donc prêt pour que l’AS fît ses débuts sur les champs de bataille, ils eurent lieu à Berry-au-Bac.L’attaque du 16 avril 1917 et ses enseignements
La première attaque de chars français de l’histoire eut lieu le 16 avril à Berry-au-Bac, dans le cadre de l’offensive Nivelle d’avril 1917.Le concept d’emploi qui prévalut à Berry-au-Bac fut expliqué dans une lettre du général Pétain au ministre de l’armement du 4 juillet 1917. Il y expliquait que : "Les règles d’emploi de l’artillerie d’assaut pour le 16 avril 1917 étaient le résultat des réflexions faites à la suite des engagements des tanks anglais sur la Somme et des manœuvres combinées avec l’infanterie exécutées durant tout cet hiver au camp de Champlieu"
7.Le plan d’attaque ne prévoyait l’emploi des chars que pour l’attaque des défenses ennemies à partir de la troisième position ; la préparation d’artillerie, seule, devant ouvrir la voie à l’infanterie sur les positions antérieures. Les chars devaient s’efforcer de suivre la progression le plus vite possible à travers le terrain bouleversé, de façon à entrer en ligne vers H + 4, au moment où l’infanterie partirait à l’attaque de la troisième position, position trop éloignée pour que notre artillerie ait pu avant l’attaque y pratiquer des destructions sérieuses.130 chars, répartis en deux groupements, devaient participer à cette opération. Dès leur engagement, les chars furent repérés par l’aviation ennemie et subir dès lors, sans discontinuer, le feu de l’artillerie allemande. Ils parvinrent à atteindre la troisième ligne de défense ennemie, mais faute de soutien d’infanterie, cette dernière n’ayant pu les suivre, ils durent se replier à la tombée de la nuit. Ils laissaient derrière eux nombre de carcasses de chars calcinées.Le général Estienne fit l’analyse à chaud de la bataille dans un rapport qu’il adressa au Grand Quartier Général le 28 avril 1917. Après avoir fait l’historique de l’engagement, précisant les conditions de transport vers les points de rassemblement, l’emploi prévu des groupements et résumant les faits importants, il tirait des conclusions tactiques et techniques :
Les chars ne doivent pas être exposés pendant plus d’une heure à des tirs réglables d’artillerie. À défaut du brouillard, de la demi obscurité ou du matin, circonstances considérées dès le début comme particulièrement favorables, il faut que l’AS rencontre au cours de sa progression des couverts, des vallonnements susceptibles de l’abriter momentanément contre les tirs directs.
Dans uns attaque en profondeur, l’entrée de l’AS dans la zone vue par les observatoires de première ligne de l’ennemi (Craonne par exemple) ne doit pas être fixée en fonction de l’heure H, mais elle doit être subordonnée à la conquête préalable de ces observatoires. Il suit de là, qu’en général, la mise en action de l’as doit être prescrite soit par l’Armée, soit par le Corps d’Armée et exceptionnellement, par la Division, non d’après une idée préconçue sur le temps probable nécessaire à l’occupation des observatoires, mais d’après la connaissance certaine des progrès réalisés par notre infanterie.
Ce principe n’introduit d’ailleurs aucun retard dans la progression de l’AS parce que ses chars ne pouvant généralement franchir par les seuls moyens du bord les premières lignes ennemies spécialement organisées contre leurs incursions, il faut un certain temps pour aménager des passages dans ces lignes. Une bonne mesure à adopter quand les groupes seront dotés de chars légers de commandement, consistera à faire devancer le groupe par l’un de ces chars, dont le chef reconnaîtra l’itinéraire, évitant ainsi l’arrêt du groupe sous les vues et sous les feux de l’artillerie ennemie.
Le groupe de 16 chars ordinaires est trop lourd et le commandement tant du groupe que des batteries, est mal assuré par des officiers montant un char de même allure que ceux de la troupe. Il convient de constituer des batteries à 3 chars ordinaires plus un char de commandement et d’affecter un char léger de commandement au commandant de groupe, c’est à dire de doter le groupe de 17 chars dont 5 légers
8.La conclusion générale insistait sur la nécessité de construire d’autres chars, en particulier des chars légers.
Le 3e bureau continua de travailler sur les enseignements des combats du 16 avril, notamment en analysant le rapport du général Estienne, et en tira les conclusions suivantes :
Conclusions tactiques :
1) Ne pas exposer les chars pendant plus d’une heure au tir réglable de l’artillerie.
Dans une attaque en profondeur, n’engager les tanks que lorsque les observatoires de première ligne seront en notre possession. L’engagement des tanks ne sera ordonné que par l’armée ou le C.A, exceptionnellement par la D.I.
Le groupe de 16 chars ordinaires est trop lourd. Il faut doter les commandants de groupe et de batteries de chars légers de commandement.
Conclusions techniques :
La valeur du mécanisme Schneider s’est affirmée dans une épreuve extrêmement dure. Cependant, certaines améliorations sont à faire : il est possible, en particulier de diminuer les chances d’inflammation sous l’effet des projectiles.
Le général Estienne demande que les fabrications soient orientées vers la construction de : 2 000 chars légers, 400 chars moyens, 100 chars de poids lourd9.
De ces conclusions découlèrent des aménagements tactiques notamment la nécessité d’équiper les unités de chars légers.
L’évolution du concept
Depuis la mi-1916, le général Estienne pensait à un char léger d’accompagnement. Sa légèreté devait lui permettre d’être transporté par camion le plus près possible de l’infanterie. Il devait être petit, pour être moins vulnérable car légèreté et blindage étaient incompatible. Il devait avoir, en tout terrain, la vitesse de progression moyenne du fantassin car il ne devait jamais quitter ce dernier. Il devait servir à neutraliser les armes lors de l’assaut.En décembre 1916, le général Joffre obtint l’accord du ministère de la Guerre pour la fabrication du char mitrailleur Renault. Son adoption marquait un tournant dans l’évolution du concept d’emploi car elle signifiait l’abandon de l’idée de rupture pour celle d’accompagnement de l’infanterie. Ceci prenait en compte les aménagements tactiques effectués après le 16 avril.
Quand la fabrication des chars avait été envisagée, on pensait créer un engin propre à rompre le front ennemi, en écrasant ses défenses et en traversant ses organisations. Mais l’ennemi, averti peut-être par l’engagement prématuré des chars anglais en 1916 sur la Somme, avait élargi ses tranchées. Nos chars étaient impuissants à les franchir.
Pour cette raison, on envisagea l’emploi des chars comme moyen d’accompagnement de l’infanterie ; combattant en liaison avec l’infanterie et presque dans ses rangs, les chars pouvaient compter sur l’aide des travailleurs spéciaux qui devaient les accompagner au combat.
Pour l’attaque de 16 avril, le commandement avait décidé de réserver ses chars pour appuyer la progression de l’infanterie au-delà de la deuxième position, dans la zone que ne pouvait préparer l’artillerie. Ce mode d’emploi était judicieux et l’expérience prouva par la suite qu’il était excellent
10.De plus, la crainte de l’artillerie empêchait de concevoir une action en masse des chars afin qu’ils servissent dans une action en force destinée à percer et à exploiter. Pour éviter l’artillerie, il fallait utiliser le climat ou le terrain.
L’apparition d’un nouveau char n’allait pas être sans conséquences sur l’évolution du concept d’emploi, qu’il allait ancrer dans l’accompagnement de l’infanterie, délaissant ainsi encore plus le concept originel de cuirassé terrestre capable de percer et d’exploiter seul en avant et indépendamment de l’infanterie.Après une pause rendue nécessaire par l’exploitation des enseignements des premiers combats, les chars réapparurent le 5 mai 1917 au moulin de Lafaux où ils furent engagés en deuxième échelon. En octobre, ils participèrent aux combats de la Malmaison pendant lesquels ils donnèrent entière satisfaction. Aucune doctrine n’était fermement définie mais l’emploi des chars en liaison étroite avec l’infanterie était fortement pressenti.La prise en compte des différentes modifications fut officialisée dans l’instruction provisoire sur l’emploi des chars d’assaut du 20 décembre 1917. Dès le début, il y était rappelé que les chars servaient à accompagner l’infanterie :
Les chars d’assaut sont des appareils cuirassés à progression mécanique destinés à briser, par une action rapprochée, les obstacles ou les résistances qui arrêtent l’infanterie d’attaque. L’artillerie d’assaut est pour l’infanterie une artillerie d’accompagnement immédiat agissant à la demande des nécessités du combat
11 Cette instruction provisoire reprenait l’ensemble des concepts qui étaient déjà sortis et il y était encore affirmé avec force que les chars étaient au service de l’infanterie. Les capacités techniques des chars et la peur des effets de l’artillerie avaient entraîné la mise sous le boisseau du concept d’emploi des chars tel que le général Estienne l’avait initialement imaginé et rêvé.
L’arrivée des chars légers nécessita la publication de documents expliquant leur mode d’action. Ainsi en juin 1918 parut une note sur l’emploi des chars légers. Elle précisait que l’AS servait d’accompagnement à l’infanterie et lui livrait un appui. La tactique de l’infanterie ne changeait pas, avec ou sans chars, et l’AS était placée sous le commandement de l’infanterie.Le concept d’emploi des chars légers variait peu par rapport à celui des chars lourds. En fait, il s’agissait plus d’un changement de matériel que d’un changement de concept. Les chars légers, plus manœuvrants, se substituaient aux Schneider et Saint-Chamond.L’évolution du concept se fit par petites touches en fonction des différents enseignements tirés des engagements successifs. Des améliorations se firent jour comme les essais de débordements et les exploitations par les chars. Cependant, d’autres comme l’utilisation en masse furent contrariés par les événements. "Le G.Q.G. s’était rallié à l’idée émise par le général Estienne de n’employer qu’en masse les chars légers, encore inconnus de l’ennemi, sur un front d’attaque d’armée. De la sorte, on pouvait espérer réaliser un effet de surprise, susceptible d’avoir une répercussion profonde sur les opérations.Le déclenchement de l’offensive allemande de mars 1918 et l’avance considérable, que cette offensive réalisa très rapidement, ne permirent pas de mettre à exécution ce projet gros de promesses ; il fallut jeter immédiatement en ligne le petit nombre de chars existants
12.Le grand triomphateur de la dernière année du conflit fut le FT 17 Renault, entre autres, parce que, lors de sa mise en place, il avait bénéficié d’améliorations issues des enseignements tirés des engagements de ses prédécesseurs13. Sa production s’était développée de façon intensive pendant toute l’année 1918, alors que celle des chars moyens avait été suspendue.Les chars lourds étaient toujours d’actualité car le général Estienne n’avait pas abandonné son idée de char de rupture, malgré l’échec relatif des chars moyens et le triomphe du FT 17 et de son concept d’emploi : l’accompagnement.Le char 2C devait succéder aux Schneider et aux Saint-Chamond. Le 16 septembre 1918, le général Pétain écrivit au président du Conseil qu’il lui était indispensable pour enfoncer les défenses ennemies dans les futures batailles de 1919.La fabrication commença en octobre 1918, mais fut interrompue dès la signature de l’Armistice. Seulement dix chars furent terminés.Les incomparables qualités de ce matériel étaient son puissant armement offensif, qui lui donnait la possibilité de braver tous les engins anti-chars de l’époque, et sa grande capacité de franchissement, qui lui permettait d’aborder et de vaincre d’autorité tous les obstacles du champ de bataille, y compris les écluses des canaux.Une chose a manqué à la gloire des chars français, les derniers venus des combattants. C’était une attaque par surprise, menée sur un très large front, par plusieurs centaines de chars 2C, lancés dans la bataille avant le lever du jour, suivis par des milliers de chars légers Renault, précédant les vagues d’infanterie
14.Le concept d’emploi, validé à la fin de la guerre, était donc celui de l’accompagnement d’infanterie. Le concept de char de rupture n’avait pu être validé parce que la guerre s’était, heureusement, terminée avant. Cependant il restait dans l’esprit de beaucoup, en particulier du général Estienne qui tenait à son idée de char de rupture et de concept d’emploi de l’Artillerie d’Assaut.À côté de ces adaptations d’ordre général, il est intéressant de suivre ce qui fut fait au sujet de deux innovations techniques naissantes qui se développèrent au cours du conflit et voir comment elles furent adaptées aux chars. Il s’agit de l’avion et de la TSF dont le manque ou la mauvaise utilisation furent souvent mis en avant pour expliquer la défaite de 1940. En fait, elles furent prises en compte dès l’apparition des chars.Le suivi de la progression des chars par l’avion d’accompagnement de l’infanterie fut rapidement envisagé. Il n’était pas encore question d’opération d’appui mais d’observation de la progression des troupes au sol. De plus, les avions pouvaient être utilisés pour activer les tirs de contre-batterie destinés à neutraliser les batteries anti-chars ennemies.Des avions spéciaux auront mission d’actionner directement ces batteries réservées sur les pièces en batterie ennemies de défense rapprochée entrant en action
15.Pour transmettre les renseignements recueillis par l’avion, l’utilisation de la radio était prévue : "Un char d’assaut par groupe sera muni d’appareils émetteurs et récepteurs de TSF… Ce char TSF servant en principe de poste de commandement mobile au commandant de groupe d’AS permettra à celui-ci de recevoir, d’une part les renseignements sur la marche du combat envoyé par l’avion d’accompagnement, d’autre part les ordres du commandant de la division
16.L’emploi de l’aviation en coopération avec les chars évolua et se perfectionna puisque, vers la fin du conflit, des opérations d’appui air sol furent envisagées. Pour masquer les bruits d’approche il était prévu d’utiliser les avions volant très bas. Les Britanniques avaient affecté des escadrilles spéciales à leurs unités de tanks. Ces escadrilles faisaient des reconnaissances, aveuglaient les observatoires par obus fumigènes et attaquaient toutes les batteries qui se révélaient.
les termes du débat au lendemain de la victoire
À la fin de la guerre, la France possédait des milliers de chars qui avaient acquis leurs lettres de noblesse à l’épreuve du feu. Nombreux étaient ceux qui prédisaient un brillant avenir à cette arme nouvelle, n’hésitant pas à parler de révolution stratégique. Les années suivant la fin de la guerre allaient être cruciales pour l’évolution du concept français d’emploi des chars.Ce fut dans un contexte de crise économique, morale et humaine que se jouèrent l’avenir des chars, puis l’évolution de la doctrine d’emploi.Sur le plan stratégique, l’acquisition de la surprise par le char était toujours envisagée :Dans une opération offensive, la surprise, et, en particulier, la surprise stratégique, celle qui prend le commandement ennemi au dépourvu en le privant du temps nécessaire pour amener ses troupes de réserve à la bataille, est une condition essentielle de succès.La surprise stratégique a été la base des victoires remportées par les grands capitaines de tous les temps.Toute méthode d’attaque qui exclut la surprise ne peut produire de résultats profonds et décisifs…… La mise en service d’un moyen nouveau, le char de combat, en permettant de réduire ou même de supprimer ces énormes préparations d’artillerie, restitua au commandement la disposition de ce moyen essentiel qu’est la surprise, et lui permit de faire revivre la manœuvre, génératrice des grands succès
17.Le char permettait donc le retour du mouvement et de la surprise, ce qui ouvrait de nouveaux espoirs au niveau stratégique. Cependant, le concept d’utilisation au niveau tactique contredisait quelque peu ces assertions, car nombreux étaient ceux pour qui le char ne devait être utilisé que comme engin d’accompagnement de l’infanterie.Ceci s’explique par le fait que les auteurs s’appuyaient sur les combats, soit qu’ils avaient vécu, soit dont ils avaient lu les récits dans les archives, pour développer leurs théories. Les chars n’étaient que des supplétifs de l’infanterie. "L’emploi des chars n’a pas pour effet de suppléer à une diminution de l’infanterie, mais de permettre à une infanterie fraîche de progresser avec moins de pertes"18. De plus, ils ne devaient jamais oublier "la nécessité, aussi impérieuse pour lui que pour les autres armes, d’opérer en union étroite avec l’infanterie, l’artillerie, l’aviation"19. Les chars n’étaient donc là que pour lui apporter une aide, il n’était pas prévu qu’ils eussent le rôle principal dans la conception de la manœuvre.Les idées du général Estienne en la matière étaient différentes. Peu après la guerre il définissait ainsi son concept d’emploi des chars :… À mon avis, l’intervention des chars mécaniques sur le champ de bataille apparaîtra à l’historien de l’avenir comme un événement aussi important que la poudre à canon. La carrière du char dans sa forme actuelle sera peu être brève, car le progrès va vite, mais aujourd’hui le char est sans conteste le plus puissant moyen de surprise, c’est à dire de victoire, si l’on en croit les grands capitaines.Un corps motorisé de 2 000 hommes, susceptibles de couvrir des centaines de kilomètres par jour, prendra sur les lourdes armées du plus récent passé un formidable avantage. L’Angleterre l’a compris ; elle poursuit avec succès la réalisation d’une force à base de chars qui lui permettra d’intervenir sur le continent avec la même rapidité, la même supériorité que sur la mer…
… À l’exemple de la cavalerie qui a renoncé à charger, il faut que l’infanterie sacrifie un fleuron de sa couronne en laissant à d’autres, au canon dans la guerre de siège, au char dans tous les cas, la mission de conquérir la position qu’elle occupera ensuite, non sans difficultés peut-être, mais sans hécatombe.L’infanterie garde son titre de reine des batailles parce que sa résistance statique permet seule de préparer la victoire, que seule, sa progression consacre définitivement……Une caractéristique essentielle des chars, c’est qu’ils restent toujours en réserve générale. Le commandant en chef les affecte temporairement à l’armée chargée d’une attaque, ou leur confie quelque mission jadis réservée à la cavalerie, prise de contact, poursuite, raid sur les derrières de l’ennemi…… Chez les Anglais et chez nous, les attaques massives de chars sur un grand front ont toujours réussi ; leur préparation n’exige avec les divisions d’infanterie qu’une liaison par le haut, avant l’action. L’emploi des chars au cours de la retraite allemande a pu justifier une liaison permanente entre eux et l’infanterie, liaison qui s’impose évidemment dans les actions de détail, dans les guerres coloniales notamment. Mais si les chars alliés avaient possédé, au mois de septembre 1918, la vitesse et la résistance dont ils sont maintenant capables, ils auraient sans peine cueilli autant de lauriers que la cavalerie après Iéna.L’artillerie d’assaut est, à mon avis, une arme indépendante sans la moindre analogie avec l’infanterie, dont elle diffère radicalement en paix aussi bien qu’en guerre, en station comme en marche, par son armement, par ses procédés de combat et par son organisation qui nécessite, à l’arrière, un puissant service de ravitaillement et d’entretien.Le hasard de la carrière m’ayant permis d’assister, en proche témoin, à l’éclosion et au développement de l’aviation et ensuite des chars, j’ai été frappé par l’étonnante affinité technique et morale de ces deux armes nouvelles qui se complètent admirablement. Leur collaboration apparaît féconde dans la couverture des frontières, dans les reconnaissances, dans les raids et dans la poursuite ; nos amis anglais s’en sont si bien rendu compte qu’après la bataille d’Amiens ils ont affecté, en permanence, une escadrille spéciale au Tank Corps
20.Dans ce passage se trouvaient toutes les idées du général Estienne sur les chars : leur emploi en masse au sein d’une grande unité de 20 000 hommes très mobile et capable d’emporter rapidement la décision, le vœu de voir une arme des chars indépendante et apte à agir seule et à développer ses propres concepts d’emploi, l’utilisation de l’avion en coopération avec les chars. Une fois encore, il montrait ses qualités de visionnaire et ouvrait la voie à un concept novateur d’utilisation des chars. Il redoutait que le rattachement des chars à l’infanterie ne figeât leur doctrine d’emploi en une stérile théorie de l’accompagnement. Pour lui, l’AS devait rester une arme à part entière pour pouvoir se développer selon ses propres concepts.Il n’était pas le seul à avoir des idées novatrices au sujet de l’emploi des chars. D’autres que lui firent également de nouvelles propositions d’emploi issues des expériences de la guerre.Sur le plan tactique, dès la fin de la guerre, le 3e bureau se mit à réfléchir sur le futur emploi des chars. Celui-ci était décrit début 1919 dans une note envoyée au président du Conseil, ministre de la Guerre. La "guerre de l’avenir" se caractériserait par une diminution du nombre de fantassins combattant à découvert et par la "création de moyens offensifs contre les chars, ces moyens étant recherchés notamment parmi les chars eux-mêmes, autrement dit, apparition de la lutte de chars contre chars"21. La lutte anti-chars au moyen de chars était donc envisagée dès la fin du conflit et cela s’éloignait du concept de l’accompagnement de l’infanterie. Il était même envisagé des chars individuels "dans lequel l’homme serait à la fois conducteur et tireur et dont l’emploi se recommanderait peut-être pour effectuer des reconnaissances, signaler les obstacles, éviter les nids de mitrailleuses, les centres de résistances, les mines etc. sorte de char éclaireur devançant la ligne de combat proprement dite, susceptible également de jouer un rôle d’estafette". Venait ensuite la reprise du rôle des chars légers telle qu’il avait été décrit dans une note concernant l’organisation de l’armée sur pied de guerre et du char lourd prévu pour frayer la voie aux chars légers ou de modèle réduit ainsi qu’à l’infanterie, et pour briser les résistances qui s’opposent à leur marche, notamment : réduire rapidement certains centres ou îlots de résistance, contrebattre les pièces anti-tanks venant à se révéler, engager la lutte contre les chars adverses.
D’autres types de chars étaient prévus : chars observatoires pour l’artillerie, chars TSF, chars ravitailleurs. Cependant la réalisation et la mise en place de tels moyens était limitée car Il n’est pas plus question de cuirasser toute l’infanterie qu’il ne l’est de mettre sur chenille toute l’artillerie. La question des ressources et de l’effort raisonnable à imposer à la Nation domine tout le débat.
La France prévoyait de s’équiper de deux types de chars :
- Des chars légers au maniement facile et dont la puissance résidait dans la mobilité. Ils devaient servir à l’accompagnement.
- Des chars lourds dotés de capacités accrues de franchissement qui devaient être appelés chars de rupture.
Parallèlement à ces études, le ministère de la Guerre lança, en 1919, une consultation destiner à tirer les enseignements du conflit. À toutes les unités, il fut demandé de faire faire des rapports aux officiers ayant combattu dans leurs rangs. Ce rapport devait évoquer successivement les personnels, l’organisation, la technique et la qualité des matériels et les problèmes d’emploi.
En ce qui concerne l’emploi des chars dans les unités de l’AS, ce qui ressortait le plus souvent était un problème de liaison, récurent dans pratiquement tous les rapports et qui montrait que le dogme de l’accompagnement était omniprésent chez la majorité des officiers. Peu firent preuve d’originalité dans leur rapport, quelques-uns pourtant firent des propositions innovantes. Le colonel Pierret prévoyait le combat chars contre chars : "Il faut envisager, dans une prochaine guerre, la lutte des chars contre les chars adverses et contre de nombreuses pièces ou mitrailleuses anti-chars"22.Certains rapports évoquaient la TSF en déplorant le manque de temps pour son emploi à la fin de la guerre.
Les rédacteurs du 3e bureau firent état de la nécessité sinon de l’inéluctabilité du combat chars contre chars. Cela pouvait laisser présager le développement de concepts liés à la puissance et à la mobilité que des chars plus puissants et plus mobiles auraient permis. Ces chars étaient d’ailleurs soit en cours de fabrication, soit dans les cartons de leurs concepteurs.Il était donc possible de fonder de grands espoirs sur le développement d’une arme à base de chars qui aurait pu révolutionner la tactique et la stratégie françaises. Cependant cette conception novatrice du concept d’utilisation des chars devait affronter ses détracteurs ou du moins des personnes qui n’y croyaient pas. L’avenir du concept allait se jouer dans l’issue de la lutte entre ces deux conceptions.
le statut des chars et le triomphe de l’immobilisme
Dans une note concernant l’organisation de l’armée sur pied de guerre, le général Pétain précisait l’emploi des chars :Les unités de chars blindés agissent par le feu et surtout par le mouvement elles sont avant tout des unités d’infanterie blindée.
Elles doivent comprendre :Des unités de chars légers combattant dans les rangs mêmes de l’infanterie dont elles assurent l’accompagnement immédiat…… Des unités de chars lourds marchant dans les terrains bouleversés ou organisés de longue date, en avant de l’infanterie pour lui frayer la voie et faciliter le passage des chars légers.La vitesse et la masse doivent constituer les caractéristiques de ce matériel…… L’emploi des unités des chars blindés au milieu ou en amont de l’infanterie impose le rattachement de ces unités à l’infanterie.Le char blindé constitue donc, dès aujourd’hui, l’ossature du combat de l’infanterie. Il faut certainement prévoir qu’il prendra de plus en plus d’importance, en protection, et en nombre. On peut imaginer, dès maintenant, que le très petit char blindé renfermera, dans l’avenir, l’arme automatique que nous sommes, aujourd’hui encore, dans l’obligation de faire progresser à ciel ouvert entourée de servants et protégées par de vrais fantassins
23.Cette note résumait bien la pensée de l’époque et montrait la volonté du commandement de rattacher les chars de combat à l’infanterie.
Au cours de la guerre, la nécessité de donner une existence légale à l’artillerie d’assaut s’était faite sentir. Un décret, publié au Journal Officiel le 8 janvier 1918 avait donné naissance à une sous-direction de l’artillerie d’assaut. Dès la fin de la guerre, la question se posa de sa pérennité. Fallait-il la maintenir en l’état ? En faire une direction indépendante ? La rattacher à une autre arme ou la supprimer purement et simplement ?Rapidement, des notes furent transmises demandant la suppression de cette sous-direction et de ce qui lui était rattachée. Georges Clemenceau, toujours président du Conseil, était "opposé au maintien définitif de l’inspection Générale de l’Artillerie d’Assaut"24. Il fut conforté dans son opinion par différentes notes qu’il reçut à ce sujet. Les plus véhémentes demandaient la suppression de l’Artillerie d’Assaut car son existence, rendue nécessaire par l’obligation d’instruire les personnels, ne se justifiait plus. "L’existence d’une sous-direction spéciale n’est pas plus nécessaire pour donner l’instruction aux personnels devant utiliser les chars blindés que pour instruire les fantassins se servant de la mitrailleuse ou lançant la grenade... Le maintien d’une sous-direction de l’Artillerie d’Assaut ne serait donc nullement justifiée"25. Cette note montre l’état d’esprit de certains officiers vis à vis des chars, ils ne prenaient nullement en compte la spécificité de l’arme nouvelle et ne la considéraient que comme une aide et un apport supplémentaire à l’infanterie.Heureusement pour les chars, tous les officiers n’étaient pas dans ce même état d’esprit et certains se contentaient, avec les mêmes arguments, de réclamer non pas la disparition pure et simple de l’artillerie d’assaut mais le rattachement de cette sous-direction à l’infanterie.Le général Estienne défendait l’idée d’une arme indépendante qui aurait pu se développer selon des concepts qui lui aurait été propres. Cependant, il dut se ranger à l’avis de la majorité mais, entre deux, maux se prononça pour celui qui lui semblait le moins mauvais, c’est à dire un rattachement à l’infanterie plutôt qu’un maintien au sein de l’artillerie. Ceci fut rappelé dans une note d’octobre 1919. "Le Maréchal de France, Commandant en Chef des Armées Françaises de l’Est, l’Etat-Major de l’Armée et le Général Estienne ont fait connaître, à plusieurs reprises, que le rattachement de l’Artillerie d’Assaut à la Direction de l’Infanterie, en ce qui concerne l’instruction, l’organisation et le personnel s’imposait absolument
26.En fait toutes ces autorités s’étaient rangées à l’avis de nombreux argumentaires plaidant en faveur du rattachement de l’Artillerie d’Assaut à l’infanterie. Les arguments les plus forts émanèrent du bureau de l’organisation et de la mobilisation des armées et, bien sûr, la direction de l’infanterie. Les principaux arguments avancés étaient que les chars ayant combattu devant et au profit de l’infanterie, ils étaient une arme d’infanterie. De plus, du fait de la similarité des modes de combat entre les chars accompagnant l’infanterie et l’infanterie, les moyens d’entraînement étaient semblables et il était rationnel de confier la responsabilité des chars à l’infanterie.Les partisans d’une arme des chars indépendante rappelaient que les raisons qui avaient motivé la création d’une arme aérienne indépendante (travailler au profit de l’infanterie ne veut pas dire lui être inféodé, arme nouvelle, évolution technique...) étaient également valables pour les chars.Le 13 mai 1920 parut le décret de rattachement de l’Artillerie d’Assaut à l’infanterie.Ce rattachement entra dans les faits par une instruction portant application du décret du 13 mai 1920 portant création d’une section des chars de combat à la direction de l’infanterie. Elle précisait que l’Artillerie d’Assaut s’appellerait chars de combat. Les groupements et groupes devenaient des bataillons et des compagnies, avec une distinction entre les bataillons de chars légers et les bataillons de chars lourds. Les grades et appellations changeaient et devenaient ceux de l’infanterie. Les maréchaux des logis devenaient sergents, les brigadiers caporaux et les canonniers chasseurs. Enfin les troupes des chars de combat formaient une subdivision d’arme de l’infanterie
27.Le décret du 13 mai 1920 signifia donc la disparition de l’Artillerie d’Assaut indépendante. Son rattachement à l’infanterie marquait la fin des rêves d’indépendance du général Estienne et surtout accentua encore le poids de la doctrine de l’accompagnement dans le concept d’emploi des chars : l’infanterie n’allait pas laisser évoluer les chars de combat vers une utilisation (la rupture et l’action autonome) qui risquait de les voir échapper à son contrôle.Le Cours d’emploi des chars de combat, était tout à fait représentatif de cet état de fait. Paru en 1923, soit cinq ans après la fin de la guerre, il ne fit que reprendre les règlements d’emploi provisoires parus au cours du conflit.Ainsi, en préambule, la notice précisait le rôle des chars de combat en ces termes : "Le rôle des chars de combat est de faciliter le mouvement en avant de l’infanterie en brisant les obstacles passifs ou les résistances actives qui s’opposent à sa progression"28. Rien de nouveau donc par rapport au rôle assigné à l’AS durant le conflit, ce qui signifiait que la doctrine n’avait pas pris en compte les nouvelles possibilités offertes par les progrès du char. L’accompagnement était la seule façon d’utiliser les chars envisagée.À partir du début de la décennie, l’évolution de la doctrine fut donc marquée par l’immobilisme du concept figé par les leçons de la guerre. Les idées et les remarques d’esprits novateurs et précurseurs ne furent considérés à leur juste valeur.
Les efforts des partisans du char
Le général Estienne continua de se battre dans deux directions pour l’arme qu’il avait créée. Il chercha à rendre plus indépendants les chars de combat, il tenta de convaincre des possibilités stratégiques nouvelles qu’offrait cette arme récente.Il s’efforça, tout d’abord, de réduire les effets du rattachement des chars à l’infanterie. Même s’il avait dû l’accepter, il ne put s’y résoudre réellement. Aussi essaya-t-il d’obtenir l’autonomie des chars en développant des arguments concernant les personnels, le recrutement et la technique.Dans un article paru en 1922, il démontrait que les chars, de par leur armement, constituaient une arme à part.Il y a des armes diverses parce qu’il est des armements divers ; ainsi les chars, par le seul fait de leur armement spécial, constituent une arme véritable, tandis que la cavalerie, si elle renonçait au combat à cheval, ne serait plus qu’une subdivision d’arme de l’infanterie.La distinction des armes fut imposée depuis l’origine des temps par des raisons techniques, jamais par des raisons tactiques ; Il est donc indiqué de donner à chaque arme une section technique placée sous la haute autorité de l’Inspecteur général de l’arme et exclusivement composée d’officiers liés à l’arme par tous leurs intérêts de carrière
29.Ses conceptions en la matière furent résumées dans la conférence qu’il fit devant le roi de Belges à Bruxelles le 7 mai 1921.L’apparition sur le champ de bataille des véhicules mécaniques à chenilles est un événement dont l’importance égale celle de l’invention de la poudre à canon.À mon avis, cette apparition bouleversera bientôt dans leurs fondements séculaires, non seulement la tactique, mais encore la stratégie, et par suite l’organisation des armées, chose d’une extrême importance à la veille d’une refonte de nos institutions militaires.Une telle affirmation exige quelques explications. Si l’on demande aux grands capitaines, Alexandre, César, Napoléon, Foch, quel est parmi tous les facteurs matériels celui qui importe le plus à la Victoire, tous vous répondront d’une voix unanime : la mobilité.À mon avis, cett